•  L’homme à la Buick, Gilles Grangier, 1968

    A l’époque où se tourne L’homme à la Buick, Grangier est considéré comme un produit très sûr, et Fernandel fait encore recette. Le seul vrai ratage c’est le film qu’il a fait avec Mocky en 1966, La bourse ou la vie. Quelle idée ! Certes il fait, comme Gabin d’ailleurs un peu moins d’entrées qu’avant, mais il remplit généralement les salles et multiplie les rôles différents. Il passe de la franche rigolade de Don Camillo en Russie sous la direction de Luigi Comencini et qui sera un gros succès en Italie, à la tragédie du Voyage du père film réalisé par Denys de la Patellière, dans lequel il peut démontrer toute l’étendue de son talent. Mais 1968 est une année très ingrate pour le cinéma commercial traditionnel. En même temps qu’une nouvelle classe d’âge fait irruption sur la scène politique, les critères de la consommation culturelle changent aussi. Et donc le système qui avait si bien fonctionné dans les années cinquante, qui avait su résister convenablement dans les années soixante, se délitait maintenant très rapidement. Grangier, Fernandel, Gabin, et quelques autres allaient disparaître du devant de la scène, c’est seulement avec le temps qu’on allait les réhabiliter, aussi bien pour la nostalgie qu’ils charriaient avec eux, que pour les qualités bien réelles que la critique Nouvelle Vague avait mis sous l’éteignoir. C’est avec la dissipation de cet écran de fumée que fut la Nouvelle Vague qu’on redécouvrit le cinéma français. Le support est un ouvrage signé Michel Lambesc, pseudonyme de Georges Godefroy. L’ouvrage date de 1964, grande époque où la Série noire développait les histoires de voyous dans tous les sens qu’on peut imaginer.

    L’homme à la Buick, Gilles Grangier, 1968 

    Armand Favreau est un voyou discret qui ne s’est jamais fait coffrer. Il vient d’acheter une très belle villa à Honfleur. Dans cette ville très paisible, il va rencontrer la belle Michèle de Layrac qui est galeriste. Il passe des diamants en Suisse en se faisant accompagné par des enfants. Mais il est aussi à la tête d’une bande de truands avec qui il monte des holdups. La bande se réunit dans un hôtel parisien qui lui appartient. Il tient son autorité du fait qu’il n’a jamais fait une seule année de prison. Tandis qu’il travaille à ce coup, il entame une liaison avec Michèle de Layrac. Le coup concerne une bijouterie. Ça se passe à peu près bien, sauf que l’un des membres de la bande, le marquis, est blessé. Armand va le cacher dans sa villa. Mais il constate que la police rôde aussi à Honfleur. Les choses se précipitent quand Armand porte son butin chez un receleur. En effet, deux autres membres de la bande le bute, déclenchant une vaste opération de police qui va les faire tomber. Armand s’extraie tant bien que mal de ce piège, mais à Honfleur, la police, en l’occurrence l’inspecteur Farjon, enquête. Armand croit que c’est pour lui. Mais en vérité c’est la belle Michèle de Layrac qui est concernée. Elle est en effet considérée comme ayant assassiné ses deux premiers maris. On comprend que si elle avait jeté son dévolu sur Armand, c’est parce qu’elle le supposait très riche. Le soulagement d’Armand sera de très courte durée quand elle sera arrêtée. En effet, les complices d’Arland qui ont été arrêtés ont parlé. Et donc, alors qu’il s’apprête à reprendre la route de la Suisse pour traficoter les diamants, la police va l’arrêter à son tour. 

    L’homme à la Buick, Gilles Grangier, 1968 

    A Honfleur, Armand fait la connaissance de Michèle de Layrac

    Le thème est double : d’abord le truand installé, un peu vieillissant, mais maître de sa vie et de son destin. Un peu comme Max le menteur, le héros de Simonin. S’il a échappé aussi longtemps à la justice, c’est parce qu’il était très malin et prudent. Le second aspect est celui de la double vie : car si Armand s’est mis à l’abri c’est parce qu’il mène une double vie au lieu de s’enferrer dans le milieu proprement dit. C’est un thème qu’on a vu très souvent, par exemple avec Miroir de Raymond Lamy dans lequel Jean Gabin était la vedette. De ce point de vue, Fernandel suit les pas de Gabin, avec qui il est d’ailleurs associé pour la production de ce film, via la Gafer, la société de production qu’ils ont montée. Evidemment le débonnaire Fernandel malgré son grand talent ne peut pas jouer comme Gabin qui est toujours un peu renfrogné. Mais il est introduit une autre dimension, cette femme qui empoisonne ses maris pour leur piquer du pognon. C’est le thème de la veuve noire qui donne un côté sulfureux à l’ensemble. Sans doute cet aspect n’est pas assez bien traité. C’est dommage. On ne sait pas sur quel pied danser, et à la fin si Armand est soulagé ou non d’avoir échappé à son empoisonneuse. On se s’attardera pas sur la morale finale du type l’argent ne fait pas le bonheur et bien mal acquis ne profite jamais.

    L’homme à la Buick, Gilles Grangier, 1968

    Armand traficote des diamants avec la Suisse

    Si on passe sur les incohérences scénaristiques, l’histoire de Michèle se télescope avec le rest, le film est plutôt bien mené. Tourné en écran large, il utilise pleinement les décors extérieurs, comme Gilles Grangier aime souvent à le faire. Le côté provincial d’Honfleur est bien utilisé, parce qu’il nous amène vers le drame bourgeois, l’empoisonneuse. L’opposition avec un Paris un peu anonyme est tout à fait intéressante. Elle signifie au fond cette hésitation d’Armand, mais aussi peut être de Michèle, entre une vie bourgeoise et paisible et une vie d’aventures, plus risquée, mais plus passionnante. Il y aura donc un vrai plaisir à mettre en scène la vie ordinaire des petites gens, le bar-tabac où Armand rencontre Michèle, la tombola un peu ridicule organisée par celle-ci. Il y a une très bonne utilisation de la profondeur de champ, notamment dans la scène du hold-up rondement menée qui confirme ce que nous avions remarqué plusieurs fois : Gilles Grangier avait du talent pour les scènes d’action. 

    L’homme à la Buick, Gilles Grangier, 1968 

    Armand réunit la bande pour trouver un nouveau coup 

    L’interprétation c’est Fernandel, évidemment. C’était là son avant dernier film. Cet acteur à la très longue carrière avait une présence incroyable, son succès est resté assez constant au fil des années. Il attire la lumière naturellement, et met tous ses partenaires dans l’ombre. Notez qu’il avait déjà joué plusieurs fois des hommes doubles, notamment dans L’ennemi public numéro 1. Danielle Darrieux ne résiste pas à Fernandel. Elle a beaucoup du mal à imposer son rôle, alors elle cabotine un peu trop à mon goût. Mais bon c’était Danielle Darrieux n’est-ce pas. Les seconds rôles sont bien, Marielle, Descrières, Christian Barbier, mais ils sont très en retrait. Albert Dinan qui a fait presque tous les films de Grangier est ici un plombier qui se fait un peu bousculer par Armand. Michael Lonsdale, joue le flic qui enquête sur la veuve noire, il faut aimer ce genre-là, un peu particulier, à côté de lui Marielle est très sobre. 

    L’homme à la Buick, Gilles Grangier, 1968 

    Le hold-up réussira 

    Sans être un chef-d’œuvre, le film se voit encore très bien aujourd’hui. Et ne mérite sans doute pas l’oubli dans lequel il est tombé. Sorti dans l’effervescence de 1968, il fera un score à peine honorable, histoire de couvrir ses frais. 

    L’homme à la Buick, Gilles Grangier, 1968

    Armand apprend à la Paluche et Maxime qu’ils ont tué leur rerceleur 

    L’homme à la Buick, Gilles Grangier, 1968 

    Michèle est arrêtée par la police

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  •  Maigret voit rouge, Gilles Grangier, 1963 

    Jean Gabin est de très loin l’acteur qui est le plus emblématique des adaptations cinématographiques de Simenon. On l’a vu dans plusieurs adaptations des romans noirs de celui-ci, Le sang à la tête, déjà avec Gilles Grangier, et plus tard En cas de malheur d’Henri-Georges Clouzot, puis Le président avec Verneuil. En tout, Gabin tournera dans 10 adaptations de Simenon. Il incarnera par trois fois et avec succès le commissaire Maigret, au point qu’il ait donné une image quasi définitive pour le public à l’un des plus fameux personnages de Simenon. Il y a donc une compatibilité forte entre l’univers de Simenon et celui de Gabin, certainement par le biais de cette France prolétaire et paysanne, en voie de modernisation. Pourtant pour Simenon, Maigret n’était pas du plus haut intérêt, il disait à qui voulait l’entendre, que c’était qu’une sorte de gagne-pain, ses romans durs, selon lui étaient ses véritables créations littéraires. On sait que Simenon écrivait très vite, surtout les Maigret, il comptait sur son sens de l’atmosphère pour bâcler les intrigues. Maigret, Lognon et les gangsters n’échappe pas à cette critique. C’est très faible et particulièrement embrouillé, on peut se poser des questions sur le choix de cet opus pour en faire un véhicule pour Gabin. Cette année-là, Gabin tourne Mélodie en sous-sol qui va exploser le box-office. Mais cette année est aussi celle de La grande évasion et de James Bond contre Dr No. Certes Maigret voit rouge arrivera devant Les oiseaux d’Hitchcock, mais c’est une maigre consolation, pire encore il arrive très loin derrière Les tontons flingueurs de Georges Lautner. On pourrait dire que Gabin vieillit, et que le succès de Mélodie en sous-sol est aussi dû à Alain Delon qui fait la même année un carton dans Le guépard. Ce Maigret sent clairement la naphtaline, et ce sera le dernier que Gabin interprétera.

      Maigret voit rouge, Gilles Grangier, 1963

    Lognon part sur une enquête banale, mais en revenant, il va surprendre des hommes qui en enlève un autre. Pire encore, il va se faire matraquer. Maigret va se charger de l’affaire, pratiquement tout seul, bien qu’il ait affirmé à Lognon qu’ils allaient travailler ensemble. Une première piste les mène au  Manhattan, mais Lognon se faisant balader, c’est Maigret qui va y aller, remarquant au passage que le patron de ce bar est aussi un ancien truand, probablement lié à la mafia. Tandis que Maigret discutaille avec lui, son employé prévient les trois américains qui ont enlevé le bonhomme agressé. Ces trois truands logent chez Lily la serveuse du Manhattan qui est amoureuse d’un certain Larner. Quand Lognon arrive chez elle, les gangsters ont fait la malle. Mais Lognon va repérer le portrait de Larner. Pour obtenir plus de renseignements, Maigret se déplace à l’ambasse des Etats-Unis où il connait un certain Harry McDonald. Celui-ci lui indique que les truands sont probablement Tony Cicero et un certain Charlie. Les choses se précisent un peu. La police remonte la piste de ces gangsters à partir de deux éléments, l’un prend un certain médicament pour des aigreurs d’extomac, et l’autre joue probablement au golf. Ils tombent alors sur un médecin marron, le docteur Fezin. Les choses vont mal tourner, dans le garage de Fezin on trouvera le cadavre de Larner, assassiné par Cicero et Charlie qui ont compris qu’il jouait double jeu. Maigret va trouver le cadavre d’une femme dans un hôtel borgne, c’est semble-t-il encore l’œuvre de Cicero et Charlie. Charflie va être arrêté, et le docteur va parler, mais il reste encore Cicero en liberté qui est sur la piste de Lily. Maigret va retrouver le disparu, cependant, il tombe nez à nez avec Harry McDonald ce qui le trouble au plus au point. Cicero rôde, il sera capturé après avoir vendu chèrement sa peau. Finalement on apprend que l’homme au lunette noire qui était recherché en France pour un hold-up du côté de Saint-Etienne, veut en fait témoigner contre des tueurs de la mafia, et c’est pourquoi les services secrets américains le protègent. Maigret se met en colère, et d’abord refuse de rendre son témoin à McDonald, mais finalement dans un esprit de conciliation, il cédera, avec l’accord de Lognon. 

    Maigret voit rouge, Gilles Grangier, 1963 

    Maigret vient questionner le patron du Manhattan 

    Comme on le voit cette histoire n’a pas beaucoup d’intérêt en elle-même. Il est difficile d’en dire quelque chose. En fait si on situe ce film dans l’histoire du cinéma français, on pourrait dire qu’il résume l’opposition entre les Etats-Unis et la France, entre la jeunesse et l’âge mûr. Nous sommes en 1963, en France la situation politique commence à s’apaiser avec la fin de la guerre d’Algérie et la résorption des rapatriés d’Algérie qu’il a fallu accueillir à la hâte. C’est à cette époque que le général De Gaulle apparait le plus opposé aux Américains, qu’il tente de montrer son indépendance. C’est ce qu’on voit avec Maigret qui s’oppose à McDonald, pour finir par céder. En effet, les Américains ont empités sur leurs prérogatives et font en France ce qu’ils veulent au mépris de la loi ordinaire. Ils sont dans la position du colonisateur. Et d’ailleurs c’est ce qu’on voit au box office, c’est bien un film américain qui est en haut de l’affiche, La grande évasion de John Sturges, le second reste un autre film de Gilles Grangier, La cuisine au beurre, avec Bourvil et Fernandel. Le premier film est un film d’action qui prend en défaut la supériorité supposée des Allemands, le second un film sur les traditions culinaires françaises. Et si on rit à ce dernier, c’est sans doute une manière de se moquer de la France qui n’est pas assez moderne dans son comportement en refusant de s’aligner sur les standards mondiaux portés par les Etst-Unis. Curieusement on voit ce même mouvement dans Mélodie en sous-sol, film sorti la même année que Maigret voit rouge : un vieux bandit, Jean Gabin qui semble sortir de l’avant-guerre, sort de prison et ne reconnait plus le monde qu’il a quitté quelques années plus tôt. La France se transforme à grande vitesse, et cet élement de la transformation c’est le jeune voyou, joué par Alain Delon qui lui écoute une musique qui swingue. Notez que si Gabin commence à être dépassé, Simenon l’est tout autant, 1963 c’est le moment où Frédéric Dard devient l’auteur de langue française le plus vendu, grâce entre autres aux San-Antonio. Simenon, ce sont d’abord des vieux qui le lisent à cette époque. C’est donc tout un monde qui bascule. 

    Maigret voit rouge, Gilles Grangier, 1963

    Lognon va voir Lily et trouve le portrait de Larner qu’il reconnait 

    L’ensemble des personnages manque de caractère. Mal dessinés, ils n’ont pas beaucoup de consistance, et cela ne provient pas du tout des acteurs, cela vient du scénario qui est conçu comme une suite de scènes sans trop de liens entre elles. Bien entendu, dans le travail il y a tout de même une certaine tenue, une maitrise technique, notamment dans les scènes d’action, quand Maigret est pourchassé par des gangsters qui veulent sa peau, ou quand Cicero tente d’échapper à la police. Grangier maîtrise tout à fait la grammaire cinématographique avec l’utilisation souvent judicieuse de la profondeur de champ. De même la description des mouvements dans le bar de Pozzo est intéressante. Mais le rythme est mauvais, endormissant, d’autant plus que les raisons de cette affaire restent bien trop obscures au simple spectateur. C’est plutôt bavard, Jacques Robert cherchant toujours le bon mot – certes avec moins de lourdeur qu’Audiard, mais tout de même. Ces dialogues obligent Grangier à multiplier les champs-contrechamps et plombent l’histoire.  

    Maigret voit rouge, Gilles Grangier, 1963

    Maigret tente d’obtenir des renseignements d’Harry qu’il a connu autrefois 

    Nouveau véhicule pour Gabin qui, après avoir partagé la vedette avec Delon dans Mélodie en sous-sol, se retrouve tout seul. Il manque clairement d’enthousiasme et à l’air de ne pas croire à son rôle, comme s’il se sentait trop vieux pour jouer Maigret. Même ses colères contre les Américains sont assez convenues et peu convaincantes. Derrière lui on retrouve des habitués de Grangier, Bozzufi, Frankeur qui sont toujours à la hauteur de ce qu’on leur demande de faire. Quelques figures émergentes du nouveau cinéma apparaissent cependant, Françoise Fabian qui, à l’époque, était mariée avec Bozzuffi, et puis Michel Constantin. Ils sont tous excellents. Notez que plusieurs scènes inspireront plus tard José Giovanni pour l’excellent Dernier domicile connu : par exemple quand les gangsters traquent Gabin dans des rues presque désertes. Donnons tout de même une mention spéciale à Roland Armontel dans le rôle du docteur Fezin. Le docteur marron et désabusé est un personnage central de la littérature simenonienne.  

    Maigret voit rouge, Gilles Grangier, 1963

    A l’hôtel des Flandres, Maigret trouve un cadavre 

    Le succès commercial de ce film sera un peu mitigé, passant à peine les 2 millions d’entrées, quant à la critique, elle se déchainera contre, le désignant comme l’archétype du cinéma du samedi soir sans risque et sans intérêt. Mais Gabin n’est pas fini, il va retrouver par la suite de gros succès, notamment Le tonnerre de Dieu avec Denys de la Patellière, puis Le clan des Siciliens de Verneuil. Avec le recul des années, il n’y a pas grand-chose à en tirer, et dans la cinématographie Gabin-Grangier, c’est peut-être le maillon le plus faible. En 1977, Jean Richard interprétera le commissaire Maigret dans une version télévisée de ce roman, sous la direction de Jean Kercheron, mais Jean Richard, comme d’ailleurs un peu plus tard Bruno Cremer, aura bien du mal à faire oublier Gabin.  

    Maigret voit rouge, Gilles Grangier, 1963

    Cicero surprend Lily à téléphoner  

    Maigret voit rouge, Gilles Grangier, 1963

    Le cadavre de Larner est dans le garage du docteur

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  • Le cave se rebiffe, Gilles Grangier, 1961

    Albert Simonin n’a jamais brillé par la qualité de ses intrigues, il était surtout reconnu pour la qualité de sa langue argotique. Mais il a une particularité, avoir tordu les formes du roman noir de voyous vers la comédie. C’était sans doute en germe dans Touchez pas au grisbi. Cela le sera plus encore dans Le cave se rebiffe, et bien sûr avec Les tontons flingueurs adaptés de Grisbi or not grisbi. Si les ouvrages de Simonin, même les premiers Série noire sont marqués d’un humour distancié, les films sur lesquels il va travailler le seront plus encore, au point de donner dans la parodie. Il s’agit donc d’un détournement des canons du roman noir. Le cave se rebiffe conserve à peine la trame de l’ouvrage et se rapproche plutôt de la comédie de boulevard. L’effet parodique sera amplifié par les dialogues de Michel Audiard. Curieusement à cette époque on ne se pose pas trop de questions sur les activités de Simonin pendant la guerre. Il est comme protégé de ses écrits antisémites, dont certains sont signés avec Henri Coston, dont on ne parle pas et de sa collaboration avec les Allemands. Est-ce que cela aurait changé beaucoup les choses ? Peut-être tout de même parce que Simonin a fait de gros succès avec Lautner notamment, et que la diffusion de ses années de prison à Fontevraud, et les raisons pour lesquelles il y avait été, l’aurait peut-être empêché de travailler.  Gallimard, via Duhamel, le protégeait.  

      Le cave se rebiffe, Gilles Grangier, 1961

    Éric Masson, un marchand de voitures d’occasion sans envergure est aux abois. Il a l’idée de faire de la fausse monnaie parce qu’il couche avec la femme d’un graveur d’exception. Il s’en ouvre à Charles, un ancien tenancier de bobinard, à qui il doit de l’argent. Celui-ci se laisse convaincre, mais il pense qu’ils ne peuvent réussir cette arnaque sans Ferdinand Maréchal, dit le Dabe, un spécialiste de fausse monnaie qui vit retiré en Amérique latine, fortune faite. Charles va l’appâter pour qu’il vienne à Paris chapeauter l’affaire. Après s’être soustrait à la surveillance de la police, Ferdinand se met en relation avec un trafiquant qui lui achètera les billets en bloc. Mais d’abord il lui faut acheter une imprimerie, faire venir les machines, puis acheter du papier à Pauline. Le Dabe doit aussi convaincre Mideau de travailler pour lui, alors même que Mideau est cocufiée par sa femme avec Éric Masson. Tout se met tranquillement en place, sauf que la police des mœurs vient enquêter auprès de Charles, faisant semblant qu’il dirigerait encore un claque. Mideau imprime les billets, mais lorsque le Dabe, Charles, Malvoisin et Éric viennent au rendez-vous, Mideau a disparu avec l’argent. Ferdinand se fâche tout rouge et rompt avec le reste de la bande. En vérité il rejoint Mideau avec qui il prend l’avion, avec les billets pour l’Amérique latine.

     Le cave se rebiffe, Gilles Grangier, 1961 

    Charles va chercher le Dabe jusqu’en Amérique du Sud 

    Comme on le voit la trame est plus que légère. Remarquez qu’au passage on a affublé le personnage du Dabe du prénom de « Ferdinand » renvoie à Céline, l’idole littéraire de Simonin et d’Audiard, et qu’en outre il porte le nom de Maréchal. Ce qui ne peut pas être un hasard bien sûr. Mais laissons cela de côté. Le thème général est que tout le monde trompe tout le monde : Solange trompe son mari avec le bellâtre Éric, Éric trompe Mideau en lui mentant, mais il tente de doubler aussi le Dabe pour s’approprier une part plus large du magot. Le Dabe n’est pas en reste qui trompe tout le monde et en premier lieu Charles. Cela n’empêche pas cependant que Mideau et Ferdinand finissent par se retrouver. Le fait qu’il y ait très peu de décors, le principal se passe dans le grand salon de Charles, renforce cette idée de comédie théâtrale. Au fond tout cela n’est pas très important, et d’ailleurs il n’y aura pas de mort. Le second aspect de ce film est de mettre en scène la bêtise de ceux qui se croient plus malin que les autres. Le stupide Éric pense qu’il a Mideau « à sa pogne » qu’il peut en faire ce qu’il veut. Charles croit contrôler la situation, et Solange se frotte à tout ce qui porte un pantalon, espérant en retirer quelque chose. Le but de cette comédie est de détourner le genre, film de gangsters, pour faire rire avec des bons mots signés Audiard. L’ensemble est très daté, et ce n’est pas faute de moyens pourtant. 

    Le cave se rebiffe, Gilles Grangier, 1961 

    Entre les époux Mideau, c’est la guerre 

    D’habitude j’aime bien Grangier, mais ici c’est tellement statique qu’on dirait du Lautner. Il n’y a pas grand-chose à en tirer. Si peut-être le portrait de l’imprimeur en artiste, avec une attention particulière pour les machines. Tous les autres personnages sont des carricatures, certes on pourra dire que c’est voulu, et ça cabotine en roue libre. Le portrait de ces truands arrivés pourrait être une métaphore du capitalisme puisque Charles, comme Malvoisin ou le Dabe cherchent toujours à accumuler plus. Mais la distance critique est inexistante. La photo de l’habituel Louis Page est très bonne, sans que cela change beaucoup l’ensemble.

     Le cave se rebiffe, Gilles Grangier, 1961 

    Charles et ses associés sont obligés d’accepter les propositions du Dabe 

    Le clou est évidemment la distribution. Même si les acteurs cabotinent – surtout Bernard Blier – à outrance. Il y a d’abord Jean Gabin qui avait pris l’habitude de se faire filmer en pyjama et avec ses chevaux. De film en film il commençait à balader ce personnage de vieux riche blasé, tellement bien arrivé qu’il se moque de tout. Il n’était pourtant pas si vieux, il n’avait même pas soixante ans. Il joue donc le Dabe, c’est d’ailleurs le surnom qu’on lui donnait dans le milieu du cinéma, le Dabe, ou le Vieux. Il est passé ainsi au cours des années cinquante d’un personnage un peu prolétaire, un peu maltraité par la vie, à celui de « patron », d’homme arrivé, de voyou il est devenu Maigret qui met les voyous au trou. Bref il s’est clairement embourgeoisé. Certes il corrigera un peu cela avec Mélodie en sous-sol, mais enfin le pli est pris. Bernard Blier est Charles, certes il joue le rôle d’un cabotin, mais il en fait des tonnes avec peu de nuances, sans doute cette manière était-elle la compensation d’un physique difficile. Il y a cependant d’autres acteurs plus intéressants, d’abord la regrettée Martine Carol dans le rôle de Solange la femme adultère. Son rôle est étroit, mais elle se remarque. De même que Maurice Biraud dans le rôle de son mari cocu. Il tournera encore avec Jean Gabin dans Mélodie en sous-sol, il est toujours très bon. Et puis on retrouvera Françoise Rosay dans deux très courtes scènes, la première avec Gabin où elle lui tient tête, la seconde avec Frank Villard qui essaie de doubler le Dabe. Frank Villard est très intéressant d’ailleurs dans le rôle du bellâtre qui essaie de s’affirmer. Le reste de la distribution va comporter des habitués des films de Grangier, comme Robert Dalban et Albert Dinan dans des rôles de poulets.

     Le cave se rebiffe, Gilles Grangier, 1961 

    Ferdinand va acheter du papier chez Pauline 

    L’intérêt pour ce film se déporte finalement plus vers les interprètes que vers l’histoire proprement dite ou vers les bons mots d’Audiard dont la fausse gouaille argotique sent un peu le renfermé. Cependant si le film n’eut pas de succès critique, il assura de confortables revenus à ses producteurs. Le public fut au rendez-vous, sans toutefois que cela soit un triomphe.  L’ensemble reste plombé par une intrigue sans surprise et qui n’avance pas.

     Le cave se rebiffe, Gilles Grangier, 1961 

    Mideau imprime les billets

     Le cave se rebiffe, Gilles Grangier, 1961 

    Ils constatent que Mideau a déménagé avec l’argent

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  •  Le désordre et la nuit, Gilles Grangier, 1958

    C’est un des films qui ont fait beaucoup si on peut dire pour la réhabilitation de Gilles Grangier. Et au fil des années il a été de plus en plus apprécié, obtenant ainsi une reconnaissance tardive. Sans doute parce qu’il joue sur le trouble des relations entre les personnages principaux, un policier qui s’emmourache d’une droguée qui probablement se prostitue, mais qui au fond est relativement pure. Il y a aussi une pharmacienne, grande bourgeoise évidemment qui accumule les turpitudes. Et puis il y a le monde de la nuit et sans doute de la débauche. Mais on oublierait un peu le principal, c’est que la base du film c’est d’abord un roman de Jacques Robert. D’abord journaliste, puis chroniqueur judiciaire, il a écrit de nombreux ouvrages qui ont été adapté au cinéma, mais il a aussi produit de très nombreux scénarios. C’est lui qui écrivit le scénario de Marie Octobre, un succès mondial, et un véhicule pour Danielle Darrieux, ou encore 125 rue de Montmartre de Gilles Grangier. C’est un auteur à mon sens injustement oublié. Bien qu’il n’ait pas fait que du noir, c’est surtout dans ce genre qu’il est intéressant. Il a parfaitement intégré les fausses pistes et les ambiguïtés nécessaires. Sans doute restait il trop souvent enfermé dans des fins plutôt heureusement ou du moins insuffisamment ambigües, mais il avait incontestablement un style, cette capacité d’aller à l’essentiel. Il avait aussi écrit le scénario d’un bon film de Daniel Vigne, Les hommes, dans un registre un peu plus influencé par José Giovanni[1]. 

     Le désordre et la nuit, Gilles Grangier, 1958 

    Albert Simoni le patron de la boîte de nuit, L’œufest convoqué à un mystérieux rendez-vous au Bois de Boulogne. Il s’y rend en compagnie de sa maîtresse, la jeune droguée Lucky. Mais il va être assassiné. La police enquête. L’inspecteur Valois est chargé de l’affaire. Rapidement il va rencontrer Lucky dans la boîte de Simoni, l’Œuf. Elle semble une coupable idéale. S’ensuit une relation passionnée et brûlante, entre un homme vieillissant et une jeune débauchée, bien que Valois se rende rapidement compte que Lucky se drogue. Mais la police veut que l’enquête avance. Cependant on apprend que Simoni est le frère d’un homme important, un député qu’il faut ménager. La pression est mise sur Valois qui repousse toujours le moment de rendre son rapport. Celui-ci est très intrigué par Lucky que son père entretient et qui semble aussi se livrer au putanat. Néanmoins, il va tout faire pour freiner l’enquête parce qu’il est persuadé que Lucky est innocente. Entraîné dans le tourbillon des fêtes auxquelles se livre la bande, Valois va rencontrer une pharmacienne, Thérèse, qui doit donner les premiers soins à Blasco qui au cours d’une bagarre s’est fait ouvrir la peau du crâne. Mais Valois va comprendre que Thérèse et Lucky se connaissent, sans trop savoir comment. Les explications que les deux femmes lui donnent ne lui semblent pas convaincantes. La pression de sa hiérarchie va provoquer sa démission. Ayant embarqué avec lui Lucky, il va avoir un accident. Lucky disparaît. Il va la retrouver bientôt, quasiment séquestrée chez Thérèse. La confrontation est inévitable : Thérèse était en réalité la maîtresse de Simoni, et elle n’avait pas supporter que celui-ci l’abandonne. Valois va téléphoner ses conclusions à la police, puis il s’en va avec Lucky, il va l’emmener dans une clinique pour qu’elle y suive une cure de désintoxication, lui promettant qu’il se retrouveront au printemps. 

    Le désordre et la nuit, Gilles Grangier, 1958 

    Simoni semble préoccupé 

    Si la question de la résolution du meurtre est relativement anecdotique, l’analyse des relations dans un milieu très particulier, le monde de la nuit, est plus intéressante. Valois est un policier intègre, un homme mûr, et pourtant le voilà attiré par une jeune droguée qui se prostitue de temps à autre pour payer ses doses. Ce sont donc deux contraires qui s’attirent, et pour tous les deux il s’agit forcément d’une transgression des codes de leur propre milieu. C’est d’ailleurs Lucky qui drague Valois et qui l’emmène à l’hôtel ! Dans cette chambre d’hôtel de passe, il y aura un jeu de miroir intéressant qui interroge sur les identités de Valois et de Lucky. Sous ses apparences robustes, Valois n’est pas le moins incertain dans sa conduite. Il frise en outre une autre forme de transgression parce qu’il va délayer le plus longtemps possible le moment où il devra remettre son rapport, parce qu’il veut protéger Lucky. Certes il la croit innocente, mais il n’en sait rien du tout. Le lieu où se noue l’intrigue est une boîte de nuit, jazz, drogue, prostitution, c’est un concentré de tous les vices. Tout se passe dans les ombres de la nuit. Et c’est peut-être cela qui attire au fond le rigoriste Valois. Mais dans cette compénétration des milieux, voilà maintenant la pharmacienne, c’est une bourgeoise, presqu’une notable de quartier, qui est attiré par un voyou plus ou moins rangé des voitures. En outre, elle se livre à l’adultère, non par plaisir, mais par une attirance calamiteuse pour le vice et la nuit. 

    Le désordre et la nuit, Gilles Grangier, 1958 

    Valois va faire la connaissance de Lucky 

    Grâce à une très belle photo de Louis Page que Jean Gabin avait souvent employé, Grangier va recycler un certain nombre de tics du film noir. La manière de filmer l’orchestre de jazz comme une explosion de sensations, une transe, rappelle évidemment Phatom lady de Robert Siodmak[2]. Mais il y a ces jeux de miroir dans lesquels se dévoilent des identités multiples et incertaines. Ou encore cette déambulation de Valois dans les couloirs du Georges V. Les scènes où nous voyons Lucky et Valois marcher dans un Paris pluvieux sont aussi très réussies. Bien que tournées en studio, elles ont un vrai accent de vérité. Mais ça c’était aussi une des marques de fabrique de Gilles Grangier que de saisir une atmosphère et d’en rendre le côté populaire et grouillant. Cette agitation sera d’ailleurs mise en opposition avec le calme apparent de la vie que Valois mène à Maisons-Laffitte et qui, on doit en convenir, ne lui convient pas vraiment puisqu’il ira chercher des sensations nouvelles dans un hôtel de passe de seconde catégorie. La fin d’ailleurs est étrange puisque Valois va mettre Lucky à l’écart de toute l’agitation de la ville, dans une clinique, à la campagne.  

    Le désordre et la nuit, Gilles Grangier, 1958

    A l’hôtel Valois continue d’interroger Lucky 

    Le film s’est monté sur le nom de Jean Gabin. C’est bien lui la vedette de ce film. Il joue un rôle dont il a l’habitude, l’homme vieillissant qui tend à conserver sa virilité par des prises de décision parfois difficile. Il va curieusement retrouver le même type de rôle dans son film suivant, En cas de malheur, film où il sera opposé à une autre jeunesse, Brigitte Bardot. Ici c’est Nadja Tiller qui est Lucky, cette jeunesse en perdition. Mais le principe est le même : il s’agit d’un homme vieillissant qui va retrouver un coup de jeunesse en tombant amoureux d’une délinquante, sauf que cela ne se terminera pas de manière aussi dramatique que dans le film d’Autant-Lara. Gabin est toujours très bon dans ces rôles où sa force bourrue vise à masquer ses incertitudes. Nadja Tiller n’est pas une actrice très subtile et pour marquer les ravages de la drogue, elle en fait peut-être un peu trop. La toujours très excellente Danielle Darrieux incarne une pharmacienne qui tente de se protéger derrière des airs pincés qui sont la marque d’une classe sociale. Elle retrouve ici dans un second rôle Jean Gabin avec qui elle avait partagé le haut de l’affiche dans La vérité sur Bébé Donge. Beaucoup de seconds rôles sont inétressants : Roger Hanin dans celui de Simoni, François Chaumette dans celui du commissaire Janin, Paul Frankeur ou encore Robert Berri dans le rôle de Marqui.

     Le désordre et la nuit, Gilles Grangier, 1958 

    Valois sait que Lucky ment 

    Le film qui avait bénéficié d’un budget très solide, curieusement ne fut pas un très grand succès, pour un Jean Gabin s’entend. C’est seulement dans le film du temps que la critique va le redécouvrir, une fois qu’elle se sera débarrassée des a priori stupides de la Nouvelle Vague. Et maintenant elle se plait à le désigner comme une réussite d’un film noir à la française. Mais nous avons encore du chemin à faire, car comme nous l’avons vu au fil de ce blog, il y a eu de très belles réussites dans le genre en France, récemment nous avons parlé de La moucharde, mais il y en a bien d’autres[3], comme le film de Pagliero[4]. En tous les cas, Jean Gabin, mais aussi Gilles Grangier auront bien travaillé dans le film noir. 

      Le désordre et la nuit, Gilles Grangier, 1958

    Valois retourne voir Lucky  

    Le désordre et la nuit, Gilles Grangier, 1958

    Blasco a été blessé, Thérèse une pharmacienne étrange le soigne 

    Le désordre et la nuit, Gilles Grangier, 1958 

    Valois est venu chercher Lucky



    [1] http://alexandreclement.eklablog.com/les-hommes-daniel-vigne-1973-a117502408

    [2] http://alexandreclement.eklablog.com/les-mains-qui-tuent-phantom-lady-robert-siodmak-1944-a148583314

    [3] http://alexandreclement.eklablog.com/la-moucharde-guy-lefranc-1958-a158447328

    [4] http://alexandreclement.eklablog.com/un-homme-marche-dans-la-ville-marcel-pagliero-1949-a144320566

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  •  Triple frontière, Triple frontier, J.C. Chandor, 2019

    Netflix est en train de devenir le plus gros studio hollywoodien. Ils arrivent à monter de très grosses productions qui sortiront au cinéma pour être ensuite diffusées sur leur réseau télévision. On a vu ainsi la dernière production des frères Coen, The ballad of Buster Scruggs, qui fut aussi une grosse déception malgré les gros moyens mis à disposition[1], et on attend dans quelques jours The irishman qui devrait consacrer les retrouvailles de Robert de Niro et de Martin Scorsese. Triple frontier apparait dans son principe comme un exercice étrange, un film qui navigue justement aux frontières de plusieurs genres. C’est à la fois un film de casse, un film noir, un film d’aventures et un film sur la drogue et ses barons. Le scénario a été écrit dans un premier temps par Mark Boal pour Kathryn Bigelow, et il dévait être interprété entre autres par Tom Hanks et Tom Hardy. Puis Paramount a laissé tomber le projet qui est revenu chez Netflix. Les moyens sont importants, et l’ensemble du projet est confié à J.C. Chandor, ce qui est sensé lui donner le vernis d’un film de prestige. 

    Triple frontière, Triple frontier, J.C. Chandor, 2019

    Pope et la police vont passer à l’attaque d’une planque de Lorea 

    Santiago Gomez, dit Pope, est un mercenaire, missionné par les Etats-Unis pour aider la police à traquer le puissant patron d’un cartel de la drogue, Lorea. Au cours d’une opération de démantèlement d’une partie du réseau, pour laquelle Yovanna qui est aussi son amante, lui sert d’indic, il lui vient à l’idée d’attaquer pour son propre compte le repaire de Lorea et de le dépouiller de sa fortune. Pour cela il va recruter quatre anciens soldats, des durs, en qui il a confiance, et s’aider également de Yovanna qui les aidera à pénétrer chez Lorea. Dans cette équipe il y a Tom Redfly Davis qui est en quelque sorte le cerveau de l’équipe, les deux frères Miller qui vivotent comme ils peuvent de petits boulots, et Francisco Catfish Morales. Tous ont un impérieux besoin d’argent, et si au début ils sont très réticents, ils vont se laisser convaincre : d’abord pour repérer les lieux, puis ensuite pour exécuter le casse. Le repaire de Lorea est très bien gardé, il faudra donc aussi se débarrasser des gardes qui protègent le magot. Mais ils vont y arriver, contrairement à ce qu’ils pensaient, il y a encore plus d’argent que prévu, plusieurs tonnes de billets de 100 dollars qu’ils vont évacuer par hélicoptère. Mais la charge est trop importante, et l’hélicoptère va se crasher, au milieu d’un champ de coca. Ils devront faire le coup de feu pour récupérer leur butin. Mais n’ayant plus d’hélicoptère, il va leur falloir traverser la Cordillère des Andes pour retrouver le bateau qui les attend. C’est très dur, d’autant plus qu’ils sont poursuivis par une partie des hommes de Lorea, mais ils y arriveront tout de même, sauf que Tom y laissera la vie. Ils abandonneront la plus grosse partie du butin, et reviendront aux Etats-Unis où ils remettront les restes de l’argent à la famille de Tom. 

    Triple frontière, Triple frontier, J.C. Chandor, 2019 

    Pope leur fait découvrir le matériel qu’ils utiliseront 

    Je ne sais pas quelles étaient les intentions du réalisateur qui a semble-t-il participé à l’écriture du scénario. Mais si l’histoire est assez convenue, l’intérêt de ce film est d’être un condensé des obsessions de l’Amérique. Ces cinq hommes désabusés se dresse à la fois contre le trafiquant de drogue, mais aussi contre les Etats-Unis parce qu’ils ont été les jouets d’illusions guerrières. Ils vont retourner contre leur ancien employeur leur savoir faire qu’ils ont acquis difficilement dans les guerres que l’Oncle Sam les a envoyés faire. Ils constituent donc un groupe à part, un groupe qui par sa morale et sa solidarité est l’égrégore d’un nouveau monde à venir. La preuve qu’ils représentent l’avenir, c’est qu’ils vont se débarrasser de l’argent, le jeter dans un gouffre, et que celui qu’ils arriveront à ramener ils l’offriront à la famille de Tom. On pourrait dire que la mort de Tom est un bon prétexte pour se débarrasser de cet argent maudit. L’argent est en effet au cœur de tout le film, il est tellement envahissant qu’il est incorporé dans les murs qui entourent Lorea. Certes la possibilité de mettre la main sur ces montagnes de fric est enthousiasmante dans un premier temps, mais l’euphorie passée, elle se ramènera à des difficultés sans nom, puisqu’ils seront même obligés de tuer des paysans frustes, des producteurs de coca. On verra d’ailleurs que dans les montagnes, l’argent est devenu un véritable boulet qui les empêche d’avancer. Il y a donc une dénonciation de cette cupidité sans fond qui consiste à toujours vouloir accumuler plus au-delà de ses besoins réels. 

    Triple frontière, Triple frontier, J.C. Chandor, 2019 

    C’est dans les murs même de la maison que Lorea planque son fric

    Le groupe reste soudé et partage malgré les difficultés les mêmes aspirations. Il représente une forme de communisme embryonnaire qui bat en brèche l’individualisme possessif remis au goût du jour par la mondialisation. Ce groupe ne montre d’ailleurs ses valeurs morales qu’en niant la puissance de l’argent. Il sera confronté du reste à des paysans pauvres qui sont sans doute exploités par les cartels de la drogue. La triple frontière se trouve au confins du Brésil, de l’Argentine et du Paraguay. Si à première vue ce territoire est une zone de non droit, abandonnée de tous, en vérité, elle appartient, via la mondialisation, au système dominant dont elle est un appendice. C’est évidemment le dollar qui l’y rattache. Quand le groupe donnera de l’argent, beaucoup d’argent, au village pour compenser les morts et les mules dérobées, le chef du village comprend tout de suite de quoi il s’agit. Il ne cherche même pas un prétexte moral à son acceptation. La vie comme la mort a un prix en dollars ! A travers ce paysage pluvieux d’une jungle inextricable, il y a manifestement une opposition frontale entre le Nord et le Sud, une incompréhension définitive, comme si les valeurs s’étaient inversées, les Yankees manifestant finalement plus de conscience sociale que les misérables paysans latinos. C’est ce qui fait d’ailleurs que le groupe de nos héros n’appartient plus à aucun monde. A la fin on les verra indécis sur leur propre devenir. Iront-ils rechercher l’argent enfoui dans une crevasse ? Se reverront-ils seulement ? On ne sait. 

    Triple frontière, Triple frontier, J.C. Chandor, 2019 

    La fuite est semée d’embûches 

    D’un point de vue cinématographique il n’y a pas grand-chose à dire, si ce n’est que c’est proprement filmé, mais sans style. Avec évidemment une belle photo, des paysages bien choisis. La scène d’ouverture, l’attaque d’une planque de Lorea par Pepe et son équipe, est vivement menée, mais elle ressemble assez à ce qu’on a vu avant dans des films comme Sicario[2]. Ensuite on assiste aux étapes de la mise en place du coup proprement dit, ce qui permet de mettre en scènes les compétences techniques du groupe. Plus intéressant est sans doute la fuite à travers la Cordillère des Andes, ça ressemble à un western, plus précisément au très bon film d’Henry Hathaway, Garden of evil. La bataille dans la montagne où Tom y laissera la vie, se passe avec des ennemis invisibles, comme les indiens dans les westerns de l’ancien temps, ils n’ont pas de véritables visages. Ils restent anonymement soudés à la dureté physique de l’espace traversé. D’ailleurs de ces autochtones on ne sait pas qui ils sont, même Yovanna qui est sensée être l’amante et l’indic de Pepe, ne montre pas grand-chose de ce qu’elle est. 

    Triple frontière, Triple frontier, J.C. Chandor, 2019 

    Tom est mort, il faudra ramener le corps 

    C’est un casting haut de gamme autour duquel le film est construit. Tom est interprété très mollement par Ben Affleck, et d’ailleurs pour le punir de cette mollesse, le réalisateur le fait apparaître tardivement, mais il le fait disparaître très tôt également. C’est Oscar Isaac, dans le rôle de Pepe, qui occupe l’écran du début jusqu’à la fin. Cet acteur de petite taille ressemble un peu à Charles Denner, il a toujours ce côté sombre en lui qui lui tient lieu de jeu. Mais comme ce sont des rôles très physiques, les grimaces n’ont que très peu d’importance. On retrouve Charlie Hunnam que certains voudraient nous faire passer pour une réincarnation de Steve McQueen dont il a repris de façon catastrophique le rôle dans la nouvelle mouture de Papillon. Mais malgré un physique athlétique, il reste assez mou. On remarquera que des rôles féminins il n’y en a guère. Adria Arjona dans le rôle d’Yovanna a du mal à exister. C’est donc un film d’hommes, mais plus précisément de 5 hommes qui n’existent que parce qu’ils coopèrent entre eux.  

    Triple frontière, Triple frontier, J.C. Chandor, 2019

    Les quatre survivants ont abandonné leur butin 

    Dire que c’est un film décevant, comme l’a fait la critique, est erroné, qu’attendre en effet de J.C. Chandor ? Mais comme je l’ai dit en commençant cette chronique, c’est plus dans ce que ce film révèle des obsessions de l’Amérique que dans l’histoire elle-même, ou les intentions du réalisateur que se trouve l’intérêt. Il y a une vision crépusculaire de la puissance des Etats-Unis qui traverse l’ensemble et qui lui donne un caractère finalement très noir. Pour le reste, on pourra se contenter de quelques scènes d’action bien menées.



    [1] http://alexandreclement.eklablog.com/the-ballad-of-buster-scruggs-joel-ethan-coen-2018-a151006964

    [2] http://alexandreclement.eklablog.com/sicario-denis-villeneuve-2015-a119674594

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