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    C’est une autobiographie qui raconte les années de formation de Jim Thompson. En vérité il s’agit de la réunion de deux volumes parus aux Etats-Unis en 1953 et 1954, Bad boy et Roughneck, c’est-à-dire à l’époque de la plus haute créativité de Jim Thompson. L’ouvrage s’arrête au moment de la naissance de Jim Thompson comme écrivain qui a enfin trouvé un éditeur qui est prêt à le soutenir. Il a plus de 35 ans, et derrière lui une vie très agitée. Né en 1906, ses années de formation si je puis dire se situent entre les deux guerres dans une Amérique très agitée par les crises économiques et les tensions sociales. Sa famille ne sera pas épargnée, passant de la richesse à la misère en moins de temps qu’il ne faut pour le dire.

      

    Vaurien présente un triple intérêt, d’une part il nous dévoile en quelque sorte les origines des personnages qui seront recréés dans l’œuvre de Jim Thompson, Lou Ford a bien existé, Jim Thompson l’a rencontré, et l’encaisseur de A hell of a woman c’est lui ! Ensuite, il met en avant la nécessité d’écrire comme une volonté de comprendre et de transformer le monde, d’en saisir au plus près une vérité complexe et fuyante. Enfin, bien sûr il y a le style de Jim Thompson, alerte et drôle qui dévoile toute la brutalité d’un monde en pleine transformation entre un Ouest encore sauvage et une industrialisation galopante.

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    Des métiers, Jim Thompson en a exercé plus d’un, le plus souvent des emplois de rien du tout, des emplois durs dans l’hôtellerie ou dans l’industrie pétrolière. Il a fait la route, partagé les camps des travailleurs itinérants, brulé le dur dans des conditions parfois dangereuses. Et puis il y a l’alcool.

    Contrairement à ce qu’on pourrait croire, ce n’est pas une autobiographie tellement enjolivée que ça. En la matière, il y a bien pire. Mais évidemment il y a beaucoup de lacunes, des points sur lesquels Thompson n’a pas voulu s’étendre. Ces points ont d’ailleurs été soulevés par ses récents biographes. Il s’agit d’abord des relations avec son père qui ont été bien plus conflictuelles et bien plus dures qu’il ne le raconte. Et puis son évolution politique. Mais Vaurien ayant été écrit au début des années cinquante, à l’époque de l’intense chasse aux sorcières que l’on sait, il n’était pas question pour Jim Thompson de raconter ses relations avec le Parti communiste américain. En réalité, même s’il a adhéré un petit moment à ce parti, il n’en avait guère le profil, il possédait un esprit trop indépendant pour un tel organisme aussi sectaire. L’ouvrage se concentre sur les années de l’entre-deux guerres, années décisives dans la fabrication de l’Amérique telle qu’on la connait aujourd’hui, non seulement c’est une transformation économique a marche forcée quiva durablement installé les Etats Unis dans leur leadership, mais c’est aussi une époque de grande violence et de répression de tout ce qui s’écarte de la morale et de l’ordre capitaliste. Le fait que ces ouvrages aient été publiés en 1953 et 1954 n’est pas innocent, on est en pleine chasse aux sorcières, il est dangereux de se dire « communiste » ou même un soutien des wobblies. C’est sans doute pour cela que Jim Thompson rend un hommage plutôt discret à tous ceux qui révaient d’un monde différent de celui que le capital a finalement imposé

    Avec le recul cet ouvrage parait assez étrange. En effet Jim Thompson semble à cette époque bien jeune encore pour livrer ses mémoires. C’est comme si sa vie s’était arrêtée à partir du moment où il va obtenir un statut d’écrivain professionnel. Mais en outre il est évident qu’il veut démontrer aussi que sa prose est le reflet d’une vie authentiquement vécue. Il y a bien sûr des petits mensonges, comme lorsqu’il fait croire qu’il a été inquiété pour sa participation au trafic d’alcool pour le compte d’Al Capone. Mais c’est plus une question d’exagération.

     

    En tous les cas quelles que soient les intentions, on retiendra de très belles scènes, comme celle où Jim Thompson et ses copains essaient de démonter une installation pétrolière pour essayer d’en revendre la matière première. Ou encore la visite chez les indiens qui lui promettent une danse authentique et qui se termine par une beuverie monumentale !

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    Mickey Rooney a essayé souvent de briser l’image qu’on avait de lui, celle d’un gentil garçon, sautillant, chantant, jouant de sa petite taille – petite taille qui ne l’empêchait pas d’être un séducteur, puisqu’en autre il fut le mari d’Ava Gardner. C’est ainsi que de temps en temps il a fait des apparitions dans des films noirs, ce qui permet de se rendre compte de son talent. Ainsi il tournera dans l’excellent Drive a crooked road de Richard Quine en 1954, où d’ailleurs il trouvera un rôle un peu similaire. Mais Irving Pichel, quoiqu’il fut crédité des Chasses du conte Zaroff, n’est pas un très grand réalisateur. 

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    Dan se demande où il peut bien trouver 20 $ 

    C’est donc l’histoire de Dan Brady, un gentil petit mécano qui se fait vampiriser par la curieuse Vera Novak qu’il rencontre dans un bistrot non loin du garage où il officie. Seulement pour sortir cette sorte de femme fatale, il lui faudrait un peu d’argent, et comme son patron est avare, il est sans le sou. Il cherche à se faire rembourser le prêt qu’il a fait à un ami, mais celui-ci n’est pas disponible. Bref, après avoir tout essayé, il va se résoudre à taper dans la caisse de son patron pensant qu’il pourra remettre les vingt dollars avant qu’on se soit aperçu de leur disparition. C’est le début d’un engrenage fatal. Car en effet pour rembourser ces 20 dollars qu’il a empruntés, il va acheter une montre à crédit pour 100 $, montre qu’il va mettre au clou pour 30 $. Mais la police le guette et trouvant louche qu’il ait mis au clou une montre de 100 $ le soupçonne de ne pas vouloir la payer. Moriarty – c’est le nom du flic – lui enjoint de rembourser les cent dollars d’ici au lendemain sinon il se propose de lui dresser le caractère en le mettant en prison. Désespéré Dan va agresser un forain ivre qui se trimballe toujours avec des liasses de billets de 50 $. Mais il a été vu. Et voilà que l’ancien patron de Vera, le sinistre et jaloux, Nick se met en tête de faire chanter Dan, il lui demander de voler une voiture dans le garage où il travaille. Cde que Dan fait évidemment, mais c’est au tour de son patron, l’avare propriétaire du garage de le faire chanter également. Il le somme de ramener la voiture d’ici le lendemain, ou de lui ramener 3000 $, sinon il le balance aux flics. 

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    La police le somme de rembourser l’emprunt qu’il a fait pour la montre qu’il a mise au clou 

    Ne sachant plus que faire, il parle de cela à Vera qui va l’encourager à cambrioler Nick. Ce qu’il va faire. Tout se passe bien, sauf qu’au passage la cupide Vera va étouffer 1800 $ pour se payer un manteau de fourrure. Il ne peut donner que 1800 $ à son patron, qui, pas gêné, les encaisse pour ensuite le dénoncer à la police. Dan se rebelle contre cette injustice et étrangle son patron. Dès lors il doit fuir. Evidemment il ne peut pas compter sur Vera qui à la première occasion le vend à la police même si celle-ci ne lui demande rien.

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    Nick, l’ancien patron de Vera est d’un naturel plutôt jaloux 

    Il va finalement s’enfuir avec la belle et gentille Helen qui accepte de partager son sort. Dan se rend qu’il a tout fait faux en courant après Vera. Mais il faut fuir, et sur la route il va braquer un automobiliste qui se révélera être un avocat. Finalement il sera révélé que le patron de Dan n’est pas mort, et n’ayant pas de casier judiciaire, l’avocat lui assure qu’il n’aura qu’une peine légère et qu’ensuite il pourra retrouver l’amour et la sérénité auprès de la belle Helen.

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    Le patron de Dan le fait chanter 

    Comme on le voit le scénario contient pas mal de scènes plutôt invraisemblables, et l’accumulation de situations scabreuses qui enfoncent toujours plus le malheureux Dan nuisent à la crédibilité de l’ensemble. De même, le fait qu’il préfère cette vieille garce de Vera à la douce Helen révèle plutôt d’un esprit déséquilibré et pervers, parce qu’entre les deux, il n’y a pas photo. Mais peut être que ce qui est le plus déroutant c’est le happy qui est en décalage complet avec cette accumulation d’emmerdes qui tombent sur Dan. C’est ce qui du reste fait que de nombreux puristes ne classent pas ce film comme un film noir. Il reste cependant que si ce film n’est pas un grand film, il a tout de même de nombreuses qualités. 

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    Vera pousse Dan à aller dévaliser Nick 

    La première qualité, c’est la distribution. Mickey Rooney montre qu’il excelle aussi dans les rôles dramatiques. Alors qu’il a souvent été cantonné dans des rôles d’amuseurs pas très sérieux, des comédies sirupeuses, il a cherché à réorienter sa carrière en permanence, mais son physique n’était pas facile à utiliser. Jeanne Cagney, la sœur de James Cagney incarne la noire Vera avec beaucoup d’énergie. Elle a un physique d’ailleurs gênant, tant elle ressemble à son frère ainé, le même front, le même nez, les mêmes yeux. Elle n’a pas fait une grande carrière au cinéma cependant. Peter Lorre est Nick, l’ancien patron de Vera qui se consume de jalousie. On reconnaîtra aussi Jack Elam dans un tout petit rôle. 

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    Dan va cambrioler la boutique de Nick 

    Parmi les points positifs, on retiendra encore l’utilisation des décors californiens où se mêle à la façade maritime le labyrinthe de la fête foraine. C’est également un film où se sent le labeur. Dan est un ouvrier mécanicien, Vera trime comme caissière dans un bistrot, et tous deux ont du mal à joindre les deux bouts. C’est plutôt bien filmé. On retiendra plus particulièrement le cambriolage de la boutique de Nick, avec des ombres fuyantes et menaçantes, ou encore la fuite désespérée à San Diego – petite ville portuaire et laborieuse – où Dan se fera arrêté par la police.   

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    Dan n’est pas content de voir que Vera a dépensé la moitié de l’argent pour se payer un vison  

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    Excédé par le chantage de son patron, Dan l’étrangle  

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    Fuyant avec Helen, Dan kidnappe un avocat 

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    Savage night est un des Jim Thompson les plus déjantés. Le grotesque se joignant à l’horrible. C’est l’histoire de Carl Bigger, un tueur à gages qui arrive dans une petite ville pour descendre Jack Winroy qui se propose de témoigner contre le grand patron d’un gang quasi-mafieux. Jusque-là c’est du traditionnel dans le roman noir. Sauf qu’ici Carl est un homme contrefait, petit, malade, tuberculeux, il a des fausses dents et des lentilles de contact. Presque nain, il porte des chaussures spéciales pour se grandir. Il est d’ailleurs en train de mourir.

    Il s’installe dans une pension de famille où il va séduire tour à tour Fay Winroy, la femme de Jack qu’il va utiliser pour tuer son mari, et Ruth qui est à la fois la bonne à tout faire et en même temps étudiante. Elle a la particularité de marcher avec un béquille et d’avoir une jambe atrophiée.

    Cette situation engendre la paranoïa car notre tueur doit se méfier de tout le monde, tout en restant discret. Pour essayer de passer inaperçu, il s’inscrit à l’université comme étudiant libre. Mais il est recherché, et malgré sa discrétion, le shérif s’intéresse à lui et le soupçonne d’être un tueur en série. Il sera d’ailleurs à deux doigts de le coincer. Carl n’étant sauvé in extremis par sa mauvaise condition physique.

    Les surprises et les rebondissements dans cet ouvrage sont nombreux, même si la fin est un peu convenue. Car tout cela finira mal, très mal même. Mais n’est-ce pas un accomplissement pour Carl d’aller presque jusqu’à susciter sa propre mort ?

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    L’intrigue n’a d’ailleurs pas d’importance, les raisons d’exécuter Winroy sont minimales. Ecrit à la première personne, le récit est celui de la folie ordinaire d’un homme qui a toutes les raisons de se venger d’une vie qui ne lui a été que cruelle. Le personnage d’un nabot est le véhicule de cette contrariété, mais en même temps il est le personnage maléfique par définition. Celui qui apporte le malheur et qui met à jour les tares de la société hypocrite dans laquelle il évolue.

    Derrière cette folie, il y a le décor d’une petite ville provinciale, où les convenances sociales masquent la dégénérescence ces caractères. A l’occasion, c’est une nouvelle fois la critique de la famille traditionnelle américaine dans laquelle les femmes ont pris le pouvoir.

    L’écriture est à la hauteur, les dialogues sont percutants, on entre comme dans du beurre dans les méandres de la pensée floue de Carl. On partage ses rages et ses peurs. Mieux encore, Thompson laisse une plage d’incertitude entre ce qui arrive vraiment et ce que Carl imagine.

     

    En relisant ce livre, j’ai trouvé une parenté évidente avec les romans de Frédéric Dard. Ce dernier avait aussi une obsession des nains, et pas seulement dans La nurse anglaise, mais aussi dans La maison de l’horreur qui fut signé Frédéric Charles et qui parut en 1952. Le nain étant associé à l’image d’une sexualité débordante : Carl séduit facilement, alors qu’il porte des talonnettes, des fausses dents et des lunettes. Egalement le passage où Carl rêve de chèvres hurlantes, rappelle Ma sale peau blanche signé Frédéric Dard, ou encore La dynamite est bonne à boire.

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    George Roy Hill était un réalisateur à succès notamment grâce à Butch Cassidy et le Kid et L’arnaque. Il passa en 1984 à un sujet plus grave et plus controversé puisqu’il traite du terrorisme et du conflit israélo-palestinien. Le film est basé sur un roman passionnant et fortement documenté de John Le Carré. Les moyens financiers sont là, le casting très bon, et pourtant ce sera un bide noir.

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    Un groupe palestinien déterminé utilise le terrorisme 

    L’histoire tourne autour de l’action d’un groupe d’agents israéliens visant à éliminer un commando palestinien particulièrement redoutable. Dirigé par Khalil, il commet des attentats un peu partout à la surface de la planète et souvent utilise pour véhiculer ses bombes des jeunes femmes qui ont été séduites par les palestiniens, ou qui se trouvent dans la mouvance révolutionnaire européenne, puisque la cause palestinienne a été souvent vue comme le prolongement du combat contre le capitalisme. Le but est de remonter jusqu’à la tête : d’éliminer Khalil. Pour cela le Mossad va retourner une actrice un peu marginalisée dans son métier, mais qui se donne à fond à la cause palestinienne. Le but est de l’utiliser pour qu’elle remonte elle-même jusqu’à Khalil. Pour cela elle devra s’entraîner dans les camps palestiniens, apprendre à poser des bombes, jusqu’à ce qu’elle soit digne de confiance et qu’elle arrive jusqu’à Khalil. Elle le séduira et finira par introduire les tueurs auprès de Khalil. Le conflit israélo-palestinien n’a pas donné naissance à beaucoup de fictions, à l’exception toutefois notable de The Levanter d’Eric Ambler parue en 1972. Et sans doute John Le Carré a-t-il trouvé chez le maître du roman d’espionnage une partie de son inspiration. Pourtant c’est un sujet propice à des histoires denses et solides. 

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    Joseph donne une arme à Charlie pour la rassurer 

    Le film est très fidèle au roman qui est selon moi un des meilleurs de John Le Carré. Sa mise en scène éclatée donne un réalisme intéressant à l’histoire. On passe de l’Angleterre à la Suède, de l’Allemagne en Israël parce que le conflit est internationalisé depuis ses débuts. La précision des détails dans la traque du commando palestinien est remarquable, notamment dans la partie qui se passe en Allemagne. C’est un travail d’équipe dont l’efficacité repose sur la solidarité et l’abnégation. Mais à côté de la description du travail des services secrets israéliens, il y a aussi le portrait étonnant de Charlie la militante pro-palestinienne, une jeune femme mal dans sa peau, prompte à s’embarquer dans des aventures bancales sans trop réfléchir aux conséquences. C’est d’ailleurs sur l’affectivité – d’un côté ou de l’autre – que les Palestiniens comme les Israéliens vont jouer. Comme dans le roman d’ailleurs, John Le Carré ne porte de jugement sur tel ou tel groupe. Il montre que les services secrets israéliens, comme les commandos palestiniens possèdent une logique singulière qu’on ne saurait nier d’un trait de plume, une logique qui d’ailleurs souvent dépasse les malheureux exécutants de cette tragédie. Par contre ce qui est au fond condamner ce sont les techniques de manipulations des uns et des autres, selon lesquelles la fin vaut les moyens. 

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    Charlie va être retournée par le Mossad 

    Le film a pu passer pour pro-israélien, ce qui sans doute lui a enlevé bon nombre de spectateurs et a laissé la critique craintive. Probablement parce que ce sont les services secrets israéliens qui sortent vainqueurs des commandos palestiniens. Mais John Le Carré, en tant qu’Anglais, n’est pas pro-israélien, ce serait même plutôt le contraire. Certainement qu’il y a eu chez lui la nostalgie de ce qu’était la Palestine au temps du Mandat britannique. Certes les terroristes palestiniens apparaissent comme particulièrement cruels et tenant guère compte des dommages collatéraux de leurs actions, mais n’est-ce pas l’énergie du désespoir qui les poussent dans cette voie ? Et après tout la trouble Charlie sera passée par pertes et profits par les services secrets israéliens au-delà de son rôle dans l’élimination de Khalil.

    Si les Israéliens sont les plus déterminés, la plupart des personnages de ce drame sont dans l’ambiguïté. Et même le rigide Khalil. Celui-ci est d’un côté un chef de commando sans pitié, mais de l’autre, il se laisse aller à des sentiments amoureux pour Charlie, ce qui causera sa perte. Et même Martin Kurtz le chef des services secrets israéliens marquera cette ambigüité par des réflexions finales désabusées, alors même qu’il a atteint son but 

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    Charlie partage la vie des commandos palestiniens qui s’entraînent 

    En remettant cette histoire à hauteur d’homme, on avance dans les déterminations souvent troubles qui guident l’engagement politique ou même l’activité d’agent secret. Charlie est une menteuse invétérée, et sous la pression de Martin Kurtz, son système de la représentation de la réalité va voler en éclat.  Les scènes les plus remarquables sont celles où justement Martin Kurtz est confronté aussi bien à Michel qu’il veut faire parler, et il y arrivera, qu’à Charlie qu’il veut recruter pour la défense de la cause israélienne.

    La distribution, si elle n’est pas très glamour est très juste, surtout si on se réfère aux personnages du roman. Diane Keaton a le physique pour jouer cette femme un peu seule, un peu délaissée qui a besoin d’embrasser une cause même si elle n’y comprend finalement pas grand-chose. Le solide Yorgo Voyagis est Joseph, l’agent secret israélien qui séduit Charlie et l’amènera à collaborer. Plus étonnant est Klaus Kinski dans le rôle de Martin Kurtz, il est d’une sobriété remarquable. Et puis il y a enfin Samy Frey dans le rôle de Khalil. Dans des petits rôles il y a encore David Suchet, et John Le Carré lui-même qui incarne un policier de Scotland Yard. 

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    Charlie va séduire le redoutable Khalil 

    La mise en scène est nerveuse, le rythme soutenu, surtout dans la première partie lors de la traque et de l’élimination du commando palestinien  en Allemagne. On suit souvent en parallèle trois histoires, celle de Charlie, celle du commando qui traque et élimine les terroristes, et enfin celle de Martin Kurtz qui coordonne l’activité et manipule un peu tout le monde. Ça nous permet de faire des détours par la Grèce, Leipzig et l’Allemagne lisse et propre, ou encore Beyrouth et le Liban qui a cette époque-là se trouvait dévasté par la guerre. Les oppositions entre les espaces marquent aussi la distance qu’il peut y avoir entre ce que comprennent les acteurs du conflit israélo-palestinien, et les Occidentaux souvent attachés à des déterminations symboliques qui ne correspondent à rien sur le terrain. Aujourd'hui cette manière de poursuivre la lutte n'existe plus du côté palestinien, les temps ont changé, et si la situation reste tendue, le terrorisme à l'extérieur d'Israël et des Territoires Palestiniens a pratiquement disparu, alors que dans les années soixante-dix et au début des années quatre-vingts, les attentats palestiniens défrayer la chronique. 

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    Joseph tuera Khalil  

    C’est selon moi un des meilleurs films d’espionnage qui ait été tourné, et probablement un des plus réalistes aussi. Il démontre s’il le fallait que George Roy Hill fut un très bon réalisateur. Evidemment on retrouve tous les thèmes déjà développés par John Le Carré dans ses autres œuvres, cette  lassitude du héros, cette incertitude qui ronge les âmes les plus déterminées, l’ambigüité de la cause défendue. Il n’existe de disponible sur le marché qu’une version américaine sans sous-titres en DVD. Une réédition en Blu Ray est à mon avis souhaitable.

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    Le talent de John Garfield est immense et reconnu. Sa carrière au cinéma a été relativement brève, s’étendant de 1938 à 1952, date de son décès prématuré, il avait à peine 39 ans. S’il est un acteur emblématique du film noir, il est aussi un précurseur dans le jeu et par là, a eu une influence sur un grand nombre de ses collègues, à commencer par Humphrey Bogart dont le jeu va changer à partir du moment où justement Garfield devient une star au statut un peu particulier. Ce qui est frappant dans son jeu, c’est sa spontanéité, sa fraîcheur, cette capacité à laisser croire qu’il vit plus ses personnages qu’il ne les joue. Et pourtant, ainsi que le rappelle Robert Nott, Garfield est d’abord un acteur de théâtre. Gosse de la rue en rupture de ban, promis à la délinquance, il va trouver une famille et une raison de vivre dans le théâtre engagé et d’avant-garde.

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    A New York, il fréquente le théâtre d’extrême-gauche, presque tous ses collègues sont membres ou proches du parti communiste, le plus souvent juifs comme lui, juifs en voie d’émancipation si on peut dire. Bien qu’assez peu politisé, il est engagé, mais il ne sera jamais membre du parti communiste. Il faut dire que le principal de sa carrière se fera chez Warner Bros au moment du New Deal. A ce moment-là la très grande majorité du peuple d’Hollywood était à gauche. C’est sa femme qui lui servait de mentor en matière politique et qui, elle, se retrouva encartée. C’est un élève de Lee Strasberg, un adapte de la méthode comme après lui Marlon Brando, James Dean ou Robert De Niro. A New-York il travailla avec Kazan, avec Franchot Tone qui lui aussi devint un pilier du film noir. Garfield appartenait à cette catégorie particulière qui visait tout simplement à faire du théâtre et des films pour changer un monde qui ne leur plaisait pas. Entretenant de mauvaises relations avec son père, il fut aussi très marqué par la disparition dramatique de sa petite fille Katherine. Cette perte douloureuse le renforça dans une orientation de rôles plus sombres.

    Il eut comme on sait de très nombreuses relations extra-conjugales, ce qui n’est pas une exception à Hollywood. Mais il eut aussi quelques liaisons avec ses partenaires à l’écran. Parmi celles-ci on retiendra celle avec Gloria Dickson, la Peggy de Je suis un criminel, et surtout celle avec la sulfureuse Lana Turner au moment du tournage du Facteur sonne toujours deux fois. Shelley Winters prétend elle aussi avoir eu une relation sexuelle avec John Garfied sur le tournage de He ran all the way.

    D’origine juive, il était né Julius Garfinkle, mais il fit officialiser John Garfield comme son véritable patronyme, il avait été très sensible à l’antisémitisme et au racisme. Il se battra pour les droits des noirs – ce qui lui sera reproché par l’HUAC – et sera un des premiers à mettre en scène ces problèmes dans Body and Soul en 1947. 

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    Ici avec Edith Piaf lors de son séjour parisien pour le tournage de Under my skin en 1950

     

    C’était un acteur impliqué dans ses interprétations, un homme de passion, au point de se faire producteur pour porter des projets qui lui tenaient à cœur comme par exemple Body and Soul de Robert Rossen, ou le magnifique Force of Evil d’Abraham Polonsky. Deux films qui font partie du panthéon des films noirs. Plus généralement John Garfield a développé un personnage de looser magnifique qui remet en question l’optimisme béat véhiculé par l’American Way of Life – l’anti John Wayne si on veut. Dans la galaxie des stars hollywoodiennes, il est celui qui représente le mieux le doute. Il était très populaire, ses films furent de très grands succès, ce qui ne l’empêchait pas de rechercher des scénarios de qualité qui manifestaient aussi de son engagement.

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    Avec John Huston au Stork Club

     

    De la vie de John Garfield on connaissait évidemment déjà beaucoup de choses, ses engagements, son goût pour les femmes – ce qui n’est pas quelque chose de bien original à Hollywood – mais l’ouvrage de Nott apporte des détails très intéressants non seulement sur ses années d’apprentissage, mais aussi sur la fin de sa vie et sa confrontation avec les canailles de l’HUAC. Une large partie des auditions est retranscrite dans l’ouvrage. On y voit un John Garfield harcelé, tourmenté, essayant de conserver son honneur tout en évitant la déchéance de la prison. Le livre a eu semble-t-il l’imprimatur de la famille, notamment de la fille de John Garfield, Julie, ce qui n’empêche pas l’auteur d’être sans complaisance avec son sujet. 

     

    Il est bien dommage que ce livre ne soit pas traduit en français pour ceux qui auraient des difficultés avec la langue de Shakespeare. Robert Nott aime John Garfield et le décrit comme un personnage attachant qui au fond ressemblait fort à ses héros négatifs qu’il interprétait à l’écran.

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