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    Alphonse Boudard est un très grand écrivain, avec une langue bien à lui. Malheureusement il n’existe que peu d’ouvrages sur son œuvre. Et ce n’est pas celui de Pierre Gillieth qui fera avancer l’affaire d’un iota. Cet ouvrage possède de graves défauts de forme et de fonds. Ce n’est pas parce qu’on aime quelqu’un qu’on peut arriver à écrire un livre sur lui.

    D’abord il est très mal écrit, c’est simplement une forme de compilation de tout ce qu’on peut trouver aussi bien dans les œuvres de Boudard que dans les rares textes qui ont été produits sur lui. Le style est enfantin, l’auteur se laisse fasciner par son sujet, et tout émerveillé d’avoir adoré Boudard, il en rajoute dans le genre cirage de pompes. Il produit également des erreurs factuelles importantes notamment lorsqu’il parle d’Auguste Le Breton

    L’ouvrage n’apporte strictement rien. Prétendant s’appuyer sur des lettres inédites à Michel Déon ou à ses éditeurs, la moisson de renseignements sur la vie de Boudard est plus que maigre. Il fait également l’impasse sur un grand pan de son existence : sa double vie puisqu’en effet Boudard vivait avec un double ménage, il eut d’ailleurs un fils avec sa maîtresse, l’écrivain Laurence Jyl qui a été publié l’an dernier ce que je sais d’Alphonse aux éditions de la Table ronde. Ce témoignage est d’ailleurs bien plus intéressant que les approximations de Pierre Gillieth.

    Ce petit ouvrage, imprimé large, ne fait que 130 pages. Mais si on enlève les citations d’Alphonse Boudard, il se réduit simplement à un petit article.

    La seconde question est celle de la forme. Rien que le titre prête à discussion. Est-ce Boudard ou une certaine idée de la France dont il est question ici ? En effet sous la plume de Gillieth il renvoie à un passé révolu, la France d’avant, mais aussi à une idée politique d’extrême droite. Boudard avait certainement des défauts, qui n’en a pas ? Mais ce n’est pas une raison pour en faire une sorte de penseur de l’extrême droite, fut-elle anarchisante. Se méfiant de l’idée d’une révolution communiste, il n’aurait certainement pas attiré par une révolution de type fasciste !

    C’est ainsi que Pierre Gillieth tire sa lecture de Boudard du côté de l’anticommunisme primaire, voire d’un raciste basique. C’est pourquoi il en fait une sorte de Céline joyeux, ou qu’il le rapproche d’Audiard. Or Boudard est plutôt anarchiste, mais il a fait la Résistance et la guerre du bon côté, passant ensuite d’un compagnonnage avec le Parti communiste, à une vision trotskyste, pour finir par se désintéresser complètement de la politique. Mais quelle que soit cette évolution politique, Boudard reste toujours très proche du petit peuple de Paris, ce qui n’est pas le cas ni de Céline, ni d’Audiard. D’ailleurs si Boudard avait une rancune tenace pour les orientations plus que contestables du Parti communiste, il était bien plus nuancé pour le petit peuple qui y adhérait. Si le combat anti-communiste a eu un sens il y a quelques décennies, il semble franchement ridicule aujourd’hui, non seulement il n’y a plus de partis communistes, mais l’URSS s’est effondrée.

    Tout cela pourtant n’est pas étonnant quand on sait que Gillieth, après avoir été un militant toulousain du GUD et  dont le véritable patronyme est Bertrand Le Digabel, est un des fondateurs de la revue Réfléchir et agir qui se veut un organe de pensée de la droite radicale, révolutionnaire et antisioniste. Cette revue tenta en 2007 un rapprochement avec Le bloc identitaire. Il va de soi que Boudard ne se serait guère senti en affinités avec de telles tendances politiques. Gillieth trouve fort à son goût les turpitudes de Dieudonné, c’est dire !

    Il y avait pourtant bien des pistes à explorer, notamment en ce qui concerne le théâtre Boudard qui est non seulement mal connu, mais inaccessible aujourd’hui.

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    Alphonse Boudard sur les barricades de Paris au moment de la Libération

     

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    Les polarophiles tranquilles est le bulletin de l’association animée par Thierry Cazon. On peut d’ailleurs se procurer gratuitement ce bulletin en écrivant à Thierry Cazon, 86, avenue de Grasse, 06400. Cannes. Ce bulletin a souvent défrayé la chronique par ses prises de positions sur Frédéric Dard et ses pseudonymes ou par le rapprochement qui avait été fait entre James Hadley Chase et Greene. Thierry Cazon et Julien Dupré avaient ensuite tiré un petit livre Docteur Chase et Monsieur Greene, sous forme de pièce de théâtre. Il faut dire qu’ils ne sont pas les seuls à penser que J.-H. Chase n’est qu’une couverture de l’écrivain de Graham Greene. On trouvait déjà cette idée dans un des rares ouvrages en français publiés sur J.-H. Chase, A la poursuite de James Hadley Chase  de Robert Deleuse par ailleurs écrivain de nombreux romans policiers. Je ne suis pas assez bon spécialiste de Greene et de Chase pour trancher en la matière, mais les arguments avancés par Cazon et Dupré m’ont paru très convaincants.

    Le dernier numéro des Polarophiles tranquilles est constitué principalement d’un long article sur James Hadley Chase. Cette fois il ne s’intéresse pas à la question de savoir qui était J.-H. Chase, mais à l’œuvre que celui-ci a laissée.

    L’article est signé Julien Dupré et il tente de faire le point sur la production de Chase pour en montrer toute la diversité. En effet, cet auteur qui paraît souvent trop commercial, est perçu comme un écrivain qui répète toujours les mêmes motifs. Or il n’en est rien, non seulement l’œuvre est très diverse, elle va du noir profond (La chair de l’orchidée) au roman d’espionnage (La blonde de Pékin) en passant par le roman de détective ou le roman de truands (Pas d’orchidées pour miss Blandish), mais en outre le style et les formes utilisées évoluent.

    Chase garde encore de nombreux partisans, mais il est très controversé.  Jean-Patrick Manchette ne l’aimait pas, mais auparavant il fut la cible d’une attaque en règle de la part de Thomas Narcejac dans La fin d’un bluff. Par ailleurs Chase a été accusé de nombreuses fois de plagiat, Pas d’orchidées pour Miss Blandish est directement inspiré de Sanctuaire de William Faulkner, Tirez la chevillette est un remake du facteur sonne toujours deux fois, et L’abominable pardessus est démarqué de Raymond Chandler.

    Cependant l’influence de Chase a été profonde, notamment elle s’est faite sentir sur Frédéric Dard qui adapta plusieurs ouvrages de Chase au théâtre : La chair de l’orchidée, Pas d’orchidées pour miss Blandish ou encore Traquenard. Mais aussi la série des Kaput est inspirée de Chase, sans compter les romans que Dard dédiera à James Hadley Chase.

     

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    Frédéric Dard et James Hadley Chase  en 1956

     

    Bref, quoiqu’on pense de Chase, l’étude de Julien Dupré est très intéressante dans la mesure où elle donne une vision d’ensemble de l’œuvre de celui qui fut un des piliers de la Série noire, le considérant comme un des maîtres du roman policier.  

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    Donna Leon n’a pas toujours une bonne presse auprès des gardiens de l’orthodoxie du roman noir. Pourtant, elle a tout ce qu’il faut pour en être une éminente représentante. Ses histoires sont centrées sur un commissaire, Brunetti, héros récurrent qui passe son temps à survivre entre le crime et sa hiérarchie incompétente.

    Ce nouvel opus, édité en 2012, mais qui en fait date de 2009, a pour sujet à la fois une femme martyrisée dans ses chairs, à cause d’un dentiste charlatan, et un trafic de déchets hautement toxique. Le livre est très bon, et une fois de plus nous parcourons Venise, une Venise qui peu à peu perd son âme pour s’être vendue à l’industrie touristique.

    Par rapport aux aventures précédentes du commissaire Brunetti, on note des inflexions importantes. Si dans les ouvrages précédents la famille Brunetti nous paraissait un peu idéalisée (Paola est professeur de littérature anglo-saxonne à l’université, leurs deux enfants adolescents lisent beaucoup et s’impliquent maintenant dans le combat écologique, et le commissaire relit Cicéron et Ovide), ici on a l’impression que le couple est en train de rentrer dans une période difficile. Certes le commissaire vieillit et perd de plus en plus la foi dans son combat contre le crime, mais il se dispute plus fréquemment avec sa femme, et il ne manifeste plus de désir sexuel pour elle. Bien au contraire, il est attiré par Franca, la femme au masque de chair. Mais plus encore, il se pose des questions sérieuses sur sa belle-famille. En effet, Paola est la fille d’un aristocrate vénitien qui tire l’essentiel de sa fortune de magouilles diverses et variées.

    Le cœur de l’ouvrage se centre sur l’envahissement progressif de l’économie du nord de l’Italie par la tristement célèbre Camorra. C’est pourquoi le trafic des déchets entre l’Europe du Nord et le sud de l’Italie est revisité en détails. A ce propos, il semble bien que les sources documentaires de Donna Leon soient les ouvrages de Roberto Saviano, notamment son très justement célèbre Gommora. C’est là que, selon moi, Donna Leon donne le meilleur d’elle-même. Certes elle ne nous apprend rien de nouveau sur ce fléau qui détruit progressivement l’Italie, mais la façon dont elle le présente nous rend ce phénomène bien plus sensible. C’est évidemment tout l’art du romancier que de donner à voir ce qu’on a sous le nez sous un angle nouveau.

    Les qualités d’écriture de Donna Léon sont maintenant bien connues, au point que beaucoup prennent ses ouvrages comme guide touristique pour visiter Venise. Mais au-delà, le propos est une identification directe de la mafia avec le capitalisme à l’ère de la mondialisation débridée. C’est donc un point de vue plus que critique sur ce délabrement moral, économique et social dans lequel l’Europe se vautre.

    L’intrigue est peut-être moins bien réussie, la relation entre les deux histoires, celle de Franca et celle des trafiquants de déchets est un peu téléphonée et l’exécution du jeune parrain de la mafia n’est guère crédible.

    L’autre point problématique du récit c’est justement la position de Brunetti. Il passe son temps à refuser l’engagement, à louvoyer avec sa hiérarchie, et finalement il ne résout rien, assistant impuissant au dénouement de l’histoire. Donna Leon nous répète un peu trop souvent qu’il refuse de répondre aux questions, qu’il laisse venir les événements à lui. D’ailleurs la seule fois où il prend des initiatives sérieuses pour combattre le crime, et qu’il découvre le lieu de stockage de ces maudits déchets, c’est pour apprendre que les carabiniers sont sur le tas depuis plusieurs semaines.

    Ces réserves n’empêchent rien, et on appréciera la méticulosité dans la description des relations entre les différents protagonistes. Les non-dits, l’hypocrisie, les milles secrets qui font que la société existe comme elle est et avance vers son effondrement. Il y a des passages très réussis, comme lorsque Brunetti ravive les souvenirs de son père, un ouvrier des raffineries de Maghera qui peinait à faire vivre sa famille et qui s’impliquait dans les luttes syndicales de son temps.

    Quoiqu’elle mette en scène des bourgeois vénitiens principalement, le point de vue politique est une critique du capitalisme et de la société de consommation. Car La femme au masque de chair est d’abord un livre politique, même s’il prend le tour facilement identifiable du roman policier destiné à la détente de la classe moyenne. L’anarchisme et le pessimisme sont le fond de la pensée de Donna Leon. En cela elle est bien plus italienne qu’américaine, officiellement elle est née aux Etats-Unis mais vit à Venise depuis plusieurs décennies. Sa démarche et son ironie froide la rapproche d’Andrea Camilleri, le créateur d’un autre commissaire : Montalbano. 

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    Il y a eu, et il y a encore beaucoup de revues sur le polar. Certaines sont éphémères, certaines sans intérêt, cherchant seulement à surfer sur l’engouement assez permanent pour le genre. Mais Temps noir est certainement la plus ambitieuse, elle présente des dossiers, ramène dans ses filets de nombreuses informations sur le « polar », publiant aussi des inédits extrêmement intéressants. La présentation en est particulièrement soignée

    Le numéro 14 avait par exemple publié le fruit de la collaboration théâtrale entre Frédéric Dard et Albert Simonin. Frank Lhomeau a commencé aussi à y publier toute une série d’articles sur les débuts des auteurs français à la Série noire.

    La dernière livraison est principalement consacrée à Jean Meckert, plus connu sous le nom de John Amila et de ensuite de Jean Amila, avec plusieurs inédits. C’est donc un numéro passionnant. Particulièrement l’interview de Frank Lhomeau sur Jean Meckert, écrivain à la carrière chaotique et très inégale,  apporte des précisions sur la trajectoire de  cet auteur qui effectua un curieux chemin de la littérature prolétarienne, Les coups, jusqu’à la Série noire.

    Parallèlement, les éditions Joseph K publient un petit fascicule qui contient trois nouvelles inédites de Jean Meckert sous le titre de L’abîme qui sont des œuvres de jeunesse d’avant Les coups qui reste selon moi son meilleur ouvrage.

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  • le bon camp

     

    Assurément la période qui va de 1936 à 1950 est une des plus riches de l’histoire de la voyoucratie et il est normal qu’elle ait inspiré de nombreux écrivains. Sur cette époque il y a aussi l’ouvrage de Dominique Manotti, "Le corps noir" qui est de très loin son meilleur livre , ou encore le livre très méconnu de Jean-Louis Martin, "Fini les boniments". On se souvient que c’est dans celle-ci que José Giovanni, Auguste Le breton ou encore Albert Simonin firent leurs armes, au sens propre et au sens figuré. C’est cette période qui leur a permis d’inventer en quelque sorte un style. C’est justement ce style qu’Eric Guillon cherche à retrouver en retraçant le parcours d’un marginal, plus ou moins engagé politiquement, qui se fait demi-sel sans vraiment s’en apercevoir.

    C’est donc l’histoire de Joseph Mat, orphelin de père because la guerre de 14-18, qui va faire par une sorte d’idéalisme la guerre en Espagne dans le camp des républicains, puis qui se recyclera dans la Résistance où il rencontre L’incroyable Robert Blémant .

    D’une chose l’autre il sera amené à rencontrer tous les grands voyous de l’époque, de Pierrot-le-fou à Abel Danos, mais aussi des personnages plus bizarre comme le docteur Petiot. 

    Guillon avait déjà écrit un ouvrage intéressant sur Abel Danos, équipier de Loutrel et fusillé pour avoir participé à la Carlingue. C’était un plaidoyer pour expliquer les ambiguïtés d’une époque folle, sans pour autant convaincre. L’ouvrage avait eu un bon succès. Ici il récidive, tentant de montrer que même pour les résistants les plus motivés les frontières entre le bien et le mal n’allaient pas toujours de soi. Là où José Giovanni dans Classe tout risque avait écrit une tragédie à hauteur d’homme, gommant tout le contexte social et historique, Guillon s’attache à la destinée fatale d’un milieu particulier. Dans Le bon camp, il reprend ce principe de mettre en perspective les errements  d’une époque en s’appuyant sur une reconstitution minutieuse  des lieux et des faits. 

    Il y aurait beaucoup de choses à dire sur ces faits, car justement les faits dans leur ordonnancement dépendent de la lecture ex-post qu’on peut en faire. Par exemple sur le rôle du Parti communiste pendant cette période, doit-on s’en tenir à un simple exposé de ce que furent les fluctuations idéologiques des partis communistes, voire de leurs crimes, sans tenir compte que c’étaient des partis de masse à l’intérieur desquels les positions étaient bien plus diverses qu’on ne le croit communément ? Certes Guillon essaie de rester objectif, de nuancer les positions, notamment en ce qui concerne le service de contre-espionnage emmené par Blémant, mais cela ne suffit pas. Egalement il attribue, sans le dire, la dénonciation de Loutrel à Antoine Guérini. Même si cette rumeur a couru un moment, il n’est pas certain que cela soit exact. Il souligne encore  que Loutrel a rendu des services à la Résistance, après avoir travaillé pour la Gestapo, un peu pour nous dire que rien n’est simple, mais en vérité, Loutrel se réfugia dans la Résistance où il ne fit qu’un très bref passage parce qu’il avait perdu ses protection à Paris et que les anciens de la Gestapo française, la bande à Laffont, étaient activement recherchés. 

    En tous les cas, le principe du roman est le même que celui qu’on peut trouver dans d’autres romans de Giovanni, Mon ami le traître ou Le prince sans étoile. On voit bien qu’il a puisé son inspiration un peu partout, notamment L’armée des ombres avec l’assassinat d’Octave qui ressemble beaucoup à celui de Mathilde. 

    Mais ce n’est pas le plus important, l’ambition de Guillon est d’écrire autre chose qu’une énième saga du grand banditisme  en mêlant la fiction à la réalité. Deux axes motivent son écriture : d’abord une décomposition de la chronologie, en usant de la première personne et en mélangeant les épisodes qui affleurent à sa mémoire. Ensuite, il y a un effort louable pour utiliser une langue argotique avec un vocabulaire d’époque. Le tout est assemblé autour d’une réflexion sur les cocus de l’histoire qui rappelle par bien des aspects André Héléna, celui de J’aurais la peau de Salvador ou Les clients du Grand Hôtel. 

    Probablement la plus grande qualité de l’ouvrage est la reconstitution minutieuse de cette sinistre époque, avec les lieux, les odeurs, mais aussi la manière de penser et de parler. Il y a de la vie, celle d’avant-guerre, avec ses petits métiers, ses petites combines.

    C’est donc un très bon roman noir, même si dans la première partie on peut le trouver touffu, ou encore même si l’épisode en Algérie avec Blémant n’apporte pas grand-chose.

     

     

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