•  Traquée, Framed, Richard Wallace, 1947

    Dans le registre du film noir, Richard Wallace avait réalisé en 1943 The fallen sparrow, un film noir teinté d’espionnage, sublimé par le toujours excellent John Garfield qui revenait de la guerre et qui recherchait son identité, identité qu’il retrouvait dans le démembrement d’un réseau de nazis implanté sur le sol américain. Framed est un véhicule, c’est le cas de le dire, pour Glenn Ford dont la popularité, consécutivement au grand succès de Gilda, commençait à émerger. Il allait devenir un pilier du système hollywoodien, tournant beaucoup, parfois trop, mais émaillant sa filmographie de très grands succès avec des réalisateurs de premier plan, comme Fritz Lang, Vincente Minnelli ou Anthony Mann. 

    Traquée, Framed, Richard Wallace, 1947

    Mike Lambert embouti le véhicule de Jeff Cunningham 

    Dans les montagnes de San Bernardino, Mike Lambert doit conduire un camion, mais les freins du camion mal entretenu lâchent et il emboutit le véhicule de Cunningham, un chercheur d’or. Son patron ne voulant pas payer, il va donner sa paye à Cunningham. Un peu dégouté, il va boire un coup au Paloma où officie la belle Paula. Mais la police vient l’arrêter pour l’incident. Il passe en jugement et va être condamné à payer 50 $ ou faire 10 jours de prison. Comme il n’a pas l’argent, c’est Paula qui va le tirer de ce mauvais pas. Il va se saouler, et Paula va le ramener à l’hôtel. Tandis qu’il dessaoule, elle va à un rendez-vous avec Stephen Price, le directeur de la banque locale pour lui signaler qu’elle a enfin trouvé l’homme qu’ils cherchaient. On apprend qu’ils veulent mettre la main sur 250 000 $ qu’ils détourneraient de la banque et s’enfuir avec après que Mike ait pris la place de Price dans l’automobile et qu’il ait eu un accident. Entre temps Mike va retrouver Cunningham avec qui il va faire affaire pour exploiter une mine d’or dont le filon semble prometteur. Quand Cunningham va demander un prêt à la banque, Stephen Price sur les indications de Paula va le lui refuser, ce qui met le mineur en fureur. Mike va surprendre Paula dont il est manifestement épris dans la voiture de Price, celle-ci se défend en disant qu’elle est intervenue pour que Price accorde le prêt. Price et Paula demandent à voir la mine avant d’accorder le prêt. Mike se prête à ce jeu. Mais pour fêter cet accord, Price propose d’aller dans son chalet boire un coup. Mike accepte, mais dans le chalet il aperçoit le peignoir de Paule et comprend qu’elle est la maîtresse de Price. Dépité il se saoule et s’endort, Price l’embarque dans la voiture. Paula doit le tuer d’un coup de clé à molette, mais à la place elle tue Price, puis elle précipite la voiture dans le ravin. Son but est de mettre la main sur les 250 000 $ que Price avait pris la précaution de mettre dans un coffre sous un autre nom de Paula, celui d’Helen Bailey. Cependant Cunningham est arrêté pour avoir tué Price, il n’a pas d’alibi, et il s’est disputé avec Price. Mike va le voir en prison et va chercher à démontrer que Cunningham est innocent. Pour cela il va rendre chez la secrétaire de Price et il va découvrir qu’au moment d’accorder le prêt, Price avait reçu un coup de téléphone d’une certaine Helen Bailey, et qu’il avait refusé ensuite.  Mike retrouve Paula, elle comprend maintenant qu’il la soupçonne. Elle tente de l’empoisonner, mais elle y renonce à la dernière minute. Elle finit par avouer qu’elle a tué Price parce qu’elle l’aimait et qu’elle voulait partir avec lui. Tandis qu’elle va à la banque pour essayer de récupérer les dollars, Mike téléphone à la police. Il retrouve Paula au moment où elle récupère l’argent. La police l’arrête, et Mike renoncera à encaisser la prime pour la découverte de l’assassin de Price. 

    Traquée, Framed, Richard Wallace, 1947

    La police vient arrêter Mike 

    Le scénario est dû au brillant Ben Maddow qui a signé l’intrigue de nombreux films classiques comme JohnnyGuitar de Nicholas Ray, Asphalt jungle de John Huston, ou encore The unforgiven du même John Huston, ou encore sur High noon de Fred Zinneman. C’était un homme très engagé à gauche, il avait tourné un film documentaire, Heart of Spain, pour soutenir la lutte des Républicains contre Franco. Pour tout ça il fut mis sur la liste noire et dut travailler sous des noms d’emprunts, il revint toutefois officiellement après comme beaucoup d’autres avoir donné quelques noms de communistes, il est certain que cet épisode dramatique a eu une influence décisive sur son travail ultérieur[1]. Il avait commencé sa carrière en travaillant sur des films documentaires, à une époque où on cherchait pour le cinéma des voies différentes de la fiction. Ses parents étaient des juifs ukrainiens socialistes. Lui-même écrivit des poèmes sur la pauvreté. Il avait voulu s’inscrire à l’université pour apprendre la médecine, mais dans l’Amérique de ces temps-là, les places pour les juifs étaient limitées ! Il reviendra au genre documentaire avec Savage eye en 1960, un film qu’il mettra en scène lui-même et qui connaitra une grande reconnaissance critique, considéré comme un modèle du film social. L’importance de cette approche documentaire se voit ici par le soin qui sera apporté à l’environnement social de l’intrigue. 

    Traquée, Framed, Richard Wallace, 1947

    La belle Paula Craig paye l’amende de Mike 

    Le point de départ est l’éternel trio du film noir, une femme et un homme qui veulent en finir avec la routine et tentent de s’approprier une petite fortune en assassinant une troisième personne qui portera le chapeau. Le cynisme de Price et de Paula rappelle Double indemnity de Billy Wilder. Mais les rapports entre les trois protagonistes sont compliqués. Si Price agit parce qu’il hait sa femme qui lui a apporté la richesse, et s’il poursuit bien le plan élaboré, allant jusqu’à faire confiance à Paula en remettant tout l’argent dans son coffre, les deux autres sont bien moins clairs dans leurs intentions. Quand Paula choisit de tuer Price plutôt que Mike, on ne sait pas trop si elle vise à éliminer son partenaire dans le crime pour s’approprier tout l’argent, ou si elle aime vraiment Mike. Elle l’épargne d’ailleurs deux fois, d’abord en tuant Price à sa place, puis en renversant le café empoisonné. On peut dire qu’elle est amoureuse, et apparemment sa relation avec Mike se passe très bien sur le plan sexuel. Mais au-delà de cet aspect trivial, il y a le fait qu’elle se comporte en femme de tête qui domine les hommes qui lui sont dévoués. Femme fatale, mante religieuse, Paula craque cependant sur la fin. On remarque d’ailleurs qu’elle aurait eu moins d’ennuis en donnant le poison à Mike. Il vient que manifestement c’est une joueuse, elle aime tirer la corde pour voir où elle cassera. Seul d’ailleurs dans le trio Price est rationnel, Mike lui aussi est joueur, il croit au hasard et gagnera une forte somme et sa liberté en jouant aux dés.  

    Traquée, Framed, Richard Wallace, 1947 

    Paula a un mystérieux rendez-vous 

    La contrepartie de ce trio diabolique, c’est un autre trio formé cette fois par Mike, Paula et Cunnigham. En effet Mike comprend instinctivement qu’il ne peut pas courir deux lièvres à la fois, il a une amitié forte avec le vieux mineur, mais une attirance tout aussi forte pour Paula. Lui aussi doit faire un choix douloureux, il sacrifiera sa sexualité qu’on suppose torride, et donc il opérera sur lui-même une sorte de castration. Ce qui se traduira par sa mine dégoutée à la toute fin du film. Quand Mike arrive dans cette petite ville, il a déjà des tendances suicidaires. On comprend rapidement qu’il a connu des déboires aussi avec les femmes, c’est pour ça que périodiquement il se saoule. Et c’est pour ça aussi qu’il conduit un camion sans frein. Comme il a accepté bêtement de conduire ce camion dangereux, il va se jeter dans la gueule du loup en laissant Paula le manipuler. Il sait bien qu’elle lui ment, mais malgré ses velléités de ne pas s’y laisser prendre, il préfère se battre avec elle plutôt que de s’en éloigner. Evidemment si cette femme est mauvaise, c’est la contrepartie de son émancipation. Est-ce à dire que le propos est misogyne ? Je ne le pense pas, il montre au contraire l’ambiguïté de cette femme coincée entre des désirs contradictoire. Si on la compare à la secrétaire de Price qui attend tout de son mari et qui tricote en attendant que la vie passe, elle a du caractère. Elle veut diriger sa vie, même si ça passe par le crime. Beth Price elle ne compte que sur sa fortune que lui a léguée son père pour s’en sortir, c’est insuffisant. Malgré son argent elle n’arrive pas à dominer son époux qui au contraire la délaisse d’autant plus qu’elle lui court après. 

    Traquée, Framed, Richard Wallace, 1947

    Jeff Cunningham et Mike vont faire affaire 

    Il y a un double aspect social dans ce film. D’abord dans la représentation de cette petite ville qu’on pressent difficile, sous la coupe de ceux qui ont de l’argent, que ce soit le petit patron menteur et mal embouché de l’entreprise de transport, ou que ce soit évidemment Price le banquier. Dans les deux cas on voit le pouvoir de l’argent. Mike dira devant le juge qu’en réalité on devrait condamner ce petit patron qui ne tient en aucun cas compte de la vie de ses employés, manière de dire qu’il est face à une justice de classe. De même le laborieux Cunningham sera mis en prison. D’ailleurs le film débute comme un film de camionneurs, archétype du travailleur dur à la tâche, mal payé mais si utile à la collectivité. Le second aspect est l’opposition entre Mike, ingénieur désargenté, et le couple Price-Paula décrit comme riche et désœuvré. C’est clairement une opposition de classes et Mike, manifestement issue de la classe moyenne, va rejoindre la classe laborieuse représentée par le mineur Cunningham. Il commencera à avoir des doutes sur la sincérité de Paula quand il va chez elle et qu’il se rend compte qu’elle n’est pas du tout une brave travailleuse qui bosse dans un bar, mais qu’elle vit dans un certain luxe, portant de beaux vêtements et usant de parfums de prix. Il l’a découverte dans un bar, et dans ce cadre, elle lui convenait très bien dans cet univers un peu crasseux, dès lors qu’elle enlève son tablier et qu’elle parait dans un univers aseptisé, elle l’intéresse bien moins. Cependant Paula semble se trouver entre deux classes, contrairement à Price dont elle n’a pas l’arrogance. Sans doute vient-elle d’un milieu moins aisé. C’est ce qu’on croit deviner. A cet univers friqué au fond Mike préfère aussi les pue-la-sueur des bistrots ou de la mine. Mais à l’évidence l’aisance et la puissance de Paula l’effraie, il préfère renoncer, ne se trouvant pas de taille pour l’affronter. Il appellera sournoisement la police pour s’en défaire. 

    Traquée, Framed, Richard Wallace, 1947

    Paula et Steve Price repèrent les lieux où la voiture aura un accident 

    L‘originalité de la mise en scène, c’est d’abord l’utilisation des décors. Rapidement Wallace brosse le portrait de la petite ville assoupie dans les montagnes de San Bernardino, sans s’attarder, mais en mettant suffisamment en évidence le caractère peu enthousiasmant de cet univers où tout le monde semble s’ennuyer. On mettra en évidence les oppositions des lieux un peu chics, la banque, le chalet luxueux de Price, ou sa splendide maison où sa femme s’étiole, d’un côté, et de l’autre le bar où travaille Paula à la recherche d’un homme susceptible de servir ses desseins, le var un peu crasseux où on se saoule, et puis aussi la chambre d’hôtel misérable, la petite entreprise de transport etc. Cette opposition va plus loin qu’une approche en termes de lutte des classes dans la mesure où elle met en accusation l’échec du rêve américain. C’est évident quand Mike sa interroger Jane Woodworth chez elle, dans son petit pavillon de banlieue, où elle semble absente d’elle-même, sous la coupe de son mari qui la contrôle, elle ne s’éveille que quand Mike lui pose des questions sur son patron, comme si elle sortait de son coma. Il y a donc une précision quasi-documentaire sur l’échec du rêve américain. Se saouler, jouer, deviennent les seuls dérivatifs pour échapper à ce monde sans conscience. Ce manque de conscience est rappelé par les lumières qui se situent au-dessus des têtes, quand Paula attend dans la nuit par exemple Price qui doit venir la chercher, ou quand Mike joue aux dés. 

    Traquée, Framed, Richard Wallace, 1947

    Mike va se refaire au craps 

    Le rythme cependant n’est pas toujours très fluide. Bien qu’il y ait des efforts louables pour donner un découpage dynamique à l’ensemble. Il y a des beaux plans de nuit, avec une bonne photo de Burnett Guffey qui a fait beaucoup dans le film noir, Johnny O’Clock, In a lonely place, Nightfall. Il avait un style cependant différent de celui de John Alton par exemple. Il évitait d’accentuer les contrastes entre le noir et le blanc, ce qui donnait un aspect plus documentaire à ses films. Mais il photographiait très bien les visages. La séquence d’ouverture qui film un camion en perte de contrôle, est marquée par la faiblesse du budget du film, les plans tournés en dehors du véhicule sont peu nombreux, et on se focalise sur le visage tourmenté de Glenn Ford. Wallace ne capte pas très bien la violence latente des scènes, comme s’il les coupait à contretemps, ce qui fait que le film manque un peu d’émotion tout de même. Les scènes de prison sont plus conventionnelles, même si les plans resserrés tentent de faire oublier un peu la pauvreté des décors, le précipice est assez mal utilisé avec une prise de vue lointaine en contreplongée pour nous faire ressentir le danger. De même on abrège la scène de l’accident, ce qui évite la production de détruire un véhicule, on verra seulement Paula pousser énergiquement la voiture où Price est enfermé, sans qu’on la voit tomber. 

    Traquée, Framed, Richard Wallace, 1947 

    Paula doit assommer Mike avec la clé anglaise 

    On a mis le paquet sur l’interprétation. Glenn Ford est Mike. Il présente un visage tourmenté, une instabilité, et donc des mimiques un peu trop appuyées dont il se débarrassera dans la suite de sa longue carrière. Mais s’il manque un peu de sobriété dans son jeu, il n’est pas mauvais. L’excellente Janis Carter est Paula, une femme en quête d’identité si on veut, cherchant ses repères en même temps que son émancipation, sans forcément trouver les réponses. Malheureusement cette actrice ne fera pas une grande carrière. Elle est pourtant très juste. Barry Sullivan qui joue Price le cynique banquier est un peu effacé, sans être mauvais toutefois. Dans des petits rôles on aura aussi Karen Morley qui incarne très bien la femme délaissée de Price, elle sera victime de la chasse aux sorcières à cause de ses engagements politiques, comme Art Smith d’ailleurs qui a juste un petit rôle de réceptionniste. Barbara Woodell qui incarne la secrétaire de Price est une bonne surprise, tout en finesse. Les autres petits rôles sont plus convenus, comme le patron de l’entreprise de transport qui surjoue la crapule, ou même Edgar Buchanan dans le rôle du mineur Cunningham qui en fait des tonnes dans le débonnaire vieillard. 

    Traquée, Framed, Richard Wallace, 1947

    Mike apprend que Cunningham est accusé de meurtre 

    C’est dans l’ensemble un très bon film noir qui a n’a pas trop vieilli. Il est cependant assez peu connu, bien qu’il y ait une récente et très bonne réédition en DVD chez Sidonis. Il existe deux versions de ce film, l’une française qui fait 1 heure 19, l’autre américaine qui est plus longue de 3 minutes. Le film est assez peu connu, le titre français d’ailleurs ne correspond à rien, Framed signifiant encadré, mais ici pris dans le sens du contrôle, ou peut-être dans l’impossibilité pour Mike de bien situer qui est Paula. 

    Traquée, Framed, Richard Wallace, 1947

    Mike va voir Cunnigham en prison 

    Traquée, Framed, Richard Wallace, 1947

    Paula verse du poison dans le café de Mike 

    Traquée, Framed, Richard Wallace, 1947

    Mike intervient quand Paula va retirer l’argent 

    Traquée, Framed, Richard Wallace, 1947

    La police va arrêter Paula



    [1] http://www.pennilesspress.co.uk/prose/ben_maddow.htm 

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  • Nid d’espions, The fallen sparrow, Richard Wallace, 1943 

    Richard Wallace est très peu connu en France. Sa carrière a commencé à l’époque du muet, la plupart de ses films sont oubliés, il a travaillé un peu dans tous les genres, de Laurel et Hardy à Shirley Temple, en passant par le lourdingue Tycoon avec John Wayne, film d’aventure niaiseux. Il était plutôt une sorte d’homme à tout faire dans le cinéma, travaillant sans trop de génie mais proprement et rapidement. Richard Wallace est un réalisateur peu connu, du moins a-t-il laissé peu de traces dans l’histoire du cinéma. Il avait commencé sa carrière du temps du muet, et il la terminera en 1949. Les films qui ont marqué les esprits, ce sont surtout des comédies, avec Shirley Temple notamment. Ce n’était pas un spécialiste du film noir, il n'y a fait que quelques rares incursions, dont l’intéressant Framed. Le sujet est inspiré d’un roman de Dorothy B. Hughes. Celle-ci est parmi les plus grandes romancières dans le genre noir. Elle était, avec Margaret Millar, Elisabeth Sanxay Holding, Vera Caspary ou encore Dolores Hitchens, parmi les reines du roman noir dans sa version féminine. Ces femmes-là avaient su développer une forme particulière de romans noirs, très orientée vers les formes psychologiques et rêveuses du roman criminel, bien loin des âneries à la Agatha Christie. Elles révélaient à ce propos une violence intérieure particulièrement forte. Dorothy B. Hughes donna quelques sujets très forts au cinéma, par exemple In a lonely place de Nicholas Ray[1], ou Ride the pink horses de et avec Robert Montgomery[2]. Elle était peut-être plus « noire » que ses consœurs, en ce sens que non seulement elle développait cette idée d’incertitude et de vision troublée de la réalité, mais qu’en outre, cette subjectivité qui présentait souvent des hommes faibles et malades la guidait vers une vérité des plus relatives. Malheureusement, même si son œuvre a été salué en France comme originale et forte, la moitié de ses romans n’ont pas été traduits en français. La particularité de cette histoire est qu’outre qu’elle recèle toutes les caractéristiques du roman et du film noir, elle est au service d’une cause, la lutte contre des agents nazis infiltrés aux Etats-Unis pour poursuivre leurs buts malsains et saboter l’effort de guerre.  

    Nid d’espions, The fallen sparrow, Richard Wallace, 1943

    John McKittrick revient à New-York après avoir appris la mort de son ami très cher, Louie Lepetino. Ce dernier lui avait sauvé la vie lorsqu’il avait été fait prisonnier durant la Guerre d’Espagne par les franquistes. Il était dans une maison de convalescence en Arizona où il se faisait soigner pour tenter d’effacer les séquelles de ses blessures, il avait été durement torturé dans les prisons de Franco. Dans le train qui l’amène, il croise une très belle femme, Toni Donne qui le bouscule. Arrivé à New York, il se rend au Commissariat pour y rencontrer l’inspecteur Tobin qui était un ami de Louis Lepetino et qui en enquêtant sur sa mort a conclu qu’il s’agissait d’un suicide. John est sceptique, dans un premier temps il se rend chez les parents de Louis qui vivent dans un quartier pauvre. Puis il va voir son vieil ami Ab Parker qui lui non plus ne croit pas au suicide de Louis, mais qui doit le quitter pour aller à Washington. Durant ce voyage, John pourra rester chez lui. Il va se retrouver avec son ami Ab dans une réception très huppée qui est organisée pour soutenir les réfugiés, des personnalités haut de gamme qui ont fui le nazisme. Là il va retrouver son ancienne maitresse, la belle Barby, qui semble entre temps être passée à autre chose. Il retrouve aussi la belle Toni Donne qui semble s’occuper du Docteur Skaas qui est cloué dans un fauteuil à roulette. Il est là avec son fils Otto. Il va profiter de la fête pour retrouver une autre femme, Whitney, une chanteuse de cabaret tenu par me frère de Louie. Il va essayer de lui tirer les vers du nez, et elle aussi pense que Louis a été défenestré à cause de ses engagements politiques. Il apprend également Toni Donne était présente dans la pièce où a eu lieu le pseudo suicide. John soupçonne que les trois femmes ne disent pas la vérité. Il va retrouver bientôt Toni qui vend et présente des chapeaux. Elle le reçoit fraichement alors qu’il tente de l’inviter à déjeuner. Il la provoque, mais la nuit il a de nouvelles obsessions qui lui rappellent un passé douloureux, avec des bruits dans la tête qu’il ne sait s’ils sont réels ou imaginaires. 

    Nid d’espions, The fallen sparrow, Richard Wallace, 1943

    John rend visite aux parents de Louis Lepetino, tragiquement disparu 

    Mais le lendemain il lui envoie des roses et arrive ainsi à se rapprocher d’elle. Manifestement elle est autant attirée par lui que lui par elle. Cette relation est cependant entravée par le fait qu’il pose trop de questions. Le soir il est attaqué par quelqu’un dans l’appartement d’Ab. Il se bat et en rallumant l’électricité, il constate que son agresseur est Anton qui lui révèle qu’en réalité on l’a laissé s’enfuir pour qu’il mène les nazis à un blason qui compte pour la bande. Il s’avère que John et ses hommes ont tué un général allemand et que les nazis veulent éradiquer toute la brigade de John. Le lendemain matin, John est réveillé par un coup de feu, il découvre qu’Ab a été tué d’un coup de feu dans la tête et que ce meurtre a été mal maquillé en suicide. John prévient l’inspecteur Tobin. Ses obsessions lui reviennent, il est également obsédé par un homme boiteux qui l’aurait torturé en Espagne. Il va réunir tout le monde chez le frère de Louie, et donne le blason qu’il a récupéré chez  les parents de Louie, et qu’il a fait monter en collier à Toni. C’est évidemment une provocation. Il va retrouver le docteur Skaas lors d’une nouvelle réception, après avoir bu avec eux, et grâce à l’aide de Toni, il va rechercher des preuves dans le bureau du docteur Skaas. Mais celui-ci arrive, il marche en vérité, il se révèle qu’il est le boiteux ! John apprend qu’il a été drogué, et le docteur Skaas pense que cette drogue va le faire parler car il recherche aussi le drapeau de la brigade de John. Mais au dernier moment alors que ses forces le lâchent, il parvient à tuer le docteur Skaas. Il prévient la police et laisse s’enfuir Toni qui lui a expliqué qu’elle avait fait tout cela parce que les nazis retiennent sa fille qu’elle a eu d’un mariage avec Otto. John lui demande de la rejoindre à Chicago où ils pourront enfin refaire leur vie avec moins de soucis. Toute la bande va être arrêtée L’inspecteur Tobin lui explique qu’Ab travaillait pour le gouvernement américain et qu’il a été tué parce qu’il avait trouvé des preuves contre le docteur Skaas en allant à Washington. Il se demande bien pourquoi John a laissé filer Toni. Mais celle-ci est rattrapée à l’aéroport alors qu’au lieu de prendre l’avion pour Chicago comme promis, elle tente de se rendre à Lisbonne où John a dissimulé le drapeau convoité. Elle va être arrêtée, et John la verra de loin essuyé une larme quand elle comprend qu’elle ne le reverra plus jamais. 

    Nid d’espions, The fallen sparrow, Richard Wallace, 1943

    John va s’installer chez son ami Ab 

    Certes le scénario contient beaucoup d’invraisemblances, et on ne comprend pas l’acharnement des nazis qui sont installés à grands frais aux Etats-Unis sous le couvert d’un statut de réfugiés, aient du temps à perdre avec une histoire farfelue de drapeau à moitié consumé. Également dès qu’on voit le docteur Skaas dans un fauteuil à roulettes, on sait qu’il est mauvais et qu’il est le coupable. Mais peu importe. Le sujet possède deux entrées, d’abord celle traditionnelle de la gauche américaine à cette époque et qui consiste à faire le lien directement entre la Guerre d’Espagne et la lutte contre les nazis. C’est donc un film qui est conçu dans le but de raffermir la lutte des Américains contre les nazis. On sait que cette lutte n’allait pas de soi, et que jusqu’à Pearl Harbor, alors que Roosevelt poussait à l’entrée en guerre, l’opinion américaine y était plutôt hostile. Mais The fallen sparrow n’est pas un film de propagande. Il va justement travailler dans le sens de l’ambigüité des différents protagonistes. Par exemple il met l’accent sur le fait que les réfugiés sont des faux réfugiés et qu’ils profitent ainsi de la naïveté des Américains. Ensuite ces mêmes nazis poursuivent un plan personnel de vengeance. Le docteur Skaas est manifestement obsédé par son désir de puissance et de domination. C’est un homme cruel bien au-delà de ce qui est nécessaire pour mener à bien sa mission. De même John est obsédé par l’idée de vengeance de son ami, en effet, il culpabilise de ne pas avoir été capable de rendre la monnaie de sa pièce à celui qui lui avait autrefois sauvé la vie. Sa déception sera immense quand il apprendra qu’en réalité Louie ne lui a pas sauvé la vie et qu’en fait on a facilité son évasion. L’atmosphère de ce film est particulièrement brumeuse, il neige sur New York, mais surtout la conscience de John est troublée par les séquelles de son emprisonnement et de ses tortures. En permanence il ne sait pas si ce qu’il vit est réel ou imaginaire. Il doit découvrir la vérité pour retrouver sa sérénité. 

    Nid d’espions, The fallen sparrow, Richard Wallace, 1943

    Le docteur Skaas est un réfugié handicapé 

    Ce trouble il va le ressentir quand il doit choisir entre les trois femmes qui ont peut-être joué un rôle dans la mort de Louie. Cette difficulté est la conséquence de ses tortures, il a été en quelque sorte émasculé. Quand Barby le serre dans ses bras, il est glacial et s’en éloigne. Et comme par hasard c’est la plus mauvaise des trois qui l’attire le plus comme s’il voulait se rapprocher encore plus de ses bourreaux. Comme on le voit la question sexuelle est centrale, elle révèle un homme troublé qui assume difficilement ses désirs. De ce point de vue Toni Donne est plus simple. Elle désire John, sans pour autant vouloir abandonner ses propres idées politiques, sans trahir ses partenaires. Elle est donc capable de dissocier ses devoirs et ses désirs. Cela est très moderne et lui donne une force que John ne peut pas avoir. Elle le roulera jusqu’au bout.  

    Nid d’espions, The fallen sparrow, Richard Wallace, 1943

    Whitney Parker va lui donner des renseignements sur la mort de Louie 

    John est donc bien un homme faible, un sentimental qui doit se rassurer en permanence sur ce que les autres pensent de lui, il marche à l’amitié. Et d’ailleurs quand il traque les espions allemands il semble le faire plus pour venger un ami que pour défendre des positions politiques. Sans renier l’importance de lutter contre le nazisme, l’histoire montre que pour une certaine classe sociale c’est aussi un peu une sorte de hobby. Les Skaas et sa bande au fond appartiennent bien à la même classe sociale que ceux qui organisent les meetings pour les réfugiés. Il y a en creux une critique implicite de ce « spectacle » qui est extrêmement intéressante. Ce point de vue ne pouvait que plaire à John Garfield qui venait lui-même des classes inférieures. Il y a d’ailleurs un aller-retour intéressant, entre les amis de John qui appartiennent à la haute société et les parents de Louie qui vivent dans un univers pauvre et laborieux, c’est là qu’il se sent le mieux au fond. Et d’ailleurs c’est à la famille Lepetino qu’il confiera le précieux trophée sur lequel les nazis veulent mettre la main, c’est en eux qu’il a confiance, et en personne d’autre. 

    Nid d’espions, The fallen sparrow, Richard Wallace, 1943

    John a rendez-vous avec la belle Toni Donne 

    Parmi les autres ficelles du film noir qui sont utilisées ici, il y a par exemple le fait que le docteur Skaas est dans un fauteuil à roulettes, on comprend tout de suite qu’il s’agit d’une fourberie pour peu qu’on ait en effet visionné un grand nombre de films noirs. En se camouflant dans le rôle d’un handicapé, l’image éveille la pitié et donc présente un leurre pour le spectateur. Encore que par la suite on apprendra à mieux se servir du fauteuil à roulettes comme un révélateur de l’ambiguïté de son occupant. D’autres images des escaliers de secours, typiquement newyorkais renforcent l’importance de la nuit et des éclairages latéraux. 

     Nid d’espions, The fallen sparrow, Richard Wallace, 1943

    John provoque Toni 

    Sans être étincelante, la mise en scène est bonne. Certes parfois le rythme ralentit un peu. Mais l’ensemble est relevé par la superbe photo de Nicholas Musuraca, l’un des plus grands photographes des films noirs classiques avec John Alton, bien entendu.  Musuraca est tout de même celui qui fit la photographie de Stranger from the third floor de Boris Ingster[3] qu’on considère maintenant comme le premier film du cycle classique du film noir. La liste des chefs-d’œuvre du film noir auxquels il a participé est longue et impressionnante. Il a atravaillé avec Jacques Tourneur sur Out of the past ou sur Cat people. Avec Siodmak il a fait The spiral staircase, avec John Brahm The locket, etc. il a donc été l’un de ceux qui ont fixé les codes du genre. Ici les éclairages sont magnifiques et donne une esthétique tourmentée à l’ensemble. Tourné en studio, il y a de magnifiques scènes avec des escaliers, le monumental escalier chez le riche docteur Skaas, puis l’escalier sombre et branlant des Lepetino. Wallace use beaucoup des plans larges avec des mouvements de caméra assez lents de façon à ne pas les faire remarquer par les spectateurs, c’est le cas quand Whitney va découvrir le corps d’Ab. 

    Nid d’espions, The fallen sparrow, Richard Wallace, 1943

    Whitney découvre le corps d’Ab 

    En vérité ce sont plutôt les enchaînements entre les scènes qui posent problème et qui ralentissent l’action. Du reste les scènes d’action ne sont pas flamboyantes, pourtant le sujet s’y serait prêté. C’est le cas quand John entre chez Whitney par la fenêtre. On remarquera au passage que les fenêtres jouent dans ce film un rôle important. Dès le début John se regarde dans la fenêtre du compartiment qu’il occupe dans le train, tout en voyant le trafic au-delà de cette vitre ! C’est comme s’il n’arrivait pas à franchir un pas alors que tout l’incite à sortir de sa torpeur et à rejoindre la réalité. Quand il rentre par la fenêtre chez Whitney, il est évident qu’il s‘agit d’un retour en arrière, comme s’il revenait dans le ventre de sa mère pour y trouver une protection. 

    Nid d’espions, The fallen sparrow, Richard Wallace, 1943

    John a réuni tout le monde pour tenter de faire la lumière 

    L’interprétation c’est évidemment et d’abord John Garfield qui est excellent comme presque toujours. C’est lui qui a révolutionné le jeu des acteurs de cinéma, Bogart lui-même n’était pas le même avant et après John Garfield. Dans le rôle de cette épave qu’est le malheureux rescapé des geôles franquistes, on dirait qu’il anticipe les misères que lui fera subir par la suite la canaille de l’HUAC. Derrière lui il y a Maureen O’hara dans le rôle de la traitresse Toni Donne, elle promène sa beauté hiératique pour donner du mystère à l’histoire. Ultra sophistiquée, elle a le statut d’icône et s’en sort très bien. D’ailleurs toutes les femmes de ce film sont très bien, Patricia Morison qui incarne Barby est excellente et très jolie. Martha O’Driscoll est Whitney, c’est un peu le contrepoint, chanteuse de cabaret, elle doit travailler pour gagner sa vie et reste beaucoup plus simple que les deux autres. Du côté des mâles, c’est moins bien, si John Miljan est très bon dans le rôle du flegmatique inspecteur Tobin, Walter Slezak est franchement mauvais dans le rôle, totalement éteint. 

    Nid d’espions, The fallen sparrow, Richard Wallace, 1943

    Tobin, le policier, consent à dire ce qu’il sait 

    C’est, malgré les défauts que nous avons soulignés, un très bon film noir, avec un final rempli d’amertume. On le trouve heureusement dans de bonnes copies aujourd’hui. Le film avait été tourné en 1942, mais comme Howard Hugues avait racheté la RKO, il ne voulait plus le sortir, sans doute le trouvait-il trop rouge et trop anti-nazi. Mais quand le film sortit enfin, il eut non seulement une excellente couverture de presse, mais il fut un grand succès commercial aussi. Bien que ce film revendique un engagement politique, ce n’est peut-être pas là le principal, mais il faut le comprendre dans le développement de l’esthétique du film noir. 

    Nid d’espions, The fallen sparrow, Richard Wallace, 1943

    John pendant le spectacle va fouiller le bureau du docteur Skaas 

    Nid d’espions, The fallen sparrow, Richard Wallace, 1943 

    John et les policiers comprennent que Toni les a trompés 



    [1] http://alexandreclement.eklablog.com/le-violent-in-a-lonely-place-nicholas-ray-1950-a176833476

    [2] http://alexandreclement.eklablog.com/et-tournent-les-chevaux-de-bois-ride-the-pink-horse-robert-montgomery--a127262758

    [3] http://alexandreclement.eklablog.com/l-inconnu-du-3eme-etage-stranger-on-the-third-floor-boris-ingster-1940-a127644450

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  •  The sopranos, David Chase, 1999-2007 

    La série télévisée, The sopranos, voit sa réputation perdurer une quinzaine d’année après son arrêt. Cette réputation a d’ailleurs donné récemment un film, The many saints of Newark, produit et distribué par Netflix c’est une préquelle très médiocre, comme tout ce à quoi touche Netflix. Certains pensent que cette série a révolutionné la manière de faire des séries. On peut dire en effet qu’elle a eu ensuite une influence sur des séries comme The wire (2002-2008)[1] et The Shield (2002-2008)[2], bien que ces deux séries s’intéressent plus à la police et à son travail qu’aux gangsters, elles visent aussi une sorte de vérité documentaire dont The sopranos est assez éloigné.  Dans la réalisation, The wire et The shield sont aussi plus cohérentes, moins déséquilibrées, évitant les digressions et les longueurs, tout en gardant ce qui est essentiel cette insertion dans la vie quotidienne qui mène inéluctablement à la critique de la société américaine. La série est faite de six saisons et de quatre-vingt-six épisodes.

    La source première de cette série se trouve dans le très bon The goodfellas de Martin Scorsese, sorti en 1990 et auquel David Chase a emprunté plus . On y retrouve des mafieux traficotant de droite et de gauche un peu partout, drogue, vol de camions, magouilles dans les travaux publics, des psychopathes, et des gangsters prompts à se trahir les uns les autres. Une partie de la distribution de The sopranos est d’ailleurs empruntée à The goodfellas. A ce dernier film la série emprunte aussi sa manière découper l’histoire en une succession de petites vignettes qui parfois amènent des digressions fort malvenues. Une vingtaine d’acteurs de la série viennent de chez Scorsese. S’il y a des personnages très nombreux, ce n’est pas pour autant une série chorale, le fil directeur est le personnage de Tony Soprano qui est une synthèse de tous les mafieux qu’on a vu à l’écran, pour le meilleur et pour le pire. 

    The sopranos, David Chase, 1999-2007 

    La fabrique de saucisse est aussi le quartier général du clan Soprano 

    La série qui se déploie sur six saisons et sept années raconte les aventures de Tony Soprano qui est à la tête d’une famille qui travaille pour le boss, son oncle Corrado Soprano, le frère de son père. Les choses ne se passent pas très bien parce qu’oncle junoir veut imposer sa loi et Tony est très rétif, d’autant que l’oncle est particulièrement gourmand. Il a également des soucis avec sa famille, sa femme qui se sent délaissée et ses enfants sur lesquels il perd son autorité. Cette situation stressante le conduit à suivre en cachette des séances de psychanalyse pour tenter de conjurer ses crises d’angoisse. Rapidement il se crée un lien ambigu entre Tony et le docteur Melfi, l’attirance entre les deux est visible, mais la psychanalyste refuse de s’avancer, se retranchant derrière sa déontologie. L’autre souci de Tony, c’est sa mère qui le martyrise en permanence, alors qu’il s’en occupe pour le mieux. Le FBI est également sur son dos et tente de le piéger en installant un dispositif de surveillance mais aussi en tentant de retourner des membres du gang de Tony. Ce dernier est cependant assez rusé pour déjouer les pièges, et obtenir des informations auprès de flics corrompus. Les ennuis vont s’amplifier avec l’installation à Newark de Johnny Sack qui cherche à profiter de la situation pour ramasser de l’argent. Lors d’un voyage à Naples pour y vendre des voitures de luxe, Tony rencontre une femme chef de gang – la plupart des hommes sont en prison – il est séduit, et il va obtenir d’elle qu’elle lui donne un homme de main, Furio, qu’il ramènera dans le New Jersey. Tony va s’arranger pour mettre son oncle sur la touche, tout en le laissant officiellement chef du clan. Lors du décès de la mère de Tony apparaît sa sœur qui tente de s’approprier la maison de sa mère et qui va se rapprocher d’oncle junior. Le petit Richie sort de taule après une longue peine et va se mettre en ménage avec Janice, la sœur de Tony, tout en cherchant à obtenir de lui des avantages pécuniaires. Richie disparaitra mystérieusement. Tony peut compter pourtant sur Chris, son neveu dévoué, sur Silvio son consigliere avisé, et sur le violent Paulie pour l’épauler. La mort de Carmine va précipiter la guerre. Si Johnny Sack joue un jeu ambigu, Phil Leotardo qui a des ambitions pousse à mettre la main sur les affaires de Tony. Entre temps Chris passe son temps à se droguer, et son histoire d’amour avec Adriana tourne au vinaigre, d’autant que le FBI la piège et la menace de la faire tomber pour trafic de drogue. elle finira par avouer à Chris qu’elle fait un peu l’indicateur pour le FBI et ce sera évidemment son arrêt de mort. Carmela en plein bovarysme prend un amant qui se révèle un pleutre et qui s’enfuit. Puis elle tourne son regard vers Furio, mais celui-ci préfère reprendre l’avion pour Naples. Meadow est tombée amoureuse d’un voyou qui fait semblant de faire des études mais qui est le fils d’un parrain récemment décédé d’un cancer. Comme il est toujours en train de monter des combines qui ne tiennent pas debout, il va lui aussi se faire assassiner. Puis ce sera le tour de Ralph Cifaretto qui sera tué par Tony, puis décapité, démembré et ses restes seront dispersés. La santé mentale de l’oncle Corrado se dégrade de plus en plus, il s’égare dans la ville, et un jour il en viendra à tirer sur Tony, l’envoyant à l’hôpital dans un état très grave. Entre la vie et la mort, Tony rêve, mais sa situation va permettre à Carmela de lui renouveler son amour, et quand Tony sortira de l’hôpital, ce sera un soulagement pour tout le monde et une nouvelle lune de miel. Cependant si Meadows semble trouver un équilibre en progressant dans ses études et en entamant une nouvelle liaison avec un étudiant, AJ, le fils de Tony est de plus en plus déprimé, au point qu’il fera une tentative de suicide dans la piscine de son père qui heureusement le sauvera. La guerre ne s’arrête pas pour autant, et à la mort de Johnny Sack pour cause de cancer, Phil Leotardo veut en finir avec le clan Soprano. Mais c’est bien entendu lui qui y passera. Chris mourra lui dans un accident de voiture avec Tony et c’est celui-ci qui l’achèvera, se débarrassant d’une sorte de boulet. 

    The sopranos, David Chase, 1999-2007 

    Chris arrête un camion pour le dévaliser 

    Série sur la mafia, elle recycle la plupart des tics narratifs et visuels du genre avec des références privilégiées aux films de Martin Scorsese qui fera d’ailleurs une petite apparition dans la série. The godfather est bien moins présent, si ce n’est pour illustrer l’imaginaire des mafieux dont c’est l’horizon culturel et l’idéal. Cette référence explicite et revendiquée va définir en quelque sorte les normes esthétiques. En effet dans The goodfellas, sans doute plus encore que dans Casino, les mafieux étaient décrits dans une forme de quotidien dérisoire et souvent grotesque, pour ne pas dire mesquin et souvent à la limite de la stupidité à cause de leur méfiance qui souvent allait s’avérer néfaste à leurs affaires. On ne trouvera dans The Soprano aucun glamour, ni aucune grandeur comportementale. Il y a une volonté claire de rabaisser ce petit milieu sur le plan moral, même si par contraste le milieu bourgeois, représenté par le docteur Melfi ne semble pas bien meilleur humainement. Il semble qu’une grande partie du succès de la série provienne de ce cynisme affiché qui correspond à cette époque où l’Amérique, victime des attentats terroristes, est apparue comme en voie d’effondrement dans à peu près tous les domaines. C’est pourquoi Tony Soprano évolue en permanence comme à la recherche de son identité, il se heurte à la réalité du rêve américain, mesurant qu’il y a avec la vie réelle, qu’on soit riche ou pauvre d’ailleurs. En même temps que le quartier italien de Newark se réduit, ses repères disparaissent, il ne sait plus pourquoi il se bat et ni contre qui.

    Il va donc y avoir en alternance des scènes de la vie de famille, des séances de psychanalyse et des actions violentes, racket, meurtres, trahisons. On aura droit au défilé des turpitudes sexuelles des différents protagonistes qui fréquentent le Bada Bing, un club de strip-tease qui sert aussi comme Sartiale de quartier général. 

    The sopranos, David Chase, 1999-2007 

    Des juifs orthodoxes viennent demander de l’aide à Tony Soprano 

    Le racisme est dans l’ADN du pays depuis ses origines. Les Etats-Unis ne sont jamais arrivés à sortir de cette lutte des races qui se traduit par le fait que chacun se positionne du point de vue de ses origines ethniques, si dans un premier temps cette logique renforçait le pouvoir des WASP – white anglo-saxon protestant – qui se définissaient comme la norme à atteindre, cette logique est maintenant reprise par des minorités éclatées. Ce que décrit cette série ce sont aussi les débuts du développement de ce qu’on appelle maintenant le wokisme. L’Amérique est envahie et travaillée par le politiquement correct qui aboutit à la destruction d’une sorte d’universalisme. On verra évidemment les mafieux se présenter comme des victimes, en ce sens que venant d’un pays très pauvre, les immigrants dont ils sont issus ont été mal accueillis et ont dû se faire une place en s’orientant vers les affaires criminelles. C‘est évidemment une légende ou une excuse et Tony en est bien conscient. Mais ce positionnement qui leur permet de s’enfermer dans un communautarisme va se heurter inévitablement aux revendications des autres minorités. D’abord on verra les noirs à travers la figure du premier amant de Meadows la fille de Tony, un métis. Comme il se sent rejeté par Tony, il prendra le prétexte du racisme du père pour larguer Meadow. Il est incapable de distinguer Meadow de sa famille et pour tout dire ça l’arrange. Ensuite le gang de Tony a affaire à des Juifs. On en verra de deux sortes. D’abord des orthodoxes qui viennent transactionner avec lui pour utiliser ses compétences criminelles à leur profit en contournant la loi pour récupérer une partie du capital d’un hôtel. Ils sont l’objet de moqueries de la part des amis de Tony, à cause de leur accoutrement. Et puis il y a le partenaire juif de Tony, Hesh, qui, lorsqu’il veut récupérer l’argent qu’il lui doit est renvoyé à ses origines qui le supposent avare. Hesh le vivra très mal. Mais tout cela est dépassé par le fait que la série s’attarde sur la question des Amérindiens, cette population de l’Amérique qui a évidemment le plus souffert de la colonisation et qui a toujours eu le plus grand mal à se faire entendre, contrairement aux hispaniques, aux noirs ou aux italo-américains. On va voir des Indiens qui s’opposent aux italo-américains qui ont l’idée saugrenue de commémorer Christophe Colomb que les Amérindiens considèrent comme l’égal d’Hitler. On les verrait bien déboulonner sa statue comme c’est la mode aujourd’hui. Evidemment pour les mafieux Christophe Colomb est un héros qu’il faut défendre comme la meilleure part de l’immigration italo américaine. Cela va déclencher des bagarres bien entendu, mais aussi des explications. Hesh, le plus conscient des dégâts des luttes des races, défend les Amérindiens au motif que ce sont bien eux qui ont le plus souffert puisqu’ils ont été colonisés, génocidés et volés dans les grandes largeurs. Mais cette logique discriminatoire sur laquelle a été fondé le pays se retourne maintenant, on va voir aussi que les Amérindiens sont représentés par un individu qui n’est Indien désigné que parce qu’il a une goutte, peut-être un huitième, de sang indien. Lui-même ne sait pas vraiment quelles sont ses origines véritables, mais il sait qu’en se disant Indien, il va pouvoir exploiter son casino et faire des affaires ! Quand Tony monte une magouille immobilière qui consiste à acheter pour une bouchée de pain des immeubles à l’abandon, puis a les rénover avec l’aide de la municipalité, et ensuite de les revendre à un prix fort, il a besoin de Ron Zellman, un conseiller municipal manifestement juif, et de Maurice Tiffen, le représentant des pauvres noirs. Tous les deux ont abandonné leur idéal de jeunesse, travailler pour un monde plus fraternel, et la défense des minorités est devenu un simple business.

    The sopranos, David Chase, 1999-2007 

    La mère de Tony passe son temps à le rabaisser 

    La virilité et la capacité pionnière de l’Amérique est remise en question. Comme le répète plusieurs fois Tony à sa psychanalyste, Où est passé Gary Cooper ? Les protagonistes doivent faire face à une sorte de loi d’entropie, les institutions allant toutes vers leur dissolution inexorable. Tony à la quarantaine au début de la série, c’est le moment de s’interroger sur la vieillesse qui va advenir et dont sa mère et l’oncle Corrado Soprano, dit junior, lui renvoient une image sinistre, bien au-delà de ce qu’il a pu souffrir dans sa jeunesse – son père le faisait marcher droit à coups de ceinture. C’est dans sa chair qu’il souffre de rencontrer le dégât de l’âge, et ce mouvement est renforcé par ses relations qui rencontrent des problèmes de santé. Vieillir ce n’est pas seulement un problème physique, la perte des cheveux, une prise trop importante de poids, c’est également la disparition des repères, le rétrécissement du quartier italien, son envahissement par des commerces sans âme et sans caractère. Il y a là sans doute une explication au fait que Tony ne s’intéresse pas au cinéma de son temps, mais seulement aux films qu’il peut regarder à la télévision, disons entre The public ennemy de William Wellman qui date de 1931 et The godfather des Coppola qui est sorti en 1972, cette période qui sans doute apparaîtra avec le temps comme l’âge d’or du capitalisme. Tony situe une partie de ses trafics dans la gestion des déchets – sa fille dira qu’il travaille dans l’environnement, il faut le dire vite parce qu’on verra qu’il se débarrasse aussi des déchets toxiques un peu n’importe où, à la manière de la mafia calabraise qui a empoisonné le sol de la Campanie. Mais il va aussi s’intéresser à des immeubles délabrés, à des zones industrielles abandonnées et qui sont comme une honte de ce qu’est devenu l’Amérique. Il est attiré par toutes ces vieilleries qui sont son commerce et son univers. Mais les rénovations qu’il chaperonne d’une manière ou d’une autre sont pire que le mal et il en est conscient. 

    The sopranos, David Chase, 1999-2007 

    Le curé est un vrai pique-assiette 

    C’est sans doute le plus curieux de la série, toutes les institutions dans leur ensemble sont minées par la corruption. Si celle de la police est traditionnelle dans les films de mafia, celle des autres formes l’est beaucoup moins. Les mafieux aiment mettre en scène leur dévotion, donner de l’argent à l’Eglise, et souvent le curé est compatissant, tente de les remettre dans le droit chemin. Mais ici rien de tel. Le père Intintola qui visite régulièrement les Soprano et qui sait très bien de quelle origine est la richesse de cette famille, se comporte en profiteur. Ce pique-assiette qui adore la cuisine de Carmela est aussi un allumeur, rendant folles ses paroissiennes. C’est la femme de Tony qui le remettra à sa place en l’engueulant copieusement et en le mettant à la porte de chez elle en lui expliquant comment hypocritement il joue du désir qu’il attise sans jamais passer à l'acte, un peu comme Léon Morin dans le film de Melville[3]. De même quand Paulie organise la fête annuelle à la gloire de Saint-Elzéar, l’Eglise par le biais de son jeune curé, marchande pied à pied ce que cela lui rapportera, couvrant ainsi le racket des forains qui animeront cette fête populaire. L’Eglise apparaît non pas comme indifférente ou aveugle à la criminalité, mais complice. Si les syndicats sont sous la coupe des mafieux et servent à n’importe quelle combine, ce qui est traditionnel dans le cinéma américain, la série porte un regard tout aussi critique sur le corps médical. Le docteur Melfi comprendra qu’elle-même est corrompue par sa fréquentation des Soprano, mais plutôt que de se remettre en question sur ce qu’elle est, une bourgeoise arrogante, elle préférera se séparer de Tony pour tenter de s’bsoudre de ses propres errements. Mais les autres médecins et les hôpitaux privés qui pratiquent des tarifs extravagants le sont tout autant, non pas par leurs compromissions directes avec ceux qu’ils soignent, mais par leur goût immodéré de l’argent qui excluent de fait les plus pauvres des soins les plus élémentaires. Tony remarquera amèrement que son séjour à l’hôpital quand il se trouve entre la vie et la mort est une forme de racket plus ou moins légal. Tout se passe comme si tout ce à quoi touche les Soprano était corrompu, et qu’en ce sens, les Sopranos ne pratiquaient qu’une forme particulière de racket dans une société profondément immorale. Le FBI n’est pas épargné par cette contamination. A cette époque, sous le second mandat de George Bush, le FBI devait mettre le paquet dans la lutte contre le terrorisme et délaisser la lutte contre le crime organisé, et l’équipe qui est chargée de la surveillance des Soprano, équipe qui prend le café régulièrement chez lui, va vendre des renseignements à Tony pour qu’il élimine finalement Phil Leotardo contre des indications sur deux Arabes qui sont en cheville avec Chris et qui semblent être les financiers d’une organisation terroriste. 

    The sopranos, David Chase, 1999-2007 

    Tony apporte des gâteaux à sa mère pour l’amadouer 

    La série est une longue méditation sur la vieillesse et la mort. Il y a beaucoup de vieux, la mère de Tony, l’oncle junior, Carmine Lupertazzi qui tentent désespérément de conserver leur pouvoir. Au-delà de la méchanceté de ces vieux qui pourrissent la vie de leur entourage, il faut les voir comme l’image d’une Amérique vieillissante qui n’admet pas cette modernité qui les bousculent. Le gang de Tony défend non seulement des « valeurs » héritées du passé, mais aussi des lieux de mémoire comme le vieux quartier italien. Ce combat est voué à l’échec. Le gang de Tony est miné de l’intérieur par des jeunes gens qui s’intéressent plus à l’argent qu’on peut gagner qu’à autre chose. Un des hommes de Tony hérite de deux millions de dollars, et ce faisant, il pense qu’il a maintenant les moyens de prendre une retraite en Floride. Mais Tony lui refusant cette opportunité, il se suicidera par pendaison, ne trouvant pas d’issue entre les exigences du clan et les récriminations de sa femme qui veut s’éloigner de ces turpitudes et rentrer dans le rang. Christopher, un des hommes les plus sûrs et les plus violents, pense lui aussi s’échapper en produisant et en réalisant des films. Mais la vieillesse de l’Amérique c’est aussi les maladies qui rongent les vieux mafieux, le cancer est fréquent. Jackie Aprile, le boss meurt d’un cancer, ce qui va mettre en route tout un processus de compétition pour essayer de prendre sa place. Paulie échappera au cancer de la prostate, tandis que Johnny Sack crèvera d’un cancer du fumeur et que Phil Leotardo doit subir plusieurs pontages. Dès lors on comprend que dans cette riche Amérique – celle de Bush à l’époque de la série – il est difficile de se soigner correctement. Les mafieux veulent tous des emplois fictifs, évidemment pour se construire un statut vis-à-vis de la loi, mais également pour couvrir les frais des maladie diverses et variées. Lorsque l’oncle junior tire sur Tony, celui-ci s’en va à l’hôpital et tout le monde ressent douloureusement le coût de cette hospitalisation. L’image de la vieillesse de l’Amérique est renforcée par la décomposition régulière de la santé physique et mentale de l’oncle junior qui, à la fin de sa vie, cloué dans son fauteuil à roulette, n’a même plus les moyens de conserver sa place dans une maison de retraite médicalisée de qualité. 

    The sopranos, David Chase, 1999-2007 

    Avec la psychanalyste, Tony tente de juguler ses crises d’angoisse 

    La contrepartie des problèmes de Tony avec les vieux et particulièrement sa mère est l’importance de sa relation avec la psychanalyste Melfi. Il y a plusieurs manières de lire cette relation. D’abord elle peut s’apparenter à une critique de la psychanalyse. Au mieux elle ne sert à rien, au pire elle aide le sociopathe à s’améliorer dans son métier. A l’aide d’une vague étude, Chase expliquera ainsi les raisons de l’abandon de Tony par le docteur Melfi : « Les gens ont tendance à oublier que Melfi était compromise dès le début ». Cet abandon met fin à une relation qui était une sorte de relation amoureuse, non seulement à cause du transfert qu’effectue Tony sur le docteur Melfi, mais aussi à cause de la fascination que Tony exerce sur elle. La série est un long défilé de psychologues, psychiatres ou assimilés qui évolue entre une forme avérée d’incompétence et une sorte d’escroquerie. Cette profession ne semble servir à rien. Mais la psychanalyse a aussi d’autres fonctions dans cette série sur le plan formel. On a remarqué que le bureau du docteur Melfi où elle reçoit ses patients est un espace clos et comme une sorte de matrice, et puis que cet espace est un lieu d’affrontement entre deux mondes. Melfi représente le savoir, le politiquement correct, la bourgeoisie lettrée, Tony est au contraire le trublion, celui qui dynamite le système et en démontre toutes les inépties. Il n’y a pas de gagnant, mais à la fin de ce combat, juste de la rancœur des deux côtés de cette relation. Cependant on peut trouver au fil des saisons que le caractère répétitif de cet affrontement est lassant. Mais c’est un des défauts récurent de la série, la répétition qui empêche ou retarde l’évolution des personnages. Ça tire complaisamment à la ligne si on veut.

    Toujours sur le plan de la forme, les séances de psychanalyse deviennent l’équivalent de la voix off, traditionnelle du film noir. C’est le commentaire. Elle introduit l’incertitude, l’ambiguïté des situations et l’image de situations qui sont à l’évidence sans solution. La seule issue est la mort, que celle-ci soit naturelle, la mère de Tony, ou le résultat d’un attentat. Dans ces méditations plus ou moins régulières, Tony cherche la voie de la réconciliation, pensant qu’ainsi il évitera de nouvelles crises d’angoisse. Mais cette réconciliation, que ce soit avec sa famille, sa mère, sa sœur, son oncle, ou avec les rivaux, est impossible. La seule chose qui soulage Tony c’est la disparition pure et simple de ses ennemis, mais ceux-ci ont l’art de se renouveler en permanence parce que dans ce monde-là la concurrence est violente et particulièrement instable, comme dans les formes primitives du capitalisme. 

    The sopranos, David Chase, 1999-2007 

    Un flic corrompu apprend à Tony qu’un de ses hommes travaille pour le FBI 

    La corruption de la police est la possibilité pour les mafieux d’obtenir des renseignements et de parer les attaques des autorités. L’informateur de Tony lui annonce qu’il couve dans son équipe un informateur, sans être capable de donner un nom. Mais ce n’est pas le bon que Tony va descendre, et en effet, il y en a plusieurs qui pour des raisons diverses et variées s’appliquent à trahir Tony. Ce policier profite des facilités de la vie de truand en fréquentant gratuitement un bordel. Mais pris entre deux feux, il va se suicider – un suicide de plus qui tend à démontrer qu’il n’y a aucun avenir à fréquenter la mafia. 

    The sopranos, David Chase, 1999-2007 

    Carmela trouve son mari négligeant 

    Malgré les défauts évidents de Tony et de son gang, la série est ainsi faite qu’on ne peut pas s’empêcher d’avoir de la sympathie pour eux, comme dans The godfather. On a donc une opposition entre des voyous raisonnables et attachants, comme Tony, Chris, Silvio, voire Baccalieri, des non-criminels comme Carmela, Angie ou même Meadow, d’un côté et de l’autre des emmerdeurs, au premier rang desquels on a des membres de la famille de Tony, Janice ou oncle junior, mais aussi les rapaces comme Richie, Ralph Cifaretto ou Phil Leotardo qui ont une soif de pouvoir impossible à satisfaire. Et même le tueur Furio nous apparaît sous un jour sympathique quand on comprend qu’il se meurt d’amour pour Carmela, alors qu’il est par ailleurs un vrai psychopathe qui massacre sans état d’âme qui on lui dit de massacrer. Si nous nous rangeons de fait dans un camp plutôt que dans l’autre, c’est que les valeurs portées par les « gentils » sont universelles, le sens de la famille et des responsabilités, une certaine forme de loyauté, même si ces valeurs sont constamment bafouées et même si cela nous ramène périodiquement à réviser l’ambiguïté des personnages. Mais cette ambiguïté est le fonds de commerce du film noir, et on admet aussi bien qu’il soit difficile de s’en tenir à la lettre aux règles qu’on s’est donné, comme le fait qu’un être humain est complexe et n’est pas tout d’une pièce. C’est bien pour ça que Tony va voir le docteur Melfi qui elle aussi est travaillé par l’ambiguïté. Elle fait semblant d’avoir une simple relation professionnelle avec Tony, mais elle est manifestement attirée sexuellement par lui et par le monde de la violence qu’il représente. On la sent parfois proche de céder, mais les tabous, la morale bourgeoise, sont les plus forts. 

    The sopranos, David Chase, 1999-2007 

    Tony n’apprécie pas Richie qui s’est mis en ménage avec sa sœur 

    Ces ambiguïtés font que la série est traversée par des conflits incessants qui ne peuvent se terminer que par la mort. Que ces conflits soient d’ordre familial ou d’ordre professionnel, ils décrivent une Amérique en proie au doute où personne ne peut s’entendre avec personne, c’est la guerre de tous contre tous, et la guerre des gangs n’en est qu’un aspect singulier. Les affrontements les plus importants se passent dans des espaces clos, que ce soit le cabinet du docteur Melfi, ou que ce soit la cuisine de Carmela, à l’abri des regards. Ça donne évidemment un côté claustrophobe, sans issue, à l’ensemble des relations. Si la plupart des affrontements tournent autour de la virilité des protagonistes, les femmes aussi sont totu autant capables de créer des problèmes. A commencer par la mère de Tony. C’est aussi le cas de Gloria Trillo, la vendeuse de voitures dépressive, qui n’arrive pas à gagner sa guerre avec Tony et qui ne trouvera comme solution, après s’être battue physiquement avec lui, que de se suicider pour lui laisser toute la culpabilité de la rupture. La série décrit donc bien des femmes sur la voie de l’émancipation ! 

    The sopranos, David Chase, 1999-2007 

    Chris est tenté par le cinéma 

    Le cinéma joue un rôle central dans cette série. Non seulement parce qu’elle emprunte des formes et des thèmes au cinéma, mais parce que le cinéma est une composante du mode de vie des mafieux. Le cinéma c’est le reflet d’eux-mêmes que cette industrie leur renvoie. C’est leur culture et leur justification, c’est au fond le pendant de la psychanalyse, le cinéma leur procure des comportements et des allures qui les habillent en encadrent leur folie. Le cinéma a très longtemps fasciné les gangsters et réciproquement. Ces deux mondes entretiennent des rapports incestueux. On verra par exemple Silvio se lancer dans des imitations cocasses d’Al Pacino. Bien entendu, c’est The godfather qui est le mètre-étalon de tout ce qu’ils font, mais ils sont bien aidés en cela par la fascination que ce film a engendré en dehors même de la pègre et qui présente la mafia comme un idéal de force, de virilité et d’honneur, bien plus attirant que la vie ordinaire. Le fils de Tony se fait respecter à l’école sans rien faire du tout, simplement parce qu’on murmure qu’il est le fils d’un parrain. En grandissant, alors qu’il est un adolescent complexé et dépressif, la référence qu’il renvoie à son entourage va lui servir de clé pour pénétrer un milieu qui n’est pas le sien. Mais plus encore, les Soprano vivent avec le cinéma et cela a plusieurs significations, d’abord ils se réfèrent à peu près tous à un cinéma du passé. Tony Soprano repasse en boucle The public ennemy de William Wellman et qui remonte à 1931. Il s’identifie manifestement à James Cagney, un dur de dur, qui n’hésite pas à écraser un pamplemousse sur la figure de sa concubine, ce qui fait rire Tony. On remarquera que dans The public ennemy la mère de James Cagney tient un rôle décisif. Si elle est compatissante comme beaucoup de mères de gangsters au cinéma, elle renvoie pourtant à une autre mère de James Cagney, précisément à Ma Jarett de White heat, le film de Raoul Walsh sorti en 1949, or cette mère est abusive, car contrairement à ce que disent Frédéric Foubert et Florent Loulendo[4] qui semblent mieux connaître les séries télévisées que le film noir, les films de gangsters sont aussi l’occasion de mettre en scène des mères abusives et criminelles, par exemple, Bloody Mama de Roger Corman, 1970, ou The Grissom gang de Robert Aldrich en 1971. Cette référence au cinéma retrouve sa cohérence avec le fait que Tony est la victime de sa mère, au fond c’est pour elle qu’il s’est appliqué à être un gangster efficace. David Chase se complaisait à dire qu’il avait pris pour modèle de Livia, la mère de Tony, sa propre mère qu’il décrivait comme méchante et possessive. 

    The sopranos, David Chase, 1999-2007 

    Furio va secouer ceux qui sont en retard dans les paiements 

    Mais Carmela sa femme organise aussi chez elle une sorte de mini-ciné-club pour profiter de l’excellent et coûteuse installation home-cinéma de son mari avec ses copines. Elle passe principalement des films du passé, et ses séances s’arrêteront avec The godfather, évidemment. Le cinéma devient alors un objet de nostalgie, du temps qu’on allait le samedi soir voir des films populaires. Il a laissé sa place à la télévision, comme si les séries étaient une forme originale et moderne de fiction. Le cinéma c’est le passé, la culture, toute la culture presque des Soprano. Mais cela indique aussi que David Chase pense que sa série est un dépassement du cinéma ! C’est une manière d’auto-congratulation qui se discute. Le cinéma dans son usage post-moderne est l’aboutissement de la tyrannie de la société de consommation. Les films ne sont plus que des pièces de musée, peu importe leur qualité intrinsèque, ils sont des objets de consommation courante destinés à combler l’ennui. Pour Carmela il s’agit clairement du refus de lire Madame de Bovary de Flaubert et donc c’est une manière de refuser son bovarysme. 

    The sopranos, David Chase, 1999-2007 

    Adriana aime Chris et le lui montre 

    Parmi les personnages les plus attachants de cette série, on trouve le couple formé par Chris Moltisanti et Adriana La Cerva. Ils sont manifestement tous les deux paumés. Le premier qui est un tueur de premier plan, impulsif et violent, se raccroche autant qu’il le peut à Tony qu’il prend pour son père mais qu’il déçoit constamment, comme Tony qui décevait constamment sa mère, quoiqu’il fasse. Adriana qui se veut moderne et émancipée, sans toutefois tremper dans les combines du clan, se raccroche désespérément à Chris, même quand il la bat parce qu’il est jaloux, sans raison véritable. Quand le FBI la piège pour des histoires de drogue, elle a beau délayer, elle entre de plein pied dans le drame. Elle en mourra d’ailleurs et disparaîtra lorsque Chris comprendra qu’elle compromet le clan tout entier. Cette disparition affectera profondément Chris qui, bien qu’il se remariera et aura un enfant, ne retrouvera plus jamais cette complicité qu’il avait avec une autre réprouvée comme Adriana. L’histoire pathétique de ce couple est tout à fait shakespearienne. En effet, sur cette histoire d’amour plane en permanence l’ombre de Tony. Non seulement il aura la tentation de baiser Adriana dans une forme de droit de cuissage moderne, mais c’est lui qui organisera l’assassinat d’Adriana, comme s’il ne supportait pas le romantisme de cette relation entre deux drogués. On remarquera au passage que le FBI joue un rôle déterminant dans la mort d’Adriana en lui donnant une mission qu’elle est incapable d’assumer, entre autres parce qu’elle ne veut pas faire de mal à Chris. 

    The sopranos, David Chase, 1999-2007 

    Pussy doit porter un micro pour trahir Tony 

    L’ensemble des personnages du gang de Tony sont tout de même très sournois, Tony lui-même est frappé de cette maladie. Il ne fait confiance à personne, ni à sa femme, ni au dévoué Chris qui le sait et qui en ressent beaucoup d’amertume. Le pire est sans doute Johnny Sack qui retient sournoisement les informations pour semer la zizanie entre Tony et Carmine, puis entre Tony et Leotardo. Mais il va être puni, atteint d’un cancer rapide, il n’aura pas le temps de mener à bien son plan, être maître à Newark comme à New York. Les raisons de mentir sont nombreuses. S’il y a la volonté de faire avancer ses pions dans la hiérarchie mafieuse, il y a aussi la trahison pure et simple en travaillant pour le compte du FBI. Mais les traitres sont tellement nombreux que Tony se trompera sur l’indicateur. Il assassinera la mauvaise personne, puis, le vrai indicateur étant décédé de mort naturelle, il découvrira que le fidèle Pussy s’est fait également piéger et le noiera en mer. Ces traitres sont le complément de la surveillance permanente des mafieux. S’il s’ensuit un jeu naturel entre le chat et la souris, les trahisons amènent des configurations d’alliance à géométrie très variable. Bien que les mafieux présentent la collectivité – l’organisation – comme une entité supérieure aux individualités, ils poursuivent tous dans l’ombre des objectifs personnels plus ou moins performants. En tant que parrain du gang, Tony reçoit des sortes de rentes sur toutes les activités de rackets, il sait que ceux qui le payent le volent, mais c’est la règle non écrite, tant que l’argent rentre, personne ne trouve à redire à ces petits arrangements. 

    The sopranos, David Chase, 1999-2007 

    Tony répudie sa maîtresse russe

    Le sexe est omniprésent dans les discussions des uns et des autres. La plupart sont mariés, mais ils ont une maitresse plus ou moins officielle, ce qui ne les empêche pas d’aller se faire sucer par les strip-teaseuses aux seins siliconnés du Bada Bing. Cette débauche d’activité sexuelle débouche parfois sur des pratiques scabreuses, c’est le cas de Ralph qui entame une liaison torride avec la sœur de Tony, mais aussi celui du gros Vito Spatafore qui révèle des penchants homosexuels qui ne sont pas du goût de son milieu. Il sera d’ailleurs assassiné sous ce prétexte. On note à ce propos que Tony se révèle plus conciliant que la moyenne des autres mafieux, essayant même de lui sauver la mise. En tous les cas, les relations sexuelles se divisent en deux groupes, celles qu’on peut avoir avec son épouse avec qui on fonde une famille, et celles qui relèvent de la simple consommation. Chris est encore plus frénétique que Tony, il monte sur tout ce qui bouge et se drogue pour mieux faire la fête, passant de la coke à l’héroïne. Curieusement celui qui parait le plus fidèle c’est le fourbe Johnny Sack qui est amoureux de sa femme qui pourtant pèse 200 kilos pour un mètre cinquante et qui passe son temps à manger des gâteaux. Souvent on a l’impression que le sexe est une manière de conjurer le danger, histoire de se prouver qu’on est encore en vie au moins pour quelque temps. Il serait pourtant abusif de voir dans les relations hommes-femmes de simples relations de domination. C’est presque l’inverse. Si Carmela a du mal à se cantonner dans son rôle de femme au foyer, elle le fait savoir et manifeste avec ses copines des velléités d’indépendance. On sent que les hommes, aussi durs soient-ils, sont complètement dépassé par le rôle qu’ils devraient endosser. L’antipathique Janice, la sœur de Tony, non seulement lui tient la dragée haute et le manipule, mais elle est l’élément dominant dans les couples qu’elles forment et qui ne durent pas, que ce soit avec le sinistre Richie, avec le gourou californien qui s’endort aussitôt qu’il est assis, Ralph qu’elle jette dans les escaliers de sa maison, ou encore le bon gros Baccalieri. Il y a également le portrait très étonnant de Svetlana, la bonne polonaise, unijambiste et voleuse qui finit par avoir une relation sexuelle avec Tony, toutefois après avoir récupérer sa jambe artificielle que Janice lui avait volée ! 

    The sopranos, David Chase, 1999-2007 

    La mère de Tony est morte 

    Ce milieu mafieux est travaillé par l’idée d’une mort imminente. Celle-ci rode autour d’eux en permanence et on va très souvent à un enterrement. Les rêves de Tony sont très nombreux, parfois très longs et répétitifs, notamment quand il se trouve dans le coma à l’hôpital, ça tire à la ligne. Mais ces rêves lui parlent toujours de la mort, soit de la sienne, soit de celle de très proches. C’est très difficile de filmer des rêves, Hitchcock s’y est cassé le nez à plusieurs reprises que ce soit dans Spellbound en 1945film dans lequel la référence à la psychanalyse est décisive – ou dans Vertigo en 1958 où les héros masculins sont travaillés eux aussi par des crises de panique. Et bien sûr David Chase n’y arrive pas non plus, et il y arrive d’autant moins que ces rêves durent et deviennent une histoire dans l’histoire. Il y a deux moments de rêve, le premier a trait à la trahison de Pussy et Tony retrouve au bord de mer ses acolytes, mais il doit faire face à un poisson qui parle – le poisson étant le symbole de la religion catholique, on peut se demander si Chase a fait le rapprochement. C’est d’autant plus pénible que les trucages sont mauvais. Le second c’est lorsque Tony se trouve à l’hôpital et qu’il doit faire face à deux problèmes, une perte d’identité, il devient un simple voyageur de commerce du nom de Finnerty, subissant un déclassement inattendu, et il doit affronter des moines bouddhistes particulièrement revendicatifs. Il se retrouve alors dans une situation précaire et sans issue. Ces séquences très dilatées plombent le récit et le surchargent lourdement. 

    The sopranos, David Chase, 1999-2007 

    Johnny Sack est venu s’installer dans le New Jersey 

    La consommation et sa critique sont au cœur de la série. Elle ne s’explique plus depuis longtemps par la nécessité, mais par la compétition entre les individus. Les enfants de Tony et de Carmela portent cette critique, même si c’est d’une manière désordonnée et souvent à contretemps ou encore dans une volonté de se distinguer de leurs parents. Un des enfants citera d’ailleurs The theory of the leisure class de Thorstein Veblen[5]. AJ est le plus virulent en la matière. Mais il n’est pas besoin d’un portevoix pour la comprendre. Dès que Carmela se voit offrir un manteau de fourrure ou un bijou de prix, elle frétille et est prête à tout pardonner à son mari infidèle. Il lui offrira aussi une Porsche Cayenne alors qu’elle n’en a manifestement pas besoin. AJ critiquera cette tendance consommatrice qu’il croit devoir refuser. On voit d’ailleurs que les femmes sont les plus accrochées à la consommation. Adriana a le même comportement avec les objets que lui offre Chris, elle les prend comme des preuves d’amour. Cette volonté critique induit de filmer les objets comme des formes de prison tout à fait modernes. La maison dont Tony est si fier, ressemble, lorsque les enfants ne sont plus là, à une coquille vide et sans signification. Carmela met tout dans l’idée de maison et de famille. Quand elle se lancera dans une activité professionnelle, c’est vers l’immobilier qu’elle se tournera. Les maisons sont le signe de la séparation d’avec le monde, un enfermement volontaire. Tony est double, en ce sens que sa vie se gagne dans les rues sordides, mais que c’est dans sa maison luxueuse et richement décorée qu’il se réfugie comme pour se protéger de fréquenter l’infréquentable. Ce n’est pas non plus un hasard s’il tombe sous le charme d’une femme qui achète et vend des maisons. C’est le symbole de la propriété et de la réalisation de soi. Et c’est avec elle qu’il fera des affaires, espérant au passage pouvoir la baiser. Malheureusement pour Tony, elle lui préférera le drogué Chris qu’elle a rencontré dans des réunions destinées à les remettre sur pied, pour s’envoyer en l’air. Beaucoup de scènes tournent autour de la maison. La cupide Janice tente de mettre la main sur la maison de sa mère, une manière de réintégrer son ventre, mais elle se contentera de devenir la maitresse de la maison de Baccalieri. Elle aura tenté auparavant de se faire offrir par Richie Aprile une maison qui puisse entrer en compétition avec celle de son frère. Johnny Sacks fera faire le tour du propriétaire à Tony pour démontrer que sa nouvelle maison vaut bien la sienne. La réalisation s’attarde aussi sur les automobiles qui donnent un sentiment de puissance qui va bien avec le reste. Tony se fait aussi de temps à autre conduire, comme tous les patrons du crime. En a-t-il besoin ? On ne sait pas trop. On remarque aussi que les accidents sont très nombreux, comme si c’était une spécificité du métier. 

    The sopranos, David Chase, 1999-2007 

    Tony explique à Ralph qu’il ne le nommera pas capo 

    Dans la série, on mange énormément. Chez Carmela l’immense frigo est toujours plein, il est un passage obligé de tous les membres de la famille, y compris le curé ! On ne mange pas vraiment par goût, mais goulument, par compensation. Il y a beaucoup de gros dans cette bande. Tony est très enveloppé malgré sa carrure puissante, ça se voit. Ginny l’épouse de Johnny Sack est énorme et se remplit la panse de gâteaux. La famille Baccalieri est également frappé du même mal de père en fils. Et Vito Spatafore, le mafieux homosexuel a des difficultés à se mouvoir tellement il est gros. C’est l’image d’un handicap, peu de fluidité dans les mouvements, mais on ne peut pas s’empêcher de manger et de boire. C’est un rituel également que de banqueter avec tout le monde. Et lorsqu’il faut payer l’addition, cela donne lieu à des affrontements larvés entre Paulie et Chris. Payer, les mafieux n’aiment pas ça. Tony a ses habitudes chez Arthur, un ancien camarade de lycée passionné de cuisine. Son restaurant, le Vesuvio, se veut à la fois familial et de qualité. Mais Tony qui est aussi très gourmand refuse de payer la note, il compensera cependant cette forme d’avarice par le fait qu’il aidera Arthur à remonter la pente dans les moments difficiles. En tous les cas, ces Italo-Américains se présentent comme les défenseurs du bon goût en matière culinaire. La série s’étend sur les petits plats qu’on mange chez Arthur. Les plats sont détaillés, les cuisines sont visitées. C’est d’ailleurs une spécificité des romans et des films noirs que d’insister sur cet aspect. On trouve par exemple des recettes détaillées de la cuisine vénitienne dans les romans de Donna Leon, recettes qui ont été reprises dans un ouvrage particulier[6]. Les enquêtes du commissaire Montalbano d’Andrea Camilleri sont émaillées de recettes siciliennes. Le succès de la série des Soprano entrainera aussi la publication d’un livre très intéressant de recettes[7]. Cette gourmandise est une forme de jouissance, la contrepartie du sexe et aussi de cette possibilité de donner la mort. 

    The sopranos, David Chase, 1999-2007 

    Les gangsters ont leur couvert au Vesuvio, le restaurant d’Arthur Bucco 

    C’est une série avec de gros moyens. Pourtant, du point de vue cinématographique, il y a de nombreux points très décevants. Certes la photo est bonne, bien léchée, comme on fait aujourd’hui, mais le montage trop resserré nuit à la qualité de l’action proprement dite. C’est frappant dans les scènes d’action violente qui sont plutôt sabotées, leur donnant un aspect à mon sens trop statique. On peut dire que c’est volontaire dans la mesure où il s’agit plus de psychologie que d’action, mais dans les séries qui vont suivre, The wire ou The shield, ce sera beaucoup plus créatif sur le plan technique, avec une utilisation par exemple plus fréquente de la caméra à l’épaule et une meilleure insertion de la rue dans le récit.  J’ai déjà souligné le côté répétitif et les longueurs, que ce soit dans les querelles avec la mère ou avec la sœur, filmées champ-contrechamp, c’est pareil, ça traine en longueur avec les mêmes mimiques et le téléspectateur perd patience. Les décors naturels très intéressants pourtant ne jouent pas le rôle qu’il devrait et on multiplie très souvent les gros plans inutiles faute de connaître très bien la grammaire cinématographique. Il y a peu de profondeur de champ et souvent les paysages sont filmés à plat, ce qui leur donne une apparence de carte postale, c’est frappant dans le voyage à Naples et aussi à Miami et à Las Vegas. 

    The sopranos, David Chase, 1999-2007 

    Le docteur Melfi se fait violer dans le parking 

    Les acteurs sont plutôt bons. Avec en tête James Gandolfini dans le rôle de Tony Soprano qui trouve ici le rôle de sa vie. Il a beaucoup de finesse dans son jeu, outre ses mimiques qui masquent son désarroi ou qui indiquent sa colère, il a une manière d’utiliser son corps lourd et grand qui est assez unique, notamment quand il se confronte avec le docteur Melfi, il croise les jambes, pianote sur sa cuisse pour indiquer une profonde réflexion. Massif, il représente une force dangereuse autant que débonnaire. Ce choix est excellent, parce qu’avec ses chemises à fleurs et son ventre en avant, ou en marcel, il multiplie les facettes de son rôle et en précise d’autant les incertitudes. Il joue l’accablement avec beaucoup de conviction. Edie Falco qui interprète Carmela est aussi vraiment excellente. Elle est pleine d’incertitude, mais vieillit bien et arrive finalement à se faire respecter malgré ses appréhensions. Les enfants c’est nettement moins bien. Meadow est interprétée par Jamie-Lynn Sigler, elle est parfois trop âgée pour le rôle, notamment dans les deux premières saisons, sourit à contretemps. Certes elle s’améliore au fil du temps, mais ce n’est pas d’un niveau très élevé. AJ, le fils, c’est Robert Iler. Il est assez intéressant de le voir changer de physique, mais il joue toujours de la même manière les sales gosses désenchantés à qui on a envie de donner des baffes. Cet acteur abandonnera fort justement le métier pour lequel il n’avait pas vraiment d’avenir et se consacrera au poker professionnel. Lorraine Bracco est bien, sans plus, dans le rôle du docteur Melfi. Par contre Michael Imperioli, dans le rôle du tourmenté Chris, est vraiment très bon, c’est même un des meilleurs du casting par sa capacité à diversifier son jeu. Ces deux acteurs viennent directement de chez Scorsese, comme Frank Vincent qui incarne très bien l’ambitieux parrain Phil Leotardo. Dominic Chianese lui vient de chez Coppola, il était Johnny Ola dans le deuxième volet de The godfather. Il est ici assez mauvais, jouant plus de son physique que de ses sentiments. Drea de Matteo dans le rôle d’Adriana est une très bonne surprise, elle n’a pas qu’un physique, elle a aussi beaucoup d’aisance et de vérité dans un rôle qui n’est pas très facile. L’omniprésente et agaçante Janice est interprétée par Aida Tuturo, elle en fait beaucoup trop et aurait dû être mieux contrôlée. Les figures des seconds couteaux sont plutôt bien choisies, par exemple Steve Schirripa dans le rôle du géant maladroit Baccalieri. Tony Sirico et sa drôle de coiffure en fait cependant beaucoup dans le rôle du truand caractériel Paulie Gualtieri. Steve Can Zandt incarne Silvio Dante, avec des positions bizarres, l’épaule tombante, la tête penchée, avec une perruque curieuse. Une mention spéciale à John Ventimiglia qui interprète Artie le cuistot sympathique, mais faible qui se met toujours dans la situation d’être l’obligé de Tony. Il rencontre un moment Jean-Hugues Anglade dans le rôle du méchant Français Jean-Philippe Colbert. 

    The sopranos, David Chase, 1999-2007 

    Veillée d’arme pour le clan Soprano 

    Dans l’ensemble si on peut dire que cette série a marqué son époque, elle conserve quelque chose d’assez inabouti sur le plan formel, mais, vingt ans après, elle se voit encore très bien, elle montre en quelque sorte les débuts de l’effondrement de l’Amérique, quoique 86 épisodes ce soit beaucoup.



    [1] http://alexandreclement.eklablog.com/sur-ecoute-the-wire-serie-creee-par-david-simon-2002-2008-a166214520

    [2] http://alexandreclement.eklablog.com/the-shield-serie-creee-par-shawn-ryan-2002-2008-a166214352

    [3] http://alexandreclement.eklablog.com/jean-pierre-melville-rui-nogueira-le-cinema-selon-jean-pierre-melville-a206367584

    [4] Les Sopranos une Amérique désenchantée, PUF, 2009.

    [5] L’ouvrage qui date de 1899 sera traduit très tardivement chez Gallimard en 1970 sous le titre Théorie de la classe de loisir.

    [6] Brunetti passe à table, Calmann-Lévy, 2011.

    [7] Allen Rucker & Michele Scicolone, Soprano’s family cookbook, Grand central publishing, 2002.

     

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  •  My gun is quick, Victor Saville, 1957

    Deuxième épisode des aventures du détective Mike Hammer, c’est encore du Victor Saville ! On va donc retrouver le détective teigneux, sa secrétaire Velda et son alter ego, le policier Pat Chambers. C’est le dernier des quatre films qui seront produits par Parklane Pictures Inc. Tous les films que cette firme, sans doute montée par Victor Saville lui-même,  a produits sont basés sur des romans de Mickey Spillane, c’est également elle qui a produit le film de Robert Aldrich. Adaptées à l’idée de série portée par les livres de Mickey Spillane, les affiches, très belles, de ces quatre films portent une image similaire de violence et de sexe, clairement identifiable, avec l’idée de fidéliser la clientèle. Le film d’Aldrich avait été un bon succès commercial et critique, on cherchait donc à reprendre la formule. Mais évidemment Victor Saville n’était pas Aldrich. Se première idée était de refaire encore un film avec des moyens financiers extrêmement réduit. Pour ce troisième épisode de la saga de Mike Hammer, on changeait une fois de plus de visages pour les personnages récurrents de la série. 

    My gun is quick, Victor Saville, 1957  

    Le roman choisi par Saville pour être porté à l’écran est comme pour I, the jury, une trame qui s’inspire une nouvelle fois d’Hammett et plus particulièrement de The maltese falcon, avec cette histoire du trésor à retrouver qui était déjà dans le premier ouvrage de Spillane. A cela s’ajoute l’ingrédient du détective intègre qui vient au secours d’une malheureuse prostituée – sans succès toutefois. Les romans de Mickey Spillane sont tellement mal écrits qu’ils sont recherchés pour cela, avec la question récurrente : comment peut-on écrire comme ça ? Mais pour les adaptations cinématographiques, le style de Mickey Spillane ne compte pas. L’importance est qu’il soit connu, qu’il vende beaucoup. La production des films tirée de ses œuvres est adaptée à son public, celui des classes inférieures assez peu instruites, à la recherche d’un délassement. Ce serait presque le même public que celui des adaptations de Chandler ou d’Hammett, mais il y a deux différences. Ici on ne cherche pas à tirer le public vers le haut, au contraire, on descend vers lui en flattant ce qu’on croit être ses plus bas instincts, de même on ne cherche pas à se rallier une partie de la classe moyenne et donc de la critique cinématographique qui en est l’émanation. Ce n’est pas quelque chose de neuf et toutes les industries culturelles sont plus ou moins contaminées par cette tendance. Mickey Spillane qui en était le parangon, pensait épouser l’air du temps. Sa brutalité et son anticommunisme surjoué qui était déjà obsolescent au moment où il s’y complaisait, découvrira, avec un vrai flair commercial cependant, le sens des mots et le poids des images. Au début des années soixante-dix, il avait écrit un ouvrage au titre très aguicheur, The erection set, et sur la couverture duquel il avait collé la photo de sa femme nue comme produit d’appel[1] ! 

    My gun is quick, Victor Saville, 1957  

    Le plus étrange est sans doute que le scénario ait été écrit par Richard Collins, un ancien membre du parti communiste qui avait travaillé sur Journey into fear, parfois abusivement attribué à Orson Welles, et sur Song of Russia. Placé sur la liste noire, il resta quatre années sans travailler, puis il donna quelques noms que tout le monde connaissait d’ailleurs et cela lui permit de retrouver du boulot comme scénariste. Il se réorienta vers la télévision, devint un producteur et un scénariste à succès dans cette discipline. Plus tard il a affirmé qu’il regrettait d’avoir dénoncé ses collègues et qu’il portait ça comme une croix, mais il n’est pas le seul dans ce cas. Il fit ensuite de rares incursions dans le cinéma, on lui doit cependant l’excellent scénario de Pay or die, tourné en 1960 par Richard Wilson avec Ernest Borgnine dans le rôle de Joseph Petrosino, un policier newyorkais qui a réellement existé et qui entra en lutte avec la main noire, soit la mafia. Il sera assassiné en Sicile. 

    My gun is quick, Victor Saville, 1957 

    Mike hammer défend la rouquine 

    Mike Hammer qui rentre fatigué d’une mission s’arrête chez Shorty pour boire un verre. Là il rencontre une rouquine qui semble-t-il n’a pas d’argent et qui se prostitue, n’ayant pas réussi à se faire engager dans le cinéma. Ils sympathise, mais survient un individu, Louis, plutôt du genre barbiquet qui la menace. Mike évidemment lui file une trempe et le chasse du bar. Il donne un peu d’argent pour qu’elle puisse s’acheter des souliers et qu’elle prenne le car pour retourner dans son patelin d’où elle n’aurait jamais dû partir. Un peu plus tard, alors qu’il a retrouvé son bureau et sa secrétaire, la police le convoque. Son ami pat lui signale qu’on vient de retrouver la rouquine, assassinée. Mike est choqué et se promet de mettre la main sur le meurtrier. Mais il a remarqué que la bague qu’elle portait lorsqu’il l’a rencontrée, n’est plus à son doigt. Par Shorty, il apprend que la jeune femme vivait dans un meublée avec une nommée Maria, une chanteuse de cabaret. Il va la voir, et la séduit, mais il ne consomme rien du tout avec elle. Avec Maria ils vont ensuite interroger un Français, muet, qui leur indique la piste d’un vol de bijoux. Mais quand il veut en savoir plus, ce Français est assassiné, il a été projeté par la fenêtre de son appartement. Presque sous ses yeux. Il voit alors le fameux Louis qui s’en va. Il le suit et arrive jusqu’à une jeune femme riche, Nancy Williams, qui dit ne pas comprendre et qui chasse de sa maison Louis qu’elle a présenté comme son employé. Mike entame un flirt un peu poussé avec elle. Mais il continue à enquêter sur la mort de la rouquine et va tomber sur Holloway, un ancien colonel de l’armée qui a passé dix ans en prison. Celui-ci croit qu’il a retrouvé la collection Venacci dont provenait la fameuse bague. Ils s’associe plus ou moins. Mais un autre gang auquel appartient Louis est sur le coup. Entre temps Maria qui semblait s’intéresser elle aussi aux bijoux se fait assassiner. Après s’être fait rouster par les gangsters alors qu’il venait inspecter le logement de Maria, il revient chez Nancy qui le soigne. Il continue sa quête et apprend finalement qu’un certain Teller vient d’arriver pour négocier les bijoux. Mike le suit, mais il manque se faire assassiner par un grutier et Teller s’en va avec Louis. Dans sa voiture, il se branche sur la radio de la police et apprend qu’il est recherché. Il se rend chez Nancy et assiste à la levée des deux corps, ceux de Tellet et de Louis. Il retrouve Holloway et tous les deux suivent la piste des marins. Sur le port, ils retrouvent la bande des Français. Une fusillade s’ensuit, longue et meurtrière, Holloway est tué, mais il a le temps de voir Mike revenir vers lui avec les bijoux. Il retrouve alors Nancy et comprend qu’elle est dans le coup, et qu’elle a tout monté pour s’approprier les bijoux. Mike est dégouté, bien qu’elle lui ai dit qu’elle n’a pas tué la rouquine, elle avoue pourtant les meurtres de Maria, de Teller et de Louis. Elle supplie Mike de partir avec elle pour le Mexique où ils pourront se la couler douce. Mais Mike refuse et les bateaux de la police arrivent. 

    My gun is quick, Victor Saville, 1957

    Dans une boite de nuit, Mike va à la rencontre de la chanteuse Maria 

    Dans ce scénario de nombreux stéréotypes vont être recyclés. Le final est, comme dans I, the jury emprunté à The maltese falcon. Malgré la passion qu’il a pour Nancy, il la livrera à la police. Retrouver les bijoux de la collection Venacci est également issu du même modèle. Holloway qui veut s’approprier le trésor est semblable à Gutman. S’il entretient des relations difficiles avec Pat Chambers, Mike Hammer n’est pourtant pas tout à fait opposé à la police qui, chez Hammett ou chez Chandler, est vue comme particulièrement corrompue et bornée. De même la défenestration fait penser à Chandler, The high windows, comme le fait qu’il se fasse manipuler par sa propre cliente, idée qu’on trouve aussi dans The maltese falcon. A défaut d’une grande inventivité, Mickey Spillane connaît ses classiques. On va retrouver aussi le vieux club de jazz avec la chanteuse sexy, un peu noire, mais pas trop, la rouste pour le détective trop curieux, et la fourbe femme fatale, ambiguë à souhait puisqu’on ne saura pas si elle a seulement joué avec Mike, ou si elle l’aimait sincèrement. Mais après tout ces ingrédients peuvent très bien se retrouver dans un bon film, à condition qu’ils aient un peu de sens. Que veut dire ce film ? On ne sait pas trop si c’ets le portrait d’un homme en colère, ou la démonstration qu’on ne peut pas faire confiance, ni aux femmes, cela va de soi, ni à la police, ce qui est moins évident. On a l’impression que tous les Français sont mauvais, ou tordus. Je ne sais pas d’où venait cette façon singulière de dénigrer la France, est-ce une conséquence du fait qu’elle avait perdu la bataille face à l’Allemagne en 1940 ? On n’en sait rien. 

    My gun is quick, Victor Saville, 1957

    Il va la voir dans sa loge  

    On retrouve évidemment le machisme – quoiqu’un peu fatigué tout de même – de Mike Hammer. Quand il s’adresse à sa secrétaire, il lui donne de manière condescendante un « Hi, beauty » répétitif qui désamorce justement ce machisme affiché. Il est ici présenté comme un séducteur, la rouquine l’embrasse, Maria veut coucher avec lui, et il séduit Nancy. Avec les deux premières qui sont pauvres et peu sophistiquées, il se retient, il se refuse, mais avec Nancy qui présente toutes les apparences de la richesse, il daigne passer enfin à la casserole ! Vu sous cet angle c’est excessivement drôle. On peut dire que pour un détective il n’est pas très perspicace puisqu’il choisit de se donner à la plus fourbe et la plus mauvaise. J’en ai oublié une : Dione qui lui donne la clé de son appartement, mais là encore il n’y arrivera pas, au lieu de passer par la porte, il passera par la fenêtre, une voie dérobée, comme s’il hésitait à y aller franchement. Comme dans I, the jury, c’est le portrait d’un peine-à-jouir. C’est à tel point qu’on se demande si au fond il ne vend pas Nancy à la police pour ne pas être au pied du mur et être obligé de faire son devoir conjugal. Il évite aussi Velda qui aimerait bien se faire sauter. Autrement dit, il n’est pas seulement un peine à jouir, il est aussi un allumeur ! Si on considère que le seul intérêt de la prose de Spillane était le sexe et la violence dans leur crudité, on ne peut qu’être déçu, c’est ni très violent, ni très sexualisé. Comme on le comprend ce qui aurait pu transcender une telle intrigue, c’eut été de faire exploser les situations vécues par Hammer, d’en faire un vrai sauvage. 

    My gun is quick, Victor Saville, 1957

    Le Français a été assassiné 

    Si la réalisation est plutôt appliquée, compte tenu de son budget étriqué, il lui manque surtout de la rage et de l’envie. Cependant, Victor Saville qui se dissimulait ici sous le nom de George White et qui est le véritable réalisateur, avait essayé de retenir les leçons, sur le plan formel, qu’Aldrich lui avait donné en adaptant Kiss me deadly. D’abord il va utilisé le format 1,85 :1, alors qu’I, the jury, c’était du 1,33 :1. Ce qui donne d’emblée une vision plus moderne du film noir, d’autant que le film utilise très souvent des éléments naturels de décor, notamment les installations du port de San Diego et quelques plans larges de Los Angeles en évitant les lieux trop connotés comme le Bradbury Building qui sont aussi des lieux très fermés. Cette volonté d’aérer le film induit de filmer des véhicules, des bateaux, comme autant de moyens d’échapper à l‘enfer de la ville, représentée par ces bretelles d’autoroutes qui semblent décrire une forme de labyrinthe dont on ne peut sortir. Mais cela est insuffisant, et le rythme reste particulièrement mauvais. On dit souvent que ce film est aussi mauvais que I, the jury. Ce n’est pas tout à fait vrai. Au fond ce qui faisait le charme du film d’Harry Essex, c’était une sorte de misérabilisme nuiteux, magnifié par la photo de John Alton, avec des accès de rage et d’emportement qui donnait un côté particulièrement hystérique au film. 

    My gun is quick, Victor Saville, 1957

    En poursuivant Louis, il va rencontrer la belle Nancy Williams 

    Soyons justes, il y a tout de même quelques bonnes scènes. Par exemple celles qui se passent sur le port et particulièrement quand Mike Hammer prend en filature le dénommé Teller. Il y a alors des prises de vue en plongée qui donnent la mesure du travail prolétaire qui se déploie en ces lieux. Ou encore lorsque Hammer vient espionner ce qui se passe chez Nancy, alors que la police cerne la maison et le recherche. Il y a un jeu d’ombres et de lumières particulièrement adéquat aux progressions furtives du détectives dans la nuit. Lorsque le détective prend Teller en filature, c’est pas mal filmé du tout, avec cet aspect labyrinthique des autoroutes et la façon d’Hammer de se dissimuler pour suivre Louis plus facilement. Les scènes d’action sont cependant un peu bâclées et auraient mérité mieux. Quand dans le bar Hammer bouscule Louis qui est venu chercher la rouquine, il ne le massacre pas à coups de poings comme il le devrait, mais le menace seulement de son pistolet. 

    My gun is quick, Victor Saville, 1957

    Holloway explique pourquoi il veut les bijoux 

    Cet aspect aseptisé de la réalisation est renforcé par la distribution qui est bien plus lisse et moins chaotique. Cette fois c’est Robert Bray qui interprète Mike Hammer. Cet acteur de grande taille qu’on a pu présenté au début de sa carrière comme le nouveau Gary Cooper, fut essentiellement un acteur de télévision. Particulièrement borné, il n’eut aucun talent pour gérer sa carrière. Ancien héros de la Guerre du Pacifique, il termina sa vie misérablement en se baladant ici et là dans un mobil home avec son épouse. C’est je crois le rôle le plus important qu’il a obtenu dans sa vie. Il n’est pas franchement mauvais, il est lisse et terne, ce qui est pire car au moins le médiocre Biff Eliot avait un côté hystérique et allumé qui donnait un peu d’épaisseur au rôle. Le sommet de son activité d’acteur fut atteint par le rôle du garde forestier ami de Lassie dans la série télévisée éponyme. On dit que ce rôle lui plaisait parce qu’il aimait les bêtes et que les bêtes l’aimaient. Mais il se disputa avec les producteurs et se fit virer de la série. Victor Saville avait un art consommé pour faire des films avec des bouts de ficelle. Il allait donc piocher ses acteurs dans le fin fond des catalogues. Nancy Williams est incarnée par Whitney Blake, actrice de télévision. Elle n’est pas laide, et on comprend qu’elle a appris à jouer. Mais elle est lisse et on croit très difficilement à la folie sexuelle qui s’empare d’Hammer en la voyant. Elle s’anime juste vers la fin. L’essentiel de sa carrière s’est fait pour elle aussi à la télévision. 

    My gun is quick, Victor Saville, 1957 

    Chez Nancy il cherche encore Lou 

    Booth Colman est Pat Chambers, le policier un peu mou mais copain avec Mike Hammer. Acteur de petite taille par contraste avec Robert Bray, il n’a pas l’air d’un enquêteur, mais plutôt d’un expert comptable. Jan Chaney qui avait un physique intéressant incarne la rouquine très bien. Cette actrice disparaitra rapidement des tablettes, ayant semble-t-til comme la rouquine qu’elle incarne échoué à se faire une place au soleil d’Hollywood. Gina Coré, une actrice d’origine argentine, est Maria, la chanteuse de jazz au physique de métisse. Elle est intéressante, mais son rôle est très bref, et elle aussi disparaitra après quelques petits rôles à la télévision. 

    My gun is quick, Victor Saville, 1957 

    Teller vient d’arriver pour acheter les bijoux

    Volontairement produit de série, My gun is quick rate son objectif et ne semble pas avoir accueilli les faveurs du public. La musique est plutôt bonne, du jazz californien, et va bien avec le style que Saville voulait donner à son film. Mais on retiendra la belle affiche ! Curieusement on trouve de belles copies de ce film, alors que pour I, the jury, ce n’est pas possible. Mike Hammer va être abandonné par le cinéma. Il va faire l’objet de séries télévisées plus ou moins regardables à partir de 1958. Il reviendra sur grand écran, avec Girl hunters en 1963 sous la direction du vieux routier Roy Rowland, avec Mickey Spillane dans le rôle de sa créature, Mike Hammer, puis en 1982 avec un remake de I, the jury, avec le pâle Armand Assante dans le rôle du célèbre détective, sous la direction du téléaste Richard T. Heffron. 

    My gun is quick, Victor Saville, 1957

    Mike va livrer Nancy à la police 

     



    [1] Paru en français sous le titre Le dogue chez Fayard en 1972.

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  • Nettoyage par le vide, The long wait, Victor Saville 1954

     

     

    L’amnésie est un sujet récurrent du film noir. On trouvait par exemple ce thème dans Somewhere in the Night de Joseph L. Mankiewicz en 1946[1], ou encore dans The Crooked Way de Robert Florey en 1948[2]. Dans ces deux films l’amnésie était le résultat de la guerre, mais dans le second, on apprenait que le héros était un ancien chef de gang. C’est de ce film que The long wait semble être le plus proche puisqu’ici le héros ne sait pas si par le passé il a été bon ou mauvais. Cette amnésie est cependant l’image de la confusion mentale par rapport à une réalité qui nous échappe. Elle n’est donc pas simplement la perte de la mémoire, mais le reflet d’une époque confuse, dénuée de sens, où personne ne semble plus savoir qui il est. Le scénario est tiré d’un ouvrage de Mickey Spillane dont le héros n’est pas Mike Hammer, mais un simple employé de banque qui va se transformer en bête sauvage. On a beaucoup dit que cette adaptation ne respectait pas vraiment le programme de sauvagerie annoncée par l’ouvrage, mais ce n’est pas tout à fait exact, surtout si on conserve à l’esprit que dans les années cinquante, il était plus facile de développer des histoires érotiques et violentes à l’écrit qu’à l’écran. C’est au contraire l’adaptation la plus proche de l’esprit des romans de Mickey Spillane. Produit par la firme de Victor Saville créée pour l’occasion, c’est aussi lui qui se colle à la réalisation. Le budget est beaucoup plus important que pour I, the jury, ce qui va permettre d’engager des acteurs qui, sans être de premier plan, sont confirmés et très connus, avec en tête Anthony Quinn. A cette époque, l’acteur est quasiment banni des studios et donc des films de premier rang, notamment à cause de ses démêlées avec Cecil B. De Mille dont il avait épousé la fille. Ce film intervient juste avant qu’il part de lui-même pour un long exil en Europe où il relancera sa carrière avec des films de qualité, exil entrecoupé de retours périodiques aux Etats-Unis.   

    Nettoyage par le vide, The long wait, Victor Saville 1954  

    Un homme fait du stop sur la route, un camion le prend, mais quelques kilomètres plus loin, le camion verse dans le fossé et prend feu. L’autostoppeur cherchant a ouvrir la portière pour délivrer le chauffeur, va se bruler les mains. A l’hôpital on apprend qu’il a perdu la mémoire, et le médecin lui dit qu’il mettra probablement très longtemps avant de la retrouver. En attendant il a trouvé un travail dans une compagnie pétrolière est ‘est mis en ménage avec une blonde. Mais il est bagarreur, et cela va lui coûter sa place. Au bar où il retrouve sa poule du moment, un client de passage qui la drague, lui montre la photo d’un certain Johnny McBride qui lui ressemble comme deux goûtes d’eau et qui vivait en apparence à Lyncastle. Notre amnésique va s’y rendre, espérant qu’il retrouvera la mémoire. Dans cette petite ville provinciale où il ne reconnaît rien, mais où tout le monde semble le connaître, il apprend qu’il est recherché pour le vol de 250 000 $ et le meurtre du procureur. Le réceptionniste de l’hôtel où il descend le connaît lui aussi et lui indique qu’il sait qu’il n’est pas coupable et que Vera West avec qui il vivait est vivante. La police lui tombe dessus, mais faute de preuve, puisque ses mains sont brûlées, elle est obligée de le relâcher. Pop Henderson, le réceptionniste de l’hôtel qui devait lui donner des renseignements sur Vera, se fait descendre, mais avant de mourir il a le temps de dire que Vera est en réalité en ville, mais sous une nouvelle identité et avec un nouveau visage ! Si cela trouble Johnny, ça l’encourage en même temps à continuer son enquête. Il va se diriger vers Servo, un homme d’affaires louche qui semble tenir la ville. Johnny va le voir et en profite pour séduire sa secrétaire. Mais Servo le menace et lui ordonne de quitter la ville sous peine de mort. Quelques temps après, alors que Johnny commence à se faire des relations parmi la gent féminine, les hommes de Servo l’enlèvent, le ligotent et l’embarque dans le coffre de leur voiture pour le faire disparaître. Mais Johnny s’en sort et élimine trois gangsters d’un seul coup ! Johnny va au casino et gagne de l’argent. Là il fait la connaissance d’une nouvelle femme, Wendy Miller qui semble vouloir lui donner des conseils. Il va ensuite rencontrer le propriétaire de la banque de la ville, Gardiner, qui était son employeur. Celui-ci lui apprend que le procureur assassiné enquêtait sur la corruption de la ville par Servo. Le récit va s’orienter vers la recherche de Vera. Servo soupçonne quatre femmes d’être potentiellement Vera, parmi celles-ci il pense que Venus est sans doute Vera. Mais pour vérifier, il va les convoquer toutes les quatre. Venus manifestant de la compassion pour Johnny, il va la confronter à Johnny et le torturer pour voir comment elle réagit. Mais Venus, bien que blessée, se débrouille pour délivrer Johnny et celui-ci explose les gangsters. En vérité il a découvert le fonds de l’affaire. Il se rend chez Gardiner et le confond. Celui-ci a en effet monter le coup pour qu’on fasse croire que Johnny a volé. De ce fait il pouvait distraire 250 000 $ et financer les activités louches de Servo avec qui il s’est associé. S’il y avait bien les empreintes de Johnny sur l’arme c’était parce que Gardiner l’avait prise et mis au point une combien à ressort pour faire croire que c’est lui qui avait tiré ! Une fois Gardiner confondu, Johnny va retrouver Vera qui en fait se cachait sous le nom et le physique de Wendy Miller. Johnny lui propose de l’épouser, mais Vera lui indique qu’en réalité c’était déjà fait avant qu’il ne perde la mémoire !  

    Nettoyage par le vide, The long wait, Victor Saville 1954

    A l’hôpital, il se révèle amnésique 

    Ne cherchons pas les invraisemblances, il n’y a finalement que ça. Mais au-delà de celles-ci, il y a d’abord des incohérences, c’est-à-dire des comportements qui ne cadrent pas avec le portrait des personnages. C’est principalement le cas de la vraie Vera qui est censée se cacher tout près de Servo pour le démasquer, mais qui en fait ne fera rien du tout et restera curieusement passive. Le scénario va donc évoluer du portrait d’un homme sans passé qui est peut-être un assassin, à celui d’une ville corrompue et criminelle, livrée à la débauche. On se retrouve chez Hammett, mais aussi du côté des films qui vont exploiter la lutte difficile contre le crime organisé, avec un homme qui seul contre tous se lève pour faire le ménage. On retrouvera ça par exemple dans The Miami story de Fred F. Sears en 1954, ou The Phoenix city story de Phil Karlson en 1955[3].  Mais ce n’est pas là l’originalité du film, elle réside plutôt dans le portrait psychologique d’un homme qui ne sait pas choisir parmi toutes les femmes qui s’offrent à lui et qui veulent l’aider. On remarque que le scénario contourne cette mauvaise habitude de définir telle ou telle femme comme une fourbe, prompte à trahir pour des raisons obscures, la cupidité ou le pouvoir. On peut même voir dans ce souci féminin de choisir un mâle qui leur plait, sans attendre que celui-ci en fasse la démarche, est au contraire le signe d’une émancipation en route. 

    Nettoyage par le vide, The long wait, Victor Saville 1954

    Il a trouvé une place dans l’industrie pétrolière 

    Johnny McIntire est un homme plutôt agité qu’un homme d’action. C’est un handicapé, cet handicap est d’ailleurs signifié par ses mains bandées et sa position forcément passive dans un fauteuil à roulettes. Mais il va retrouver peu à peu sa virilité. D’abord en allant travailler sur des puits de pétrole, puis ensuite en bousculant Servo et sa bande dont il en élimine physiquement un certain nombre. C’est un nettoyeur, mais en même temps qu’il nettoie la ville, il nettoie sa mémoire, comme s’il la voulait neuve. C’est donc une histoire de rédemption, même s’il n’est pas coupable. Mais en même temps cela ressemble un peu au douze travaux d’Hercule, avec l’affrontement de quelques monstres égarés sur son chemin. Mickey Spillane a souvent la réputation d’un dur qui vient en aide aux pauvres filles maltraitées, mais qui détruit les salopes. Ici rien de tout cela, le cahier des charges n’est pas tout à fait respecter, aucune salope ne traine dans le coin, et ce sont plutôt les femmes qui viennent à son secours. Le plus machiste c’est bien l’ignoble Servo qui va obliger Venus à ramper aux pieds de Johnny, mais elle le fera sachant que c’est la seule manière de sauver le malheureux attaché à sa chaise. Remarquez que Johnny est un homme de basse extraction, il passe du statut de caissier d’une banque, à celui d’ouvrier dans l’industrie pétrolière. Ce qui fait qu’incidemment, la lutte entre lui et Gardiner allié à Servo, prend forcément des allures de luttes des classes. 

    Nettoyage par le vide, The long wait, Victor Saville 1954

    La police cherche à prouver qu’il a tué le procureur 

    Deux figures habituelles du film noir sont recyclées, d’abord celle du journaliste plutôt médiocre qui provoque Johnny et se subordonne ensuite à lui pour tenter d’obtenir un scoop. La rencontre à lieu à la bibliothèque municipale où notre amnésique cherche des informations. Est-ce une invitation à la lecture ? Ensuite il y a la scène d’ouverture, comme dans Kiss me deadly, elle montre une personne qui fait de l’autostop et nous voyons que cette pratique de lever le pouce est ambiguë. Pour le chauffeur c’est le début des emmerdements, mais pour l’autostoppeur ce peut-être tout aussi un danger. Mais l’autostop c’est aussi une ouverture. Johnny s’absente de lui-même pendant deux ans, il part sur les routes à l’aventure, ce qui est typiquement américain, mais d’une manière fortuite, il va découvrir la nécessité de retourner  dans sa ville d’origine. Si sa disparition a bouleversé les certitudes autour de lui, son retour les bouleverse tout autant, ajoutant la confusion à la confusion. Dans ces conditions, la seule solution est l’action violente qui permettra de remettre tous les compteurs à zéro.   

    Nettoyage par le vide, The long wait, Victor Saville 1954

    A la bibliothèque municipale il cherche des informations 

    Si la réalisation n’est pas des plus excellentes, il y a cependant quelques scènes étonnantes. D’abord cet exil dans l’industrie pétrolière, avec en arrière plan des images de derricks en train de pomper du pétrole, avec sur le devant Johnny qui engage la bagarre avec deux prolos qui se moquent de son amnésie.  C’est ce qui lui permet de trouver un nouveau point de départ puisqu’il se fait virer et donc de l’engager à l’action. Ensuite il y la scène où Servo tente, comme dans un roman d’Agatha Christie de découvrir la coupable parmi les quatre femmes qu’il a réunies. Mais il n’est pas Hercule Poirot et se trompe par manque de subtilité. Et puis il y a cette scène où on voit Venus, quel nom, ramper aux pieds de Johnny. Cette scène est filmée en plongée, très stylisée, on ne voit rien d’autres que les personnages saisis dans un jet de lumière, avec du noir tout autour. C’est une manière de stylisation de la stylisation récurrente des films noirs. La photo de Franz Plazer est manifestement inspirée de John Alton. Le film est volontairement très sombre et la nuit est dominante. Plusieurs scènes se passent dans les escaliers du casino, ça permet de bonnes scènes d’action, avec des dégringolades filmées en plongées ou en contre-plongée. D’un point de vue filmique, c’est bien meilleur que I, the jury. Le rythme est bon, et le découpage multiplie judicieusement les points de vue, obligeant le spectateur à en choisir un. 

    Nettoyage par le vide, The long wait, Victor Saville 1954 

    Les hommes de main de Servo vont kidnapper Johnny 

    C’est un film à petit budget, évidemment, et les décors extérieurs sont très peu nombreux, la ville maudite n’est présente réellement que pour montrer le retour de Johnny McIntire à travers cette foule qui le reconnaît et qui le craint. Il y a un soin évident à filmer la banque avec des travellings profonds qui lui donnent une puissance qu’autrement elle n’aurait pas. On retrouve le même procédé pour film la bibliothèque municipale, on joue à la fois sur les lumières et sur la hauteur des plafonds qui lui donne un air solennel. Johnny pour les besoins de l’enquête va déchirer une page de journal sous le regard désapprobateur d’un lecteur. Ce geste veut dire beaucoup puisqu’il est bruyant, comme s’il voulait réveiller la communauté assoupie, l’invitant à passer à l’action, à aller au-delà de la lecture et de la réflexion. 

    Nettoyage par le vide, The long wait, Victor Saville 1954

    Johnny porte l’argent qu’il a gagné au casino à la banque 

    Certains ont trouvé que d’engager Anthony Quinn dans le rôle d’un séducteur, il allume toutes les femmes qui passent à sa portée, était une mauvaise idée en contradiction de l’image qu’on pouvait se faire à cette époque des héros de Mickey Spillane. Mais non, il est très bien dans le rôle de Johnny parce qu’on comprend au contraire que c’est sa brutalité qui plait aux filles qui, en devinant sa fragilité, vont se porter à son secours. Il est à l’écran du début jusqu’à la fin, et rien que pour lui le film vaut le détour. Derrière lui, c’est nettement moins bien. On a engagé le déjà vieux Charles Coburn pour incarner le fourbe Gardiner. Certes il joue le rôle d’un vieillard un peu malade, mais il a l’air de s’en foutre complètement. Il joue mou. Ensuite on a le grimaçant Gene Evans qui joue le sadique et mauvais Servo. Il grimace beaucoup trop pour qu’on le prenne au sérieux. Peggie Castle est Venus. Son rôle est un peu étroit, mais ça passe assez, sans plus. Elle était déjà de la distribution de I, the jury où elle tenait le rôle de Charlotte Manning, la psychiatre dévoyée. Plus intéressante est Mary Ellen Kayes dans le rôle de Wendy Miller, alias Vera West, mais elle aussi a un tout petit rôle. Ensuite on trouve de solides seconds rôles habitués des films noirs, Barry Kelley qui joue le flic véreux, ou encore Jay Adler dans le rôle du groom sournois et cupide. Les deux autres femmes qui sont séduites par la prestance de Johnny ne sortent pas beaucoup de l’ordinaire. 

    Nettoyage par le vide, The long wait, Victor Saville 1954 

    Servo et Tucker veulent savoir qui est Vera  

    Des quatre films produits par Victor Saville à partir des œuvres de Mickey Spillane, c’est sans doute le meilleur, après bien entendu Kiss me deadly. Il est très nettement supérieur au précédent, I, the jury.  Malheureusement ce film ne se trouve pas dans le commerce, il aurait pourtant mérité une copie Blu ray. Il a suffisamment de qualités formelles. Si ce n’est pas un très grand film, c’est un bon film noir avec suffisamment de caractère pour qu’on le regarde avec plaisir. Le public a suivi, et si la critique ne s’y est pas intéressée, le film a rapporté pas mal d’argent. 

    Nettoyage par le vide, The long wait, Victor Saville 1954 

    Le banquier Gardiner explique que le procureur décédé travaillait à éradiquer la corruption 

    Nettoyage par le vide, The long wait, Victor Saville 1954

    Servo veut savoir laquelle des quatre femmes est Vera  

    Nettoyage par le vide, The long wait, Victor Saville 1954 

    Venus va ramper jusqu’à Johnny 

    Nettoyage par le vide, The long wait, Victor Saville 1954

    Johnny a démasqué Gardiner qui est aussi le banquier de Servo



    [1] http://alexandreclement.eklablog.com/quelque-part-dans-la-nuit-somewhere-in-the-nigh-joseph-l-markiewicz-19-a191321586

    [2] http://alexandreclement.eklablog.com/le-passe-se-venge-the-crooked-way-robert-florey-1948-a118348930

    [3] http://alexandreclement.eklablog.com/the-phenix-city-story-1955-phil-karlson-a114844904

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