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     Traquenard, Trapped, Richard Fleischer, 1949

    Trapped est le quatrième film que Richard Fleischer tourne en 1949, il prend place entre Clay pidgeon et Armored car robbery qui sont deux très bons films noirs. C’est encore un film à petit budget. Parmi les films noirs de Fleischer, Trapped est le moins connu et le moins commenté, en France il est assez dénigré. Cela tient sans doute au fait que le sujet est un peu plus plat que les autres, quoiqu’il recèle un nombre de retournement de situation très intéressants, mais encore des subtilités que les commentateurs américains ont mises en valeur. Comme Armored car robbery, il va se donner l’allure d’un film semi-documentaire en montrant le travail de fourmi des enquêteurs qui traquent les faux-monnayeurs. C’était à la mode à ce moment là, dans ce qu’on appelle le deuxième âge du film noir. C’était une manière de renforcer le caractère réaliste de l’histoire. C’est Eagle Lion Films qui produit Trapped, la même entreprise qui travaille à la même époque avec Anthony Mann sur des films comme T-Men – avec un sujet similaire – ou Raw Deal, donc spécialisée dans les films à petit budget, ce qui donne une certaine unité de ton par delà la différence des réalisateurs. 

    Traquenard, Trapped, Richard Fleischer, 1949 

    Les agents du Trésor ont découvert des faux billets 

    Les agents du Tresor découvrent que les faux billets en circulation sont les mêmes que ceux que distribuait un certain Tris Stewart qui purge une peine de prison qui devrait savoir où se trouvent les plaques qui ont servi à l’impression. Ils vont lui proposer une remise de peine, à condition qu’il coopère. Comme il lui reste encore sept ans à tirer, il va accepter le marché. Les agents du Tresor mettent en scène une fausse évasion de Tris de façon à ce qu’il prenne contact avec ses anciens complices. Mais Tris échappe bientôt à leur surveillance, et décide de rouler pour son propre compte. Il retrouve sa fiancée, Meg, qui vend des cigarettes dans une boîte de nuit. Mais ce qu’il ne sait pas, c’est que celle-ci est sous la surveillance d’un agent du Treser, Hackett, infiltré, qui se fait passer pour un voyou. De même il ne sait pas non plus que l’appartement de Meg est sur écoute. Les agents du Tresor laissent filer Tris pour pouvoir mettre la main dessus les plaques. Tris renoue avec un certain Hooker. Celui-ci avait la garde des plaques, mais complètement alcoolisé, il a fini par les vendre à un certain Jack Sylvester. Ce dernier dit à Tris que s’il veut des faux billets, il doit commencer par payer. Il lui propose 250 000 $ de faux contre 25 000 $ de vrais. Tris va chercher cet argent qui lui permettrait de couler ensuite des jours heureux au Mexique. Pour cela il va se tourner vers Hackett. Celui-ci prétend avoir l’argent. Ils finissent par avoir un rendez-vous pour l’échange  avec Sylvester. La police qui est au  courant organise un traquenard. Mais au dernier moment Sylvester se dérobe et les agents du Tresor laissent tout le monde filer. Tandis que les faux monnayeurs tentent d’organiser un nouvel échange, Meg apprend que Hackette est en réalité un certain Downey, un agent du Tresor. Mais elle n’a pas le temps de prévenir Tris qui est arrêté de nouveau. Hackett va alors organiser tout seul l’échange. Le police est prévenu et prend en chasse la voiture de Sylvester. Mais celui-ci très méfiant arrive à échapper à la filature. Hackett arrive finalement à l’imprimerie qui se trouve à côté du dépôt des tramways. La police a cependant repéré sa voiture, et l’endroit va être cerné. Cependant Meg arrive pour prévenir Sylvester qu’Hackett est un agent du Tresor. Il s’ensuit une fusillade avec la police. Meg est tuée. Sylvester arrive à s’enfuir à travers le dépôt de tramways, mais, traqué par les policiers, il va mourir électrocuté. Les agents du Tresor sont contents, ils ont récupéré les plaques et les billets, les faux monnayeurs sont défaits. 

    Traquenard, Trapped, Richard Fleischer, 1949 

    Meg est vendeuse de cigarette dans une boîte de nuit et se fait draguer par un certain Hackett 

    Au-delà de la traque des faux monnayeurs qui volent l’Etat et qui doivent être punis, il y a beaucoup d’autres thèmes très attachants. D’abord il y a le portrait d’un gangster, Tris Stewart, qui va rester droit dans ses bottes et refuser de devenir une balance. Alors que tous les policiers mentent et rusent pour obtenir ce qu’ils veulent, c’est bien Tris qui représente la morale. C’est aspect qui va en faire un film noir, et non un simple polar vantant les mérites et l’efficacité de la police. C’est la morale des vaincus, parce que dès le départ les forces sont très inégales. Les agents du Tresor sont nombreux, ils disposent de moyens techniques sophistiqués, ils ont un agent infiltré. Tris est seul, non seulement il a la police à ses trousses, mais son partenaire alcoolique le trahit et il doit affronter la bande dirigée par le cupide Sylvester. Ce n’est donc pas Hackett le héros, mais bien Tris. Bien que celui-ci soit un rien brutal, il apparait honnête finalement et loyal envers sa fiancée. Hackett au contraire est malhonnête et pousse cette malhonnêteté jusqu’à draguer outrageusement Meg qu’il sait pourtant être la femme de Tris, mais en outre promise à la prison. Ce renversement de la morale entre le voyou et le policier qui fait tout le prix de ce film, induit un autre thème : celui de l’affrontement de deux mâles pour une femme. Au fond Hackett est jaloux de Tris qui incarne un iséal de liberté, même s’il est traqué. Cet idéal de liberté fait déraillé l’organisation bien huilée des agents de la répression des fraudes. 

    Traquenard, Trapped, Richard Fleischer, 1949 

    Gumby annonce que Tris lui a échappé 

    Le scénario est incroyablement dense pour un film qui dure à peine plus d’une heure et quart. Sans doute ce qui peut déconcerté est qu’on passe d’un protagoniste à l’autre, de Tris à Meg, de Meg à Hackett et de Hackett à Sylvester sans trop de précaution. Tris disparaîtra ainsi bien avant la fin du film, laissant l apauvre Meg se débrouiller toute seule face à Hackett et à la bande de Sylvester. Ces changements sont rythmés par les trahisons des uns et des autres. Quand Tris croit toucher au but en retrouvant Hooker, il ne trouve qu’une épave. Quand il pense régler son problème de financement avec Hackett il tombe sur un fourbe agent du Tresor, alors même qu’il croyait avoir fait le plus dur en s’échappant de la surveillance de Gumby. Meg est une victime. Une innocente victime. En effet son seul défaut c’est d’aimer Tris et de lui être dévouée. Elle est ballottée par tout le monde et sert seulement d’appât. Certes on comprend bien que si elle vend des cigarettes dans une boite de nuit où on joue du jazz elle n’est forcément pas innocente.

    Traquenard, Trapped, Richard Fleischer, 1949 

    Tris vient de retrouver Meg 

    Malgré son budget étriqué, la réalisation est excellente, bien soutenue par la bonne photo de Guy Roe qui travaillera encore avec Fleischer sur Armored car robbery, mais qui travaillera aussi avec Anthony Mann sur Railroaded. On reconnait la patte de Fleischer au moins dans les scènes d’action. Celle de la fausse évasion de Tris qui permet de filmer le bus qui le transporte en long, en large et en travers. Il excelle non seulement à utiliser les décors naturels que le bus traverse, mais aussi les espaces étriqués de l’intérieur du véhicule. La scène finale se passe dans un dépôt de tramways. C’est un choix judicieux évidemment, un tel décor de lumière et d’ombres, de machines infernales donne un aspect fantomatique à ces séquences. Fleischer pour s’en saisir utilise aussi bien la profondeur de champ et donc des diagonales originales, mais aussi des contre-plongées justifiées par la forme même des fosses qui permettent les réparations des véhicules. C’est un très beau final. Mais avant il aura tout aussi bien réussi les scènes qui se passent dans l’imprimerie clandestine : il aime manifestement filmer les machines, comme il aime filmer les véhicules, notamment les voitures qui à cette époque ont atteint une sorte d’apogée dans l’esthétique qu’elles pouvaient représenter. Le rythme est très soutenu, et on trouvera de très bonnes scènes comme les deux hommes du Tresor qui parlent côte à côte, mais par téléphones interposés. Les scènes d’amour sauvage entre Tris et Meg valent aussi le détour.

     Traquenard, Trapped, Richard Fleischer, 1949 

    Tandis que la police s’intéresse à Meg, Tris s’enfuit 

    La distribution est celle des films de série B de l’époque. Tris Stewart est incarné par Lloyd Bridges, abonné aux rôles d’antipathique, sans doute à cause de ses yeux étroits qui lui donne au choix un caractère fourbe ou dément, il aura ensuite plus de succès à la télévision. Mais ici cela  lui permet de faire douter le spectateur, est-il bon, est-il méchant ? il est très bien. A l’époque il fallait une blonde dans presque tous les films noirs. Sans doute pour montrer que c’était là l’idéal américain qui soudait autour de lui les fantasmes des mâles. Meg est incarné par Barbara Payton. C’est une actrice excellente. Elle aurait dû avoir une meilleure carrière, elle avait le talent et le charisme. Mais elle se conduisait très mal dans sa vie privée, toujours dans des mauvais coups, notamment sous l’emprise de l’alcool. Elle devait faire partie de la distribution d’Asphalt Jungle, mais finalement Huston lui préféra Marilyn Monroe – une autre martyre d’Hollywood. On la retrouvera l’année suivante dans le film de Gordon Douglas, Kiss me tomorrow goodbye[1]. Ensuite elle tournera encore quelques films, notamment des westerns, mais sans grand succès. Elle mourra très jeune. Je me rend compte que je l’ai moi aussi un peu négligée, elle mérite mieux. Elle racontera dans ses mémoires qu’elle dut se prostituer et qu’elle vécut dans la rue comme une cloche après qu’elle ne trouvait plus de travail au cinéma, alors qu’il fut un temps elle où était courtisée par le tout Hollywood, notamment par Howard Hugues, sa vie fut une tragédie comme l’a été en son temps celle de Frances Farmer qui elle finit au cabanon[2]. Les autres rôles n’ont à vrai dire que peu d’importance. John Hoyt est sensé contrebalancer Lloyd Bridges dans le rôle double de Hackett-Downey. On lui est assez indifférent même s’il a le physique de l’emploi, comme à l’endroit de Russ Conway qui joue le flic en chef qui se fait rouler dans la farine par Tris. Les gangsters sont toujours plus intéressants, c’est sans doute un parti pris plus ou moins conscient de Fleischer. James Todd dans le rôle du roublard Sylvester est très bien, comme Douglas Spencer dans celui du misérable Hooker. Les autres ne sont que des faire-valoir. 

    Traquenard, Trapped, Richard Fleischer, 1949

    Dans le dépôt des tramways la police traque Sylvester 

    La copie DVD qui circule dans la version Bach films en France, est absolument lamentable, c’est à peine un mauvais repiquage de VHS. Mais le film est très rare, il mérite sûrement une meilleure présentation. Il y a tout un travail sur la photo qu’on a du mal à apprécier dans cette version. Ce film mériterait mieux évidemment. En tous les cas, c’est un bon film noir et un bon Richard Fleischer que les amateurs du genre apprécieront.



    [2] Barbara Payton, I am not ashamed, Holloway House, 1963. John O’Dowd a aussi consacré un très bel ouvrage à Barbara Payton, Kiss tomorow goodbye: The Barbara Payton Story, Bear Manor Media, 2005. Il cherche à l’heure actuelle à en faire un film.

     

     

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  •  Les infiltrés, The departed, Martin Scorsese, 2006

    The departed est très difficile à juger, d’abord parce qu’il est le remake d’un film très réussi, Infernals affairs de Andy Lau et Alan Mak, film qui fut un énorme succès en Asie et qui obtint un fort succès d’estime en Occident. Il participa à la montée en puissance du cinéma asiatique du début des années 2000. Et donc on a toujours tendance à renvoyer à l’original. Ensuite parce qu’il traite d’un sujet qui parfois s’envole vers le grotesque et qui parfois reste au niveau du semi-documentaire avec beaucoup d’hésitation. C’est le vieux thème des infiltrés revisité par Scorsese. Ce thème est d’ailleurs un de ceux qui ont assuré les fondations du film noir. On le trouve dans les premiers films de Richard Fleischer – par exemple Trapped – ou d’Anthony Mann – T-Men, et même Joseph H. Lewis avec The undercover man. L’avantage de cette lignée de film est que dans le même homme – l’infiltré – on a à la fois le voyou qui transgresse les codes ordinaires de la morale et pour lequel le public a toujours un faible, et le policier qui remet de l’ordre dans le chaos ambiant. Evidemment se posera alors deux questions : cette infiltration n’entraîne-t-elle pas une transformation morale irréversible de l’infiltré ? La police a-t-elle le droit d’user de tels stratagèmes ? 

    Les infiltrés, The departed, Martin Scorsese, 2006 

    Costigan va être infiltré dans la bande de Costello via un séjour en prison 

    Sullivan est recruté dès son plus jeune âge par le gangster Costello qui le pousse à faire des études pour rejoindre la police d’Etat et le servir ensuite. C’est un élément brillant qui sait se faire apprécier de partout où il passe. Mais en même temps le jeune Costigan, neveu d’un bandit irlandais de Boston, réussit lui aussi à intégrer cette même police fédérale. Il va cependant être retenu par Queenan et Dugnam pour être infiltré dans le gang de Costello. Pour cela il doit faire de la prison et se couper de tous. Ça tombe bien, vu qu’il est seul au monde. Tandis que Sullivan renseigne Costello et poursuit un parcours brillant au sein de la police, Costigan va se faire admettre dans l’entourage de Costello par l’intermédiaire de French qui a connu son oncle et qui apprécie sa violence instinctive. Sullivan se met en ménage avec la psy Madolyn qui le soigne de son impuissance, mais qui en même temps est attirée irrésistiblement par Costigan qui la consulte aussi pour qu’elle lui donne des cachets. Costigan risque sa peau, tandis que Costello monte un échange avec des chinois de micro-processeurs contre 1 million de dollars. Costigan prévient la police fédérale, mais Sullivan prévient Costello qui arrive à s’échapper. Si Costigan cherche la taupe au sein de la police, Sullivan la cherche au sein du gang de Costello. L’affaire est troublée par le fait qu’il y a aussi un infiltré du FBI au sein du gang, et plus encore parce qu’il se murmure que Costello lui-même marche avec le FBI ! Costigan est à deux doigts de découvrir l’identité de la taupe infiltrée, mais elle lui glisse entre les mains. Pire encore, il va se faire piéger par Sullivan, et s’il échappe aux hommes de Costello, c’est Queenan qui va en faire les frais. Queenan mort, Sullivan prétend hériter des informations que détient Dugnam. Mais celui-ci refuse de déverrouiller ses fichiers et se met en maladie. Costigan réapparait dans le service de police après la mort de Costello abattu lui-même par Sullivan, se faisant il se dévoile, mais il comprend alors que Sullivan est la taupe de Costello. Il le dénonce à Madolyn, celle-ci, enceinte, met le père de son enfant dehors. Costigan va tenter de piéger Sullivan, après que celui-ci l’ait effacé des fichiers de la police. Il arrête Sullivan. Mais il ne pourra pas poursuivre jusqu’au bout, il sera abattu à son tour par une autre taupe infiltré dans la police. Pour ne pas laisser de trace Sullivan va toutefois le tuer. Après avoir rendu les derniers hommages à Costigan, c’est Sullivan qui, à son tour, va être abattu par Dugnam qui a sans doute compris grâce aux révélations de Madolyn qu’il était une plaie dans le service. 

    Les infiltrés, The departed, Martin Scorsese, 2006 

    Costello va prendre Costigan sous son aile 

    La première chose qu’on remarque, c’est que le scénario dû à William Mohanan, est extrêmement compliqué et très dense. Les thématiques, derrière celle des infiltrés, s’enchevêtrent. Il y a d’abord la quête du père : c’est ce que trouve Sullivan chez Costello, mais c’est ce que trouve aussi Costigan chez Costello et Sullivan. C’est Sullivan qui accomplira les deux meurtres du père. Ce sera donc un film placé sous les auspices de la psychanalyse ce qui n’est pas le cas d’Infernal affairs. C’est pourquoi, le rôle le plus important c’est celui de Madolyn. C’est elle qui tient de fait tous les fils de l’histoire entre ses mains, entre autres parce qu’elle est la dépositaire des secrets. Elle se sentira déstabilisée peut-être par Costigan, mais elle sera encore plus choquée par les trahisons et les mensonges de Sullivan. La toile de fond est la rivalité entre Costigan et Sullivan. Celle-ci se passe par personne interposée, et cela la renvoie au niveau des fantasmes, mais elle n’en existe pas moins. Des deux personnages c’est Costigan le plus intéressant, non pas parce qu’il représente le bien ou la loi, mais surtout parce qu’il est la personnification de la solitude absolue. Il n’a plus de famille, ne peut pas avoir confiance dans le gang qu’il intègre par définition, mais en plus il ne peut pas accéder à une relation normale avec Madolyn. Il est condamné à errer, tel Ulysse, entre des récifs de plus en plus dangereux, sans possibilité d’accoster et de trouver du repos. Sa seule planche de salut est de rester droit et de ne pas trahir. Dans l’opposition entre Sullivan et Costigan il y a aussi le fait que pour le premier tout est simple et facile, trop simple sans doute : son ascension vertigineuse, il la doit à Costello, c’est-à-dire à la corruption. Pour Costigan, au contraire, tout est compliqué, il ne peut jamais agir au grand jour, pire encore, il n’existe pas. Pour se soutenir, il prend des cachets et se laisse aller à des explosions de violence régulièrement. 

    Les infiltrés, The departed, Martin Scorsese, 2006 

    Costigan demande plus de protection de la part de Queenan et Dignam 

    La toile de fond c’est la mafia ordinaire de Boston. C’est plutôt là que ça coince. En effet elle existe, cette mafia, de plusieurs points de vue. Il y a une sorte de gang des rues qui fricote dans les bars louches et qui rackettent petitement les commerçants. Mais à côté de cela il y a une sorte de caïd de grande envergure, Costello, dont le portrait frise le ridicule en permanence. Certes on comprend bien qu’un mafieux de grande envergure n’est pas forcément sorti de la bourgeoisie et donc qu’il traine après lui une forme de grossièreté dont il ne peut pas de séparer. C’est un portrait sans finesse qui en fait un personnage qui cherche à tout prix à se faire remarquer de partout où il passe. Passer son temps à décrire ses fantaisies sexuelles n’a que peu d’intérêt. On comprend bien que Scorsese ait voulu d’un certain point de vue démystifier la figure du parrain du type Don Corleone, mais cela tourne à vide et devient encore plus irréaliste que la figure centrale de la saga de Coppola. A côté de cela nous avons trois services de police qui se font la guerre, le FBI, la police d’Etat, et à l’intérieur de celle-ci la cellule qui gère les infiltrés. Alors que tout le monde sait que les services sont infestés de taupes, les policiers agissent en dépit du bon sens, et ne soupçonnent jamais Sullivan, alors que les éléments ne manquent pas pour au moins l’interroger. Pire encore on va lui demander d’enquêter sue la taupe, comme si les flics étaient une bande de nigauds. Tout cet aspect est en décalage avec la volonté de Scorsese de donner un aspect hyperréaliste à son histoire. 

    Les infiltrés, The departed, Martin Scorsese, 2006 

    Costello et sa bande échangent des micro processeurs contre 1 million de $ 

    Sur le plan cinématographique, il n’y a pas grand-chose à dire, si ce n’est que Scorsese est devenu au fil des années un technicien hors-pair. Visuellement le film est impressionnant. Passons sur les grandes capacités du réalisateur à mettre en valeur les décors naturels des la ville de Boston, mais les scènes d’action sont extraordinaires et s’il y a une raison de voir ce film, c’est bien celle-là. Les actes de violence de Costigan sont filmés avec une grande inventivité. Que ce soit la bagarre dans le bar quand il commande un jus de groseille, ou que ce soit quand il défonce les deux racketteurs qui viennent réclamer leur écot à un épicier. Il y un choix des angles et un découpage donc tout à fait étonnant. Personnellement, je n’ai rien vu de tel ailleurs. Il y a ensuite la scène de la poursuite de Sullivan par Costigan. Cette scène dure très longtemps, on prend en enfilade des couloirs d’immeuble, on se fond dans la foule très dense, et puis on verra aussi une course avec les ombres qui montre que Scorsese connait bien sa grammaire du film noir. De même il utilisera à bon escient les stores vénitiens, comme au bon vieux temps, sauf que nous ne sommes plus au bon vieux temps, et que la technique et les moyens mis à la disposition de Scorsese font la différence. Bien entendu, Scorsese a repris plusieurs scènes d’Infernal affairs, notamment la scène de la confrontation entre Sullivan et Costigan sur le toit de l’immeuble. Beaucoup s’en sont aperçu. Mais cela n’est pas important. Par exemple quand Queenan est jeté du haut du toi, il y a un réalisme incroyable. D’habitude ce genre de scène est filmée de très loin, de façon à ce qu’on ne se rende pas compte qu’il s’agit d’un mannequin. Ici on voit Queenan chuter directement : soit ils ont attaché Martin Sheen à des fils de nylon, soit ils ont filmé la chute sur un très court espace de temps, avec des matelas pour amortir le choc, et ils ont démultiplié la durée. Les scènes d’une grande violence réalistes sont très nombreuses, y compris quand elles doivent opposer des flics. 

    Les infiltrés, The departed, Martin Scorsese, 2006 

    Costigan est sur le point de démasquer Sullivan 

    Mais au-delà de toutes ces qualités visuelles, bien aidées d’ailleurs par la photo de Michael Ballhaus qui avait été bien moins heureux sur Gangs of New York, il y a un rythme qui est très bon, même si par ailleurs on peut trouver que le film traine en longueur. Dans les couleurs bleutées, on assistera sous tension à l’échange entre les Chinois et le gang de Costello, alors que cet échange est en même temps suivi de loin par la police qui a placé des caméras. Dans ce cas là le montage fait tout, et cette tension est faite évidemment pour exaspérer le spectateur qui se demande bien comment Costello va bien pouvoir s’en tirer cette fois. Les scènes qui tournent autour des relations amoureuses de Madolyn sont nettement moins réussies, bien qu’elles soient indispensables pour faire le lien entre les deux protagonistes, un peu comme si Scorsese voulait rester dans un film d’hommes. Pour un psy, on se dit que cette jeune femme fait la preuve d’une très grande naïveté.

    Les infiltrés, The departed, Martin Scorsese, 2006 

    Queenan est jeté d’en haut du toit 

    La distribution est excellente, très riche, dominée par Matt Damon qui incarne Sullivan et Leonardo Di Caprio qui est Costigan, bien que celui-ci soit encore plus remarquable, possédant sans doute un registre beaucoup plus large. Mais il est vrai qu’il est plus facile de jouer les hommes tourmentés que celui d’un homme qui tente de se faire passer pour un serviteur ordinaire et discret de la police. Alec Baldwin et Mark Walhberg dans les rôles respectifs du chef de la police Ellerby et de Dugnam sont aussi très bons. Mark Walhberg qui a tourné dans de très nombreux navets est en conséquence un acteur très sous-estimé. On trouve encore Martin Sheen dans le rôle de Queenan, et puis la très bonne Vera Farmiga dans celui de Madolyn, elle éclaire un rôle relativement difficile parce qu’incomplet et bancal et parait très à l’aise dans les scènes sexuelles. Si les seconds rôles chez les gangsters sont très bons, notamment Ray Winstone dans la peau du brutal French, Jack Nicholson détonne pas mal dans celui de Costello. Il cabotine outrageusement, et plombe complètement le récit par ses grimaces, la plupart de ses scènes paraissent surajoutées. Sans doute parce que c’est un grand nom et qu’il fallait lui donner de la place, mais aussi parce que son personnage est sensé expliquer ce que sont vraiment les deux infiltrés. 

    Les infiltrés, The departed, Martin Scorsese, 2006 

    Sullivan va abattre Costello qui est aussi une taupe du FBI 

    Le film fut un énorme succès planétaire, comme presque toutes les associations Scorsese-Di Caprio d’ailleurs. Ce n’est pas le meilleur de Scorsese, et surtout on peut le juger inférieur à la version hongkongaise qui est moins prétentieuse et plus simple dans ses intentions, beaucoup pensent cela. Lors de sa sortie, le film m’avait agacé. En le revoyant je le trouve moins mauvais que dans mon souvenir, sans doute parce que je fais un peu plus attention à l’aspect technique de la réalisation. D’autant qu’on peut aujourd’hui apprécier ce film dans une version Blu ray qui la met particulièrement en valeur dans les côtés sombres des images.  C’est sans doute le film le moins mauvais de l’association Scorsese-Di Caprio.  

    Les infiltrés, The departed, Martin Scorsese, 2006

    Costigan a les preuves de la trahison de Sullivan et l’arrête 

    Les infiltrés, The departed, Martin Scorsese, 2006 

    Dugnam va abattre Sullivan

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  •  Ces garçons qui venaient du Brésil, The boys from Brazil, Franklim F. Schaffner, 1978

    Quelques temps après Marathon man, Ira Levin va s’emparer du sujet « Mengele ». C’était un auteur à succès qui faisait dans le roman comme dans la pièce de théâtre. Son plus grand succès sera, en dehors de The boys from Brazil, Rosemary’s baby. Les deux ouvrages ont des liens de parenté évidents, notamment parce qu’ils portent sur la nature des enfants qu’on met au monde. Le sinistre Mengele va jouer ici le rôle du Diable. Si on suit la vraie histoire de Mengele, pour ce qu’on en connait, cette approche du criminel nazi est toute aussi fantaisiste. Notamment parce qu’elle imagine un plan « diabolique » basé sur la génétique pour redonner toute sa puissance au régime nazi qui a été défait trente ans auparavant. Certes Mengele faisait partie de ces exilés nazis en Amérique du Sud qui pensaient qu’ils retrouveraient un jour le pouvoir, et donc ils n’avaient pas abandonné leurs idées moisies. Mais en vérité, même s’ils avaient encore des moyens, notamment parce qu’ils pouvaient s’appuyer sur des nazis qui avaient été blanchis en Allemagne, ils n’ont jamais eu la capacité de produire sérieusement le début d’un plan de reconquête : leur organisation restait tout de même assez faible, et les nazis exilés en Amérique du Sud se bornaient le plus souvent à célébrer l’anniversaire du Führer et à jouer les mercenaires pour les dictateurs du jour. Cependant Ira Levin s’est bien documenté et va aborder un sujet très moderne pour l’époque en s’appuyant sur les « talents » de généticien de Mengele. On sait que ce dernier avait tenter des expériences sur les jumeaux et sur le bleuissement des yeux. Mais ses talents étaient très limités et ne semblent pas avoir été concluants. Franklin F. Schaffner est un cinéaste assez hétéroclite, il passe volontiers du film politique – The best man – au film historique – The war lord – ou encore au film de science-fiction – Planet of apes. L’ensemble parait se recouper dans une analyse des formes du pouvoir et de ses abus. Certains de ses films ont été des succès planétaires et durables. Parmi les adaptations nombreuses du roman de Pierre Boulle, La planète des singes, c’est certainement la sienne qui est la meilleure et la plus pertinente. Papillon a aussi été un succès remarqué. D’autres films moins connus sont intéressants comme The double man par exemple où il s’exerce au film d’espionnage dans un registre qui parfois se retrouvera dans The boys from brazil. Réalisateur avec un caractère difficile, il eut de grosses difficultés à surmonter ses échecs au box-office.  

    Ces garçons qui venaient du Brésil, The boys from Brazil, Franklim F. Schaffner, 1978

    Barry Kholer au Paraguay piste Mengele, en l’espionnant, il va avoir connaissance d’un complot dont il ne comprend pas le fondement. Il alerte Lieberman, un chasseur de nazis, basé à Vienne, mais celui-ci ne semble guère intéressé. Kholer va payer de sa vie ses activités d’espionnage, cependant il aura eu le temps d’intéresser Lieberman. Mengele prépare l’assassinat de 94 fonctionnaires âgés de 52 ans, répartis un peu partout dans le monde. C’est un plan qui est exécuté sous la surveillance de Seibert qui est d’ailleurs très sceptique. Lieberman va se mettre sur la piste des « assassinés ». Il va découvrir un lien commun entre eux : ils sont beaucoup plus âgés que leur femme et surtout ils ont adopté un enfant. Or tous ces enfants se ressemblent. Ils sont bruns aux yeux bleus. En remontant cette piste, Lieberman va comprendre qu’ils sont le fruit d’un clonage, et que ce clonage s’est réalisé à, partir de prélèvement sur Hitler lui-même. Il aurait été cloné ainsi 94 fois ! Ce grand nombre est justifié par le fait que peu de clonés restent en vie et en bonne santé. Une femme qui faisait le trafic d’enfants et qui se trouve en prison lui dévoilera la moitié de l’histoire, mais c’est un généticien allemand qui lui fournira la clé. Mais de leur côté les nazis commencent à s’inquiéter, et ils vont sommer Mengele d’abandonner son projet qui pourrait les mettre en danger. Seibert va détruire le laboratoire de Mengele, mais celui-ci engage une course de vitesse avec Lieberman pour tenter de récupérer un des clones. Mengele va finalement se retrouver en face de Lieberman et ce dernier ne sera sauvé que grâce à l’intervention de l’enfant qui fera dévorer Mengele par des chiens. Les jeunes chasseurs de nazis veulent tuer les clones d’Hitler dont Lieberman possède la liste, mais ce dernier refusera, laissant le destin s’accomplir. 

    Ces garçons qui venaient du Brésil, The boys from Brazil, Franklim F. Schaffner, 1978 

    Kholer tente d’alerter Lieberman sur la piste de Mengele 

    Il y a énormément de choses dans ce scénario. D’abord évidemment une réflexion sur les nazis qui avaient cette prétention incroyable de vouloir contrôler la vie et la reproduction humaine pour asseoir et développer leur pouvoir. C’est un sujet qui a émergé dans les années soixante-dix, mais qui me semble aujourd’hui encore plus pertinent. On voit donc que le progrès scientifique contient des aspects pour le moins très louche et donc qu’il ne correspond pas forcément au progrès du genre humain. A côté de ce thème dominant, associé au pouvoir maléfique nazi, il y a bien entendu l’affrontement entre le bien et le mal, c’est-à-dire l’affrontement entre le juif qui vise à reconstruire l’humanité et le nazi qui tente de la détruire. Les chiens qui finalement règleront le problème ne s’y trompent pas, ils déchiquèteront Mengele. L’ambigüité entre progrès scientifique et progrès humain est représentée par le docteur Bruckner qui, même s’il n’est pas nazi, s’extasie sur les performances techniques de Mengele. La folie n’est pas loin. Un autre thème sous-jacent à cette histoire c’est le rapport du vieux Lieberman avec les jeunes révoltés qui ont soif de justice. Le premier se méfie des seconds, pensant qu’ils ne sont pas sérieux, mais en même temps il s’agit d’un passage de témoin sur la question de la Shoah, et en fait cela correspond au milieu des années soixante-dix à une prise de conscience qui quelque part a pris la place des grands mouvements sociaux de la fin des années soixante qui n’ont pas vraiment abouti. 

    Ces garçons qui venaient du Brésil, The boys from Brazil, Franklim F. Schaffner, 1978 

    Mengele a réuni son équipe pour lui exposer son plan d’action 

    Le récit est mené à la manière d’un thriller, avec de nombreux rebondissements, et des personnages qui se retrouvent en permanence en danger. On fera un peu de tourisme aussi, en passant de Vienne à la jungle du Paraguay, ou encore en visitant Londres et la Suède. On verra aussi l’opposition entre l’opulente communauté nazie au Paraguay et les misérables autochtones qui vivent en permanence dans la précarité. De même on retardera pendant le plus longtemps possible le moment où le spectateur doit apprendre les raisons du plan de Mengele. Dans la forme c’est l’affrontement de deux obstinations, Mengele et Lieberman ne veulent jamais lâcher le morceau, même si le temps a passé, et même si Lieberman est plutôt fatigué. Il est cependant soutenu par Esther sa femme qui est l’exact contraire de toutes les autres femmes qui apparaîtront à l’écran et qui se tiennent loin de leur mari, se réjouissant même parfois de le voir disparaitre. Mais c’est un film assez peu sexué, et Mengele n’est pas du tout porté sur la bagatelle. Lieberman est dérivé sans doute de Simon Wiesenthal, le chasseur de nazis très controversé qui s’était targué de coincer Mengele mais qui en réalité se trompait sur toute la ligne sur sa localisation : il le traquait encore au Paraguay, alors qu’il était au Brésil. Cependant, à l’époque du tournage de ce film, Mengele non seulement était encore vivant, mais on ne savait pas beaucoup de choses sur sa cavale. C’est seulement après sa mort que les langues se délieront et qu’on apprendra quels appuis il lui restait en Allemagne chez les nazis qu’on avait choisi de blanchir et de réintégrer dans la société. Parmi les éléments véritables qu’utilise le scénario qui est très fidèle au roman, il y a le costume blanc, et cette passion pour l’opéra qui lassait d’ailleurs tout son entourage. 

    Ces garçons qui venaient du Brésil, The boys from Brazil, Franklim F. Schaffner, 1978 

    Lieberman est étonné par la passivité de la veuve 

    Sur le plan purement cinématographique, on ne trouvera rien d’exceptionnel. C’est très propre, bien cadré, avec un sens de l’espace. Quelques scènes sont cependant plus remarquables, par exemple les scènes dans la jungle qui montrent l’enfermement très coloré de Mengele vivant au milieu des indigènes. Ou encore le grand bal donné en l’honneur d’Hitler, on a droit à des mouvements d’appareil assez compliqués avec beaucoup de profondeur de champ et de continuité, Schaffner évitant de trop découper. Il y a aussi quelques plans très bons de Vienne, une ville grise et éteinte qui semble n’avoir plus ni passé, ni avenir. 

    Ces garçons qui venaient du Brésil, The boys from Brazil, Franklim F. Schaffner, 1978 

    Lieberman interroge une femme qui a vendu des nouveau-nés aux yeux bleus 

    L’interprétation c’est la confrontation entre Gregory Peck et Laurence Olivier. Le premier a toujours été un acteur très sous-estimé, comme si on voulait le réduire à son physique un peu lisse. Il est vrai qu’il a un peu abusé des portraits de héros positifs. Mais ici il est excellent dans le rôle du semi-dément Mengele. Obnubilé par la mission qu’il s’est donnée, il n’est pas forcément méchant, il est bien pire, il est le mal. Laurence Olivier qui dans Marathon man jouait un simili-Mengele sous le nom de Szell, est ici le chasseur de nazi Lieberman. Bien que sa performance ait été saluée, pour moi c’est lui qui déséquilibre le film. Il cabotine un peu trop, certes il n’en est pas réduit aux grimaces de Michel Serrault, mais ce n’est guère brillant. James Mason n’a qu’un tout petit rôle sans relief, il est Seibert, le nazi ennemi de Mengele qui fera tout pour que son projet avorte. Il y a aussi Lili Palmer dans le rôle d’Esther. Elle est toujours très juste, mais elle n’a pas beaucoup de place pour démontrer son talent. Il y a aussi quelques seconds rôles remarquables, Uta Hagen qui interprète une ancienne gardienne de camp nazie, celle que Lieberman arrivera à faire parler en rusant un peu. On reconnaitra aussi Bruno Ganz dans le petit rôle de Bruckner le généticien, ou encore le très bon Barry Guttenberg dans le rôle de Kholer. 

    Ces garçons qui venaient du Brésil, The boys from Brazil, Franklim F. Schaffner, 1978 

    Les hommes de Seibert vont faire disparaitre le laboratoire de Mengele 

    C’est un film avec pas mal de moyens, dans l’ensemble c’est suffisamment maitrisé pour qu’on passe sur les naïvetés du scénario qui aujourd’hui paraissent un peu datées. Il est d’ailleurs étrange que dans le film Mengele soit tué, alors qu’à l’époque on ne savait pas où il se terrait. Il vivra en réalité encore quelques années après le tournage de ce film, et finalement mourra de sa belle mort sans l’intervention d’une justice quelconque. Le film eut un succès critique et public satisfaisant. En Allemagne cependant il fit l’objet de coupures importantes pour ménager des susceptibilités. Présenté Mengele comme un criminel parce que fou, passe encore, montrer qu’il était appuyé fermement par une partie de l’oligarchie, c’était moins admissible pour une Allemagne qui tentait de faire oublier les monstres qu’elle avait pu engendrer.

    Ces garçons qui venaient du Brésil, The boys from Brazil, Franklim F. Schaffner, 1978 

    Lieberman va se trouver à la merci de Mengele

     

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  •  Marathon man, John Schlesinger, 1975

    C’est un thriller, avec beaucoup de rythme et d’action. Le scénario est une adaptation par l’auteur lui-même d’un roman à succès. Mais William Goldman c’était fait connaitre par des grands succès comme Harper ou Butch Cassisdy and the Sundance Kid. Ce qui nous intéresse ici c’est que le film s’inspire – plutôt de loin que de près du reste – de Josef Mengele, ce médecin nazi qui a échappé miraculeusement à toutes les traques pour mourir dans son lit en 1985 et qui était connu pour ses expériences douteuses sur des Juifs. Ici le personnage est édulcoré, sous le nom du docteur Szell, c’est un simple dentiste qui a fait fortune et qui se cache au Brésil. On ne saura pas quelles ont été précisément les exactions commises par celui qui est aussi présenté comme un criminel de guerre. Si on veut avoir une meilleure approche de Mengele, il vaut mieux lire Olivier Guez et son roman La disparition de Josef Mengele, dans lequel sa cavale misérable est décrite sur la base de témoignages sérieux[1]. Mais en 1975, on ne savait pas grand-chose de ce savant fou, on ne connaissait que ses crimes dans les camps de concentration. il restait un mystère pour l’opinion. C’est une production très typique des années soixante-dix. La réalisation a été confiée à John Schlesinger, réalisateur britannique, qui avait obtenu un succès énorme avec Midnight cowboy avec déjà Dustin Hoffmann. Toute cette époque semble maintenant très lointaine : en ce temps le cinéma pouvait construire des succès sur des vedettes au physique banal comme Dustin Hoffmann et avec des scénarios qui se voulaient aussi le véhicule d’une forme de conscience sociale, au-delà d’un simple divertissement. Dustin Hoffmann était le cœur même du projet et à cette époque lointaine, il était une énorme vedette. On n’était pas encore revenu dans les thrillers à des héros bodybuildés comme Schwarzenegger ou Stallone ou encore Bruce Willis. Les acteurs de petite taille comme Dustin Hofmann ou Al Pacino avaient toute leur chance.  

      Marathon man, John Schlesinger, 1975

    Thomas Levy est un étudiant en histoire, et il a comme passion de s’entraîner à Central Park pour faire le marathon. Tandis qu’il court, un Allemand, Klaus Szell, se rend dans une banque pour se livrer à de mystérieuses transactions. Sur le chemin du retour, il traverse la quartier juif, il se prend de bec avec un automobiliste juif, et cela provoque un accident. Cet accident va avoir des conséquences sur le long terme. Le frère de Klaus Szell est un criminel de guerre qui se terre au Brésil pour échapper aux commandos juifs qui sont à ses trousses. Et donc Christian Szell va être obligé de revenir sur New-York pour débloquer les diamants qui dorment dans un coffre de banque. « Doc »Levy qui est le propre frère de Thomas, participe sous le couvert d’une agence de renseignement américaine au trafic de diamant. Or il est victime à Paris de plusieurs tentatives d’assassinat. Dans le même temps Thomas va tomber amoureux d’une femme, Elsa, qui se prétend suisse. Leur romance prend du plomb dans l’aile quand ils sont tous les deux attaqués dans Central Park. De retour à New-York, « Doc » est heureux de retrouver son frère, tous les deux ont en commun le fait que leur père, un historien aussi, s’est suicidé au début des années cinquante dans le moment de la c hasse aux sorcières. Il invite Elsa et Thomas au restaurant, mais il piège la jeune femme qu’il accuse de ne pas être suisse, mais allemande. Cela fait un mini-scandale et les deux frères se disputent. « Doc » se rend ensuite à un mystérieux rendez-vous où il va rencontrer directement Christian Szell. Ça se passe mal, et après que « Doc » ait giflé Christian, ce dernier le tue. « Doc » a seulement de rentrer pour mourir dans les bras de son frère. Il ne dira rien. Cependant Szell et sa bande, à laquelle appartient aussi un membre de la police, pensent que Thomas détient des informations. Ils vont l’enlever et le torturer avec une roulette de dentiste. Très difficilement Thomas va arriver pourtant à s’échapper. Il va demander de l’aide à Elsa. Mais il va comprendre qu’elle est de mèche avec Szell. Il tuera le policier véreux et ses deux complices, mais Elsa a elle-même été tuée. Szell est retourné à la banque pour récupérer les diamants. Mais en traversant le quartier des diamantaires, une vieille femme le reconnait. Là encore il va échapper difficilement à ses poursuivants. C’est Thomas qui va finalement l’arrêter dans une sorte de château d’eau, Szell mourra finalement par lui-même, victime de sa cupidité. 

    Marathon man, John Schlesinger, 1975 

    Thomas est très amoureux d’Elsa 

    En mettant plus particulièrement l’accent sur l’action et les rebondissements permanents, le film en vient à oublier de faire exister les personnages. C’est souvent cela qui fait un thriller. Et donc on n’insistera pas sur le criminel de guerre qu’a été Szell. Certes on comprend bien qu’il incarne le mal, également qu’il est très cupide. Mais c’est un simple dentiste, on ne sait pas vraiment ce qu’il a durant la guerre. On comprend qu’il est à la tête d’un vaste réseau de trafiquants, que sa richesse le protège un peu, mais on ne sait pas comment il a échappé à la traque, ni ce que cherchent les policiers qui sont à ses trousses. Pour Janeway, c’est clair, en trahissant tout le monde, il cherche à mettre la main sur les diamants. Si je rentre un peu dans le détail, je me rend compte que deux frères, les frères Szell, sont opposés à deux autres frères, les frères Lévy. Ces derniers sont la mémoire de l’humanité, ils se battent aussi bien pour qu’on n’oublie pas leur père, scandaleusement poussé au suicide, mais aussi qu’on n’oublie pas les criminels de guerre. Si Thomas a choisi le métier d’historien, c’est pour entretenir la mémoire de son père. C’est la lutte entre le bien et le mal qui continue par d’autres moyens. On pourrait ajouter que la femme, Elsa, est ici l’instrument de la trahison, sans doute est-ce le personnage le plus faible du scénario, sa scène de séduction de Thomas paraît à contre-temps par rapport au déroulé de l’histoire. On ne comprend guère ses motivations, et surtout on ne sait pas si elle a vraiment du remord d’avoir abusé de la confiance de Thomas. Les deux frères Lévy sont opposés dans le caractère, l’étudiant est idéaliste, son aîné est pragmatique. Des invraisemblances, le scénario en fourmille. Par exemple le manque de méfiance de « Doc » qui va au rendez-vous fixé par Szell. On ne sait pas d’ailleurs comment la vindicte de Szell à l’égard de « Doc » et de son frère s’est développée. On pourrait aussi bien dire que lorsque le prudent Szell se rend dans le quartier des diamantaires juifs, il prend un risque bien inconsidéré. Cependant on peut justifié ce principe comme une sorte de défi que Szell lance à cette communauté : il ne tolère pas que les Juifs ait pignon sur rue, alors que lui craint la lumière du jour. Même si les allusions à de contextes politiques particuliers, les camps de concentration, ou la chasse aux sorcières, sont directes, il ne faudrait pas croire que le film a un message à faire passer.

     Marathon man, John Schlesinger, 1975 

    Chen tente de tuer « Doc » 

    L’ensemble est très rythmé, et Schlesinger utilise parfaitement les décors de New York, ville où se passent les trois-quarts du film. Comme dans de nombreux thrillers il y a une maniaquerie à nous faire faire du tourisme malgré nous, et donc on visitera un peu la forêt amazonienne, Paris, les puces de Saint-Ouen, l’opéra Garnier, ou encore la tour Effel.  On n’évitera pas le folklore des manifestations en vélo des Parisiens contre la pollution ! Cependant Schlesinger est tout à fait à l’aise avec les scènes de rue, que ce soit la fuite de Thomas dans la nuit, ou encore les déambulations de Szell dans le quartier des diamantaires. De même, il filme très bien les scènes d’action, que ce soit la tentative d’assassinat sur « Doc » avec une corde à piano, ou évidemment la torture du dentiste sur le jeune étudiant. La scène de rendez-vous au Palais Royal sous les arcades rappelle Charade de Stanley Donen, comme d’ailleurs les tueurs abominables qui portent leur cruauté sur la figure. Également la scène finale dans le château d’eau revient à des éléments classiques du film noir, comme les escaliers en spirale ou les plongées vertigineuses qui dessinent l’abime représentée par l’eau bouillonnante. Mais comme je l’ai dit un peu plus haut Schlesinger ne s’intéresse guère à ses personnages, ce qui rappelle un peu Hitchcock tout de même. Par  contre il y a de l’émotion quand deux anciens déportés reconnaissent Szell et tentent sans succès de l’arrêter dans l’indifférence de la foule newyorkaise. On voit Szell marcher imperturbablement, alors même qu’une vieille, visiblement choquée, hurle après lui. C’est peut-être la meilleure scène du film.  

    Marathon man, John Schlesinger, 1975

    Szell se prépare à quitter sa retraite brésilienne 

    C’était le deuxième film que Dustin Hoffmann tournait avec Schlesinger, après l’énorme succès de Midnight cowboy. C’est évidemment sur son nom que le film s’est monté. C’était l’époque des petits acteurs, et sa ressemblance avec Al Pacino était d’autant plus forte que Marthe Keller allait devenir la compagne de ce dernier. Dustin Hoffmann est un très bon acteur, et sa réputation n’est pas du tout usurpée. Il a une très bonne présence. Marthe Keller est moins à son aise. C’était, il faut le souligner, son premier film américain. Elle est beaucoup plus grande que Dustin Hoffmann, ce qui n’est pas très dur, mais c’est elle qui semble la plus gênée par cette différence. Laurence Olivier tient parfaitement le personnage de Szell, un mélange de force et de cruauté. La bonne idée a été de lui faire raser la tête. Et puis il y a le toujours très excellent Roy Scheider dans le rôle du frère aîné. Malheureusement, il disparaît au milieu du film. On reconnaîtra aussi William Devane dans le rôle du traître. Mais son rôle est peu développé. 

    Marathon man, John Schlesinger, 1975

    « Doc » va piéger Elsa au cours du diner 

    Malgré le passage des années, le film se voit encore très bien aujourd’hui, à condition de ne pas trop en demander, et surtout de ne pas attendre un film sur Mengele. La photo du grand Conrad L. Hall lui donne un côté très soigné, et la musique aussi est bonne. Comme on le voit, il y a suffisamment d’éléments pour qu’on voit ou revoit ce film aujourd’hui. 

    Marathon man, John Schlesinger, 1975 

    Szell a poignardé mortellement « Doc » 

    Marathon man, John Schlesinger, 1975 

    Szell s’apprête à torturer Thomas  

    Marathon man, John Schlesinger, 1975

    La fin est proche pour Szell



    [1] Paru aux éditions Grasset en 2017, ce roman avait obtenu le prix Renaudot la même année. Il y a une tendance dans le polar, ou dans le roman noir, à utiliser des faits réels en s’appuyant sur une documentation très sophistiquée, on trouve ça par exemple chez Philippe Jaenada aussi. Sont-ce encore des romans ? Ils ne peuvent cependant éviter le piège qui fait qu’immanquablement, même s’ils s’appuient sur des faits bien réels, ils oublient telle ou telle pièce du procès.

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  •  Dans l’ombre du brasier, Hervé Le Corre, Rivages, 2019

    Cet ouvrage est la suite si on peut dire de L’homme aux lèvres de saphir paru aux éditions Rivages il y a déjà 15 ans. On y retrouvera le sinistre Pujols, le représentant du mal absolu, mais bien sûr il n’y aura plus Isidore Ducasse auquel il ne sera fait qu’une allusion brève puisqu’il était mort dans le premier volume. Ce très gros roman s’inscrit à la fois dans la lignée des romans noirs basés sur l’histoire des guerres et des révolutions – Jean Amila, Patrick Pécherot et quelques autres – et d’une forme engagée tout autant que désespérée du roman noir. Bien que l’écriture soit complètement différente de celle de Pécherot, Dans l’ombre du brasier fait penser immanquablement à Une plaie ouverte qui va décrire aussi la fin de la Commune de Paris. Cette veine du polar historique est représentative d’une littérature noire qui n’arrive plus à parler de la société contemporaine. Mais cela a sa logique, à la fois parce que cela nous rappelle les racines maudites de notre société d’aujourd’hui, et permet également de comprendre un peu le sens de la défaite du mouvement social.  

    Dans l’ombre du brasier, Hervé Le Corre, Rivages, 2019 

    La bravoure et la générosité ne suffira pas aux Communards 

    Pujols commet des crimes monstrueux et des enlèvements, sans doute plus par plaisir qu’autre chose, dans son entreprise il se fait aider d’un cocher un peu rustre un peu bizarre, Clovis que le Paris de flammes de la fin de la Commune va finalement révéler à lui-même. Pujols enlève des très jeunes femmes qu’il monnaye aux Prussiens qui campent aux portes de Paris, ou à un louche photographe qui se prend pour un artiste et un génie. Caroline, une ambulancière qui penche pour la Commune va être enlevée. Elle est aussi la maitresse de Nicolas, un communaux qui a pris les armes et qui se bat aux cotés du jeune Adrien et du Rouge. Ces trois là agissent à la manière de commandos ou de snipers. Tandis que les Versaillais attaquent Paris et pénètrent dans ses murs sans faire de quartier, l’agent de la sureté Roques et Loubet vont partir à la recherche de Caroline et poursuivront leur quête obstinément malgré toutes les difficultés. Les immeubles sont éventrés, Paris flambe, la Commune se débande. Adrien sera tué d’un éclat d’obus. Caroline enfouie sous des décombres va être ensevelie pendant un long moment, mais va finir par retrouver l’air libre à défaut de la liberté puisqu’elle retombera dans les pattes des Versaillais qui veulent la violer. Mais Caroline s’en sortira, et elle va finir par reprendre sa place aux soins des blessés, et c’est là qu’elle retrouvera Nicolas, blessé, et qui a perdu ses amis dans les longues fusillades. Roques et Loubet seront arrêtés par les Versaillais. Caroline et Nicolas arriveront tout de même çà s’enfuir de cet enfer après des péripéties nombreuses et variées. Clovis mourra en se rachetant sur les barricades, et l’ignoble Pujols finira sa vie misérablement comme il avait vécu.

    Dans l’ombre du brasier, Hervé Le Corre, Rivages, 2019 

    Les Versaillais pilonneront Paris avec de très gros moyens matériels 

    Il est bien difficile de dire à quel genre ce roman appartient. A l’évidence Herve Le Corre connait bien l’histoire de la Commune. Ceux qui ne la connaissent pas y apprendront beaucoup, les autres réviseront leurs souvenirs. Le contexte est dramatique puisque la canaille versaillaise a opéré un vaste massacre de la population ouvrière de Paris, une sorte de Grand remplacement si on veut. Selon Louise Michel qui fut condamnée à la déportation en Nouvelle Calédonie, il y aurait eu durant la semaine sanglante quelques 70 000 morts, femmes et enfants compris[1]. Quelque chose de bien pire que la Saint-Barthélemy. Thiers était aux commandes, il négociât avec les Prussiens en leur payant de larges sommes pour récupérer ses canons et son armée et crever le peuple de Paris. Cette armée pourrie qui avait été incapable de défendre la patrie, la voilà qui trouvait de l’allant pour massacrer à un contre vingt les prolétaires révoltés. La raison de cette ultra-violence est qu’en fait il y avait un mouvement des communes de partout en France. Paris était évidemment le symbole le plus fort. Marx saluera l’originalité de cette insurrection[2].  On dit qu’il avait lui-même collectionner des articles de journaux et des photos sur cette guerre civile. Sans doute avait-il été aussi instruit directement de ce mouvement et de ses orientations par Paul Lafargue qui avait séjourné à Paris à ce moment. Alexis Lecaye est sans doute le premier auteur de romans noirs à avoir introduit la Commune avec Marx et Sherlock Holmes[3]. Bref la Commune de Paris, aussi tragique que soit son destin, est un symbole de la lutte des classes, dans ses formes comme dans ses intentions. Il fut un temps où les révolutionnaires se réunissaient encore au Père Lachaise devant le mur des fédérés pour célébrer le 1er mai. L’hommage que rend Le Corre aux Communeux le situe politiquement. Dans le contexte d’aujourd’hui cet ouvrage prend un relief tout particulier pourtant parce que Macron se prend un petit peu pour Adolphe Thiers dans la manière qu’il tente de mettre en œuvre l’écrasement des gilets jaunes, même si ses pulsions fascisantes ne vont pas jusqu’à tirer au canon sur la plèbe, il se contente pour l’instant des canons à eau ! Les deux hommes ont en commun cette même capacité à ne pas respecter la démocratie quand le peuple les contrarie. L’idée des Versaillais était : plutôt raser Paris que de laisser la Commune se développer. La bourgeoisie parisienne aura les mêmes réflexes à la fin des années trente : plutôt Hitler que le Front populaire.  

    Dans l’ombre du brasier, Hervé Le Corre, Rivages, 2019

    Le décor est la première destruction de Paris par le capital et les forces qui le soutiennent, l’armée et le clergé, il y en aura d’autres, jusqu’à aujourd’hui avec l’incendie de Notre Dame de Paris. C’était une manière d’achever déjà ce qu’avait commencé la baron Haussmann sous le Second Empire. Paris devait devenir une ville fluide et sans aspérité pour la circulation des troupes et des marchandises, et aussi pour le plaisir des touristes. Le Corre raconte que des touristes venaient nombreux après la défaite de la Commune pour se rendre compte et admirer les dégâts qu’on attribuait évidemment aux communeux. Comme aujourd’hui on vient de loin contempler les ruines de Notre Dame de Paris. Tout cela donne une étrange résonance entre 1871 et 2019. Curieusement la Commune de Paris a été le premier mouvement social de grande ampleur à être photographié dans tous les sens. Il a donné lieu à des films plus ou moins intéressant, dont le très bon film de Grigori Kozintsev et Leonid Trauberg, La nouvelle Babylone en 1929, car pour les révolutionnaires russes, la Commune était une référence incontournable, peut-être encore plus que la Révolution française de 1789. Il y a aussi l’excellent et peu connu Untel père et fils de Julien Duvivier qui fut tourné en 1940 avec une distribution époustouflante, mais qui ne sortit qu’après la guerre pour ne pas faire de peine à l’occupant. Seule la première partie parle de la Commune comme la conséquence de la guerre contre les Prussiens, avec la démission de l’armée française qui fut remplacée au pied levé par le peuple pour contenir les armées étrangères. 

    Dans l’ombre du brasier, Hervé Le Corre, Rivages, 2019 

    Le fort d’Issy après les bombardements versaillais 

    Mais revenons au roman proprement dit. Si comme on a dit, on avait bien du mal à le cadrer dans un genre particulier, c’est parce qu’il emprunte à beaucoup de thèmes. Il y a à la fois l’histoire de Nicolas et Caroline. Histoire d’amour difficile et contrariée par les circonstances bien particulières. Il y a ensuite les amitiés qui se créent dans la lutte et la bataille, avec cette idée selon laquelle la défaite est peut-être moins importante que le combat lui-même et la dignité qu’on peut trouver dans les luttes. Il y a Roques et son sens du devoir qui donne au roman l’allure d’un roman criminel : le détective qui poursuit un assassin. Et puis il y a, surtout dans la première partie, une réflexion sur le mal. Pujols est une sorte de Fantômas, sadique, qui agit pour son propre compte et qui jouit de ses forfaits. Cette saga maléfique prend ainsi une allure gothique parmi les décombres de la cité. Le Corre tente de ne pas sombrer dans une approche manichéenne de la répression féroce de la Commune et donc de présenter les Versaillais comme des salauds ordinaires, mais humains, qui couvrent à peine leurs forfaits de la nécessité de faire appliquer la loi et de restaurer l’ordre républicain, sans trop bien comprendre Le rôle qu’on leur fait jouer. Il y a tout de même une approche de classe, puisque vers la fin il mettra en scène le lâche soulagement des bourgeois qui se laissent aller à dénoncer les rares Communards qui ont échappé au massacre. 

    Dans l’ombre du brasier, Hervé Le Corre, Rivages, 2019

    Les Communards assassinés verront leurs corps exposés pour l’exemple 

    Le roman est très intéressant par la méticulosité de la documentation sur laquelle il repose, on n’ignorera rien des barricades et des bombardements, et avec des belles envolées lyriques sur l’espérance des prolétaires dans une vie meilleure. Au fil des pages on se prend à aimer les Communards qui cherchent des formes nouvelles de relation sociales, avec toutes les difficultés qu’on peut imaginer. L’écriture est plus heurtée et change au fil du volume, comme si Le Corre avait mis beaucoup de temps pour l’écrire et que les deux parties ne dataient pas de la même époque. Plus contournée et précieuse dans la première partie dans laquelle domine la figure maléfique de Pujols, et plus sèche et directe dans la deuxième partie ou le ton est plus choral aussi, avec une histoire plus éclatée entre Roques, Nicolas et Caroline. C’est sur ce terrain de l’écriture qu’il est très différent de Pécherot qui lui a toujours une écriture plus sobre, même si tous les deux utilisent des tournures qui rappellent l’ancien temps. Il y a parfois un peu de relâchement dans le vocabulaire, mais sans que ça ne tombe dans l’indigence lexicale d’un Houellebecq par exemple. Mais ne nous laissons pas trop distraire par des questions de forme, malgré la longueur de l’ouvrage, près de 500 pages bien serrées, on n’abandonne pas le roman en cours de route, ni même on n’en a l’envie, l’émotion est bien là. Et c’est bien là le principal. Il y a cette capacité de nous faire ressentir la vie telle qu’elle était au moment de la chute de la Commune, dans on quotidien, au-delà des espérances qui se manifestaient sur un plan un peu théorique.  

    Dans l’ombre du brasier, Hervé Le Corre, Rivages, 2019

    Les Champs-Elysées à l’époque de la Commune



    [1] Louise Michel, Histoire de la Commune, Stock, 1898.

    [2] Karl Marx, La guerre civile en France, Adresse au Conseil général de l’AIT, 1871.

    [3] Ce roman avait, si ma mémoire est bonne aussi été édité par François Guérif, en 1981 chez Fayard.

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