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    Dans les milieux révolutionnaires, il y a toujours eu une opposition très forte entre ceux qui usaient des formes apparentes portées par la bourgeoisie – le roman, le réalisme – et ceux qui pensaient qu’au contraire on ne pouvait sérieusement envisager de renverser le capitalisme sans renverser aussi les formes et le langage que celui-ci a développés dans le monde des représentations artistiques. C’est bien pour cette raison que les surréalistes ont rejeté aussi bien le naturalisme à la Zola que le réalisme socialiste. D’ailleurs ils n’appréciaient pas plus la littérature prolétarienne. Dès lors qu’on se présente comme un ennemi résolu de la bourgeoisie et du capital, il est obligatoire de se positionner dans ce débat. Aujourd’hui il est vrai que le système littéraire en France est très verrouillé autour de la question de la forme. C’est-à-dire que si on n’a pas les capacités de présenter son travail comme une œuvre originale de par sa forme, on ne peut avoir la prétention d’exister en tant qu’écrivain. C’est cette tendance qui permet périodiquement de saluer Céline « malgré tout » comme un immense écrivain, y compris dans ses écrits nazis. C’est ce qui permet de laisser croire que des écrivains aussi ennuyeux que Robbe-Grillet, ou plus près de nous le sinistre Houellebecq, sont tout à fait novateurs. Autrement dit s’il s’agit de critiquer le mode de vie bourgeois est-il plus conséquent de l’attaquer dans sa réalité de tous les jours ou de le critiquer dans ses formes ? Personnellement je pense que la première manière est plus juste, à condition qu’elle s’appuie bien sûr sur des manières  de construire et de présenter une œuvre littéraire qui s’écartent de la morale bourgeoise et de son langage. C’est en ce sens que  les écrits d’Henri Poulaille ou de Marguerite Audoux me paraissent mille fois plus puissants que toute l’œuvre de James Joyce et de Céline réunies. Parce que sans entrer dans le jeu de la décomposition des formes ils utilisent tout de même un langage en rupture avec la bourgeoisie et son académie.

    On peut étendre cette analyse au cinéma et se poser la question suivante qu’est-ce qui est plus important pour le développement des idées et de la sensibilité révolutionnaire : les films réalistes italiens qui ont touché des millions de personnes à travers le monde, ou les films de la mouvance lettristes et surréaliste ? On notera que sur ce point la position de Guy Debord était des plus ambiguës, puisqu’il critiquait aussi bien ceux qui attaquaient le réalisme-socialiste au nom de la forme, tout en fabriquant des petits films clandestins et hermétiques qui restent encore aujourd’hui inconnus du grand public.

    Gérard Mordillat est un des rares écrivains et cinéastes à persévérer dans la voie d’une pratique de la fiction visant à la fois une interprétation de la réalité immédiate et un renforcement de la conscience de classe. Ses personnages sont principalement issues des classes inférieures, des ouvriers, mais aussi, étant donné la décomposition de la classe ouvrière, des déclassés. C’est cette démarche qui m’intéresse chez lui, même si souvent le résultat n’est pas à la hauteur de l’ambition. Je partage tout à fait cette empathie.

     

     

    Jennie est de ceux-là. Elle nait dans une famille faite de bric et de broc, sans savoir qui est son père. Sa mère, Olga, vit avec un autre homme, Mike, qui lui a fait un autre enfant. Ce Mike-là est un prolo plutôt instable, il fait aussi de la moto et se tuera devant toute la famille et les amis réunis le jour de son anniversaire. Slimane va remplacer Mike et lui aussi fera des enfants à Olga : enfants dont s’occupe Jennie. Un nouveau drame va surgir : Olga et Slimane se tuent dans un accident d’auto. Les enfants vont être dispersés dans des familles d’accueil et Jennie cherchera à les réunir pour aller voir la mer.

    Le principal intérêt de l’ouvrage se situe dans la description du mode de vie de gens déclassés, rejetés au bout du monde, dans cette maison jamais finie de se construire entre deux voies de communication. Par les temps qui courent, il va de soi que de choisir comme héroïne une fille comme Jennie qui n’a aucun talent, aucune chance, mais qui ne possède comme qualité que sa seule révolte, c’est s’éloigner des tendances de la littérature d’aujourd’hui, cynique et nombriliste qui domine le marché. Mordillat est attiré par ce qu’on nommait jadis la littérature prolétarienne dont on a parlé ci-desssus. Mais son ouvrage sur Jennie n’en fait pas partie. Ce n’est d’ailleurs pas parce que Mordillat ne serait pas un ouvrier, mais bien plutôt parce qu’il ne trouve pas un style d’écriture qui fasse partager les sensibilités des personnages mis en scène : son style se veut neutre et ses dialogue ne permettent guère de vérifier les manières différentes de penser de la classe prolétaire. L’ouvrage est trop saturé de références littéraires, à commencer par le titre : Ce que savait Jennie renvoie à Ce que savait Maisie d’Henry James. Jennie devrait être ainsi une héroïne d’un nouveau genre, la figure de la rébellion sans concession, un peu comme l’était Ivich dans les romans de Sartre de la série Les chemins de la liberté.

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    C’est cet aspect qui est raté, probablement parce que le découpage réalisé par Mordillat, avec des sautes de plusieurs années dans le temps, ne permet pas de s’attacher à la personnalité de son héroïne. Le roman est écrit bien trop vite. Jennie n’est pas construite, elle nous reste hélas étrangère, malgré ses coups de gueule et ses coups de poings. Il n’arrive guère à nous la rendre sympathique. Ce désintéressement du lecteur vis-à-vis de Jennie est d’ailleurs renforcé par les détails scabreux que Mordillat utilise et qui rende encore plus les personnages opaques. Dans l’écriture, Mordillat confond trop souvent la provocation et la critique de la morale bourgeoise. Ainsi les envolées, par personnage interposé, contre les curés tombent le plus souvent à plat. Certes il est toujours bon de critiquer les curés, mais il est clair qu’aujourd’hui l’Eglise catholique en France n’a plus le pouvoir de soutenir vraiment le capitalisme et donc que son  rôle peut être mis sur le même plan que celui de ces chefs d’entreprise flamboyants qui n’en font qu’à leur tête et qui détruisent tout sur leur passage.

    Au-delà de cet aspect, à mon sens mineur, il y a un côté assez crépusculaire dans la représentation de cette classe ouvrière qui part en miettes sous les coups de boutoir du capitalisme sauvage triomphant. C’est ça qui est le mieux réussi chez Mordillat. Mais c’est ça aussi qui est désespérant pour le lecteur car l’ouvrage est au-delà du pessimisme, dans l’impossibilité de transformer le monde dans un sens positif.



     

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    Cet ouvrage est un des rares à traiter à fond de la saga des frères Zemour, très documenté. On comprendra que pour mettre en place un gang efficace qui puisse parvenir en haut de la pyramide sociale de la truanderie, il faut des qualités : de la détermination, de la solidarité et un solide esprit d’entreprise. Car le but est l’accumulation primitive du capital pour ensuite se faire une place dans la société bourgeoise. D’ailleurs à quelques exceptions près, les grands bandits ont les mêmes aspirations que la bourgeoisie : laisser un héritage important à leurs enfants, consommer de belles voitures, de belles femmes, fréquenter les cabarets de luxe et dépenser de l’argent de façon ostentatoire dans les casinos ou les cercles de jeux. Il y a des différences importantes cependant, parce qu’à la différence des bourgeois, les truands possèdent un argent qui leur brûle les doigts et qu’ils claquent avec une grande facilité. Ainsi les Zemour ont brassé des millions, gagnant des fortunes dans le racket et la prostitution, mais en gaspillant presqu’autant sur les tapis verts !!

    Roger Le Taillanter est un ancien flic, il sait de quoi il parle, son ouvrage est très riche en détails sur le mode de vie des truands, mais aussi en réflexions sur le rôle de la police et des truands dans une société moderne. Ainsi ce passage :

     

    « C’est un fait que pendant les grandes périodes de troubles sociaux le banditisme se fait discret. Ce n’est évidemment pas par souci de ne pas accroître les difficultés d’une police totalement absorbée ou débordée par les problèmes de maintien de l’ordre ! C’est surtout parce que la pègre organisée elle-même à le plus grand intérêt à ce que cet ordre soit rétabli. Les émeutes et les révolutions, en paralysant la vie économique, tarissent aussi les sources de revenus.

    La rosée bienfaisante du racket généralisé et mensualisé, base de toute trésorerie dans l’armée du crime, ne se dépose plus quand le commerce périclite et que les industries du plaisir perdent leurs clients. Le proxénétisme ne peut plus prospérer lorsque les filles n’arpentent plus que des rues désertes. Les salles de jeux se vident quand les joueurs fortunés voient menacé le confort douillet discret et sécurisant de leur cercle préféré. Jusqu’au « braquage » lui-même qui devient aléatoire lorsque les rues sont pleines de manifestants ou de policiers et que les itinéraires de fuite sont à tout moment coupés par un barrage de voitures incendiées, une charge de CRS, ou un nuage de gaz lacrymogène.

    Comme quoi le désordre se trouve être simultanément, par ses conséquences, l’ennemi d  commun du gangster et du bourgeois ! Ce qui explique d’ailleurs parfois certaines offres de service inattendues pour lui porter remède »

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    Voilà une thèse aux antipodes de celle d’Eric Hobsbawm dans  Les bandits, traduit et publié par Maspero en 1969. Pour celui-ci les bandits justement sont les ferments du désordre et donc on peut les enrôler facilement dans la grande armée de la révolution prolétarienne. Mais il est vrai que Hobsbawm n’a guère du rencontrer de bandits dans sa carrière d’historien.

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    Il n’est d’ailleurs pas indifférent que lorsqu’un voyou devient trop encombrant le milieu lui-même lui donnera la chasse, n’hésitant pas à le balancer à la première occasion. Ce qui ne veut pas dire qu’il n’existe pas, ou qu’il n’a pas existé de bandit ayant une dimension subversive : on peut citer ici l’anarchiste Alexandre Jacob. Mais il est clair que ces cas sont très rares et qu’ils sont difficiles à vivre car dans la carrière de bandit, comme dit Le Taillanter, « malheur à l’homme seul ».

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  • Marseille opus mafia, Jean-Louis Pietri, La manufacture de livres 2012

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    Le hasard de mes lectures fait qu’aujourd’hui encore je commente un ouvrage publié par La manufacture des livres, maison qui chronique sans relâche le grand banditisme avec une grand application à travers des romans et des témoignages.

    Ça se passe à Marseille dans les folles années quatre-vingts. La police traque un parrain, Antoine Di Rosa qui règne sur la pègre marseillaise et qui travaille la main dans la main avec la mafia sicilienne. Di Rosa monte des coups tordus pour faire tomber les laboratoires de drogues situés en Sicile, afin de les récupérer dans la région marseillaise et d’en contrôler la production. Mais on n’entube pas la mafia comme ça et le retour de bâton sera violent.

    C’est le point de vue de la police. Bien que le roman soit éclaté entre les différents protagonistes, le principal personnage reste l’inspecteur Maury qui utilise avec son équipe des méthodes peu orthodoxes. Dans cette traque au goût amer, l’ensemble des personnages ne sont pas ce qu’on croit ou ce qu’ils donnent à voir. Derrière toute cette salade, il y a le personnage de Monsieur Victor, grand manipulateur qui copine avec la mafia dans une grande discrétion – cette discrétion qui ne protégera pourtant pas des balles puisqu’il en mourra. Maury entre temps tombera amoureux de la belle Madeleine prostituée de luxe qui vit plus ou moins avec un vieux truand à l’ancienne, René, un casseur qui a le sens de l’honneur, mais dont la vision du monde apparaît sacrément dépassée.

    C’est un roman à clés qui raconte la chute de Gaétan Zampa, dissimulé sous le nom d’Antoine Di Rosa, et on s’amuse au fil des pages à mettre les vrais sur les personnages du roman qui apparaissent masqués. J’avoue que je ne suis pas arrivé à retrouver tous les véritables acteurs de ce drame.

    Jean-Louis Pietri qui officie pendant une vingtaine d’années dans la police marseillaise, fit partie du commando policier qui procéda à l’arrestation de Zampa, il sait donc de quoi il parle. Pour tout ce qui concerne les procédures, les petites combines des flics pour obtenir des renseignements, il est parfaitement à son affaire. Mais comme la saga du parrain marseillais comporte énormément de zones d’ombre, il construit des hypothèses assez audacieuses. Ce qu’il peut se permettre puisqu’il les couvre par la pratique de la fiction romanesque.

    C’est donc très réaliste et appuyé sur des connaissances de première main du dossier Zampa et des combines du grand banditisme marseillais de l’époque. Tout cela ne suffirait cependant pas à faire de l’ouvrage un très bon roman sans de solides qualités d’écriture. Le découpage de l’histoire en différents tableaux qui alternent des réunions mafieuses, le montage de casses rocambolesques et le travail de la police est savamment dosé. Les dialogues sont excellents, surtout lorsqu’ils utilisent l’humour très particulier des policiers qui n’est ni l’humour des truands, ni l’humour des gens ordinaires, mélange de cynisme et de désespoir. Pietri utilise aussi des formes argotiques empruntées à Simonin. Cela peut paraître daté, mais ça correspond en fait plus à la manière de parler de la police qu’à celle des voyous.

    Tout cela suffit à faire un très bon roman noir. Mais Jean-Louis Pietri se pose aussi des questions qui n’ont jamais été élucidées vraiment. Par exemple il ne croit pas que Zampa se soit réellement suicidé et donc qu’il soit devenu réellement dépressif. Il accrédite la thèse qui a couru assez longtemps à Marseille sur le fait qu’il a été assassiné. Si cette thèse apparaît très vraisemblable, les raisons restent très obscures. Pietri suppose que la mafia, par l’intermédiaire de monsieur Victor, l’a éliminé pour faire place nette et probablement moins pour éviter qu’il ne parle. Il suppose que la mafia a voulu donner des gages de bonne conduite en éliminant le parrain marseillais de façon à avoir les mains libres pour blanchir son argent dans les casinos de la Côte d’Azur que le changement de gouvernement en 1981 lui interdit, mais également que la disparition de Zampa arrangeait aussi le maire de Marseille, nouveau ministre l’intérieur, dont Zampa avait assuré la sécurité de ses réunions électorales. Ce dernier point me semble pour ma part assez tiré par les cheveux, dans la mesure où justement ce fut Gaston Defferre qui pose le plus de problèmes  à la mafia des casinos, en décidant la fermeture d’un grand nombre d’établissements qui ne pourront du reste rouvrir qu’à l’issue de l’alternance lorsque le sulfureux Charles Pasqua prendra la tête du ministère de l’intérieur. La manière dont l’assassinat du juge Michel est également présenté, laisse aussi perplexe puisqu’il semble qu’il ait été commandité par Francis Girard et donc qu’il n’ait rien à voir avec la haine que Zampa pouvait avoir à son endroit.

    Les années quatre-vingts ont été riches en ce qui concerne le bouleversement du milieu marseillais. Pietri les présente comme des années noires, marquées d’une très grande violence. Quand on lit ce qui se passe aujourd’hui à Marseille, on a pourtant l’impression que c’était finalement une période assez calme.

    Mais ces réserves faites, après tout c’est un roman, outre qu’il s’agit d’une histoire solide, on est tout de même séduit par le réalisme de l’ensemble. On retiendra des scènes très fortes qui, à mon sens, auraient un impact cinématographique efficace, l’interrogatoire d’un petit voleur de bijoux que les flics menacent de faire passer par la fenêtre, ou la rencontre de Monsieur Victor dans un sauna avec le boss de la mafia sicilienne. 

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    Voilà un excellent livre de voyou, spécialité de la maison d’édition La manufacture des livres. Des ouvrages sur le grand banditisme, il y en a beaucoup, d’une qualité inégale cependant. Mais celui-là est sûrement un des meilleurs qu’on peut lire sur la question.

    Redoine Faïd s’est fait connaître principalement par l’attaque de fourgons blindés dans la banlieue parisienne. Et puis bien entendu, il s’est fait arrêter dans des conditions assez rocambolesques, et il est parti en prison pour une dizaine d’années. Il en sortira en 2009, puis publiera l’ouvrage Braqueur, jurant ses grands Dieux qu’il s’est bien réintégré et qu’il ne retournera plus en prison.

    Plutôt que de raconter sa vie sous une forme autobiographique, Redoine Faïd se laisse interroger par Jérôme Pierrat qui connaît bien son sujet et qui d’ailleurs met parfois en contradiction la version de Redoine Faïd en utilisant des sources qu’on suppose venues de la police. Il faut donc lire un peu entre les lignes pour deviner la vérité.

    Mais quelle vérité ? On comprend bien les raisons qui font que Redoine Faïd ne va pas tout dire, et qu’il laissera volontairement un certain nombre de points dans l’ombre. Pour autant, c’est un livre qui donne un grand sentiment de sincérité, non pas dans le fait qu’il serait un repenti, mais plutôt dans l’analyse de ses motivations et de son parcours.

    Comme on le sait, Redoine Faïd est un pur produit des banlieues parisiennes. Fils d’immigré algérien,  il est l’avant-dernier d’une famille de dix enfants. Ayant peu de goût pour l’école, il commence très jeune à voler, malgré les corrections paternelles. Au fur et à mesure, il grimpe les échelons, cambriole des dépôts informatiques et finit par s’attaquer aux fourgons blindés. C’est en effet là qu’il y a le plus d’argent à gagner rapidement. Mais c’est le plus dangereux aussi. Sa motivation n’est pas l’argent, bien qu’il en faille parce que les cavales ça coûte très cher. Faïd n’a pas vraiment de vices, il ne fume pas ne boit pas, il ne touche pas à la coke. En fait il ne sait pas très bien pourquoi il fait ce « travail ». Parce que si on comprend bien qu’il refuse de travailler pour un patron et un salaire de misère, on n’a pas de vraies explications de sa part lorsqu’il continue alors même qu’il est bourré de fric.

    Il le reconnaît lui-même, il ne vit finalement que pour ça. Il est comme drogué à l’attaque des fourgons blindés. Monter une équipe, repérer un coup, le minuter et l’exécuter est toute sa vie.

     

    Curieusement, Redoine Faïd se pense extérieur au milieu du grand banditisme qu’il dit ne pas fréquenter. Il a d’ailleurs beaucoup de mépris pour la plupart des gangsters. Lui-même se fait appeler Doc, en référence au personnage que Steve McQueen interprète dans Le Guet-Apens. Manifestement il sait très bien raconter. Il y a quelques épisodes très drôles dans sa vie : d'abord les relations qu'il entretient avec quelques gangsters juifs. Il se planque très souvent en Israël où il a investi de l'argent. Il ne comprend pas d'ailleurs que les gangsters arabes et juifs s'entendant si bien, que les hommes politiques n'en fassent pas autant. Même s'il souligne les inégalités entre Israéliens et Palestiniens, manifestement il a beaucoup d'admiration pour Israël.

    Un des passages les plus drôles du livre qui n’en manque pas, est certainement la rencontre de Faïd avec Nono. Ce dernier a un chien, un rottweiler, que les flics ont embarqué à la fourrière parce qu’il avait causé des dégâts. Nono le considère comme son fils et va lui rendre visite, par l’intermédiaire de son avocat, comme s’il avait un parloir avec lui !!

    Autre point intriguant, Faïd ne dit absolument rien de ses relations féminines, comme si cela ne l’intéressait pas vraiment. Alors que la plupart des anciens taulards aiment à raconter leurs relations sentimentales.

    Redoine Faïd affirme que sans le cinéma la délinquance baisserait de 50%, c’est peut-être vrai. En tous les cas il reconnait que les films américains l’ont beaucoup influencé dans son comportement comme dans la recherche des mauvais coups qu’il va faire. C’est toujours les mêmes films qui reviennent : Scarface de Brian de Palma, Heat de Michael Mann. Si les voyous à l’ancienne ont des préférences pour la sage du Parrain les voyous issus des banlieues ont maintenant d’autres références.

    Contrairement à ce qu’il avait affirmé, il semble que Faïd ne se soit pas rangé des voitures. Il a été de nouveau arrêté à la fin de l’année 2011 pour l’attaque d’un fourgon blindé qui a eu lieu  le 20 mai 2010 et au cours de laquelle une policière a été tuée.

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    Le fourgon blindé attaqué par une bande en 2010 à laquelle Redoine Faïd est soupçonné d’avoir appartenu

    Si la culpabilité de Redoine Faïd était avérée dans cette affaire, il repartirait alors pour de très longues années puisque sa remise de peine tomberait et qu’il en prendrait au minimum pour une quinzaine d’années.

    Quoi qu’il en soit, L’ouvrage de Faïd est une excellente histoire, faite pour le cinéma, ce n’est pas étonnant, car Faïd pense cinéma ! Pour l’instant il aurait refusé qu’on mette en scène sa vie. Il pourrait changer, la nécessité aidant, mais ce ne serait pas facile de trouver un acteur capable de l’incarner !

     

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    La chronique scandaleuse ou dramatique de Passy- Auteuil est assez pauvre. Le crime ne s’y manifeste qu’avec d’infinies précautions. La police ne s’y pro­mène guère. Tout se passe dans une atmosphère éthérée où les ragots n’ont pas de prise. Un fait divers pourtant me revient à l’esprit, qui eût pu inspirer à Edgar Poe, mais à un Poe nourri de Rowlandson, une histoire assez affolante, s’il eût été de Passy comme Abel Bonnard ou Pierre Louys, Bergson ou le docteur Boucard. Elle vaudrait d’être mêlée à l’histoire de l’arrondissement, qui manque parfois un peu de ton. J’ai connu jadis une poétesse américaine, fille adoptive de Paris, qui n’aimait de chair blanche que celle des femmes. Sur le chapitre de la nourriture, elle ne supportait la vue, l’odeur et le goût que de la seule viande rouge, et de préférence crue, jusqu’à l’abus. Comme elle avait le cœur délicat, son médecin la mit au régime. Mais sa passion de la viande était trop forte, l’habitude en était prise, et les prescriptions du médecin ne furent observées qu’avec mille difficultés. Le médecin insistait. La poétesse en fit une maladie. De guerre lasse, elle résolut un jour de finir en beauté... c’est-à-dire en artiste, c’est-à-dire en... Châteaubriant. Elle inonda son lit d’essence, y déposa quelque dix kilos de beurre, cinq à six livres de persil, s’étendit languissamment sur ses draps, déposa encore sur sa poitrine une motte de beurre, par coquetterie, comme font les bons chefs, et mit le feu à une allumette. Au bout d’une petite heure, tout le quartier sentait la grillade. Les narines de Passy-Auteuil fini­rent par déceler d’où provenait l’odeur de grill-room qui se répandait jusqu’au bois de Boulogne, et guidè­rent enfin les domestiques jusqu’au lit de leur maî­tresse sur lequel ils aperçurent un rumsteck mam­mouth. Historique.

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    Léon-Paul Fargue, Le piéton de Paris, Gallimard, 1938.

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