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    Le film est une adaptation d’une pièce de Frédéric Lordon, par ailleurs directeur de recherche au CNRS en économie. Lordon a des positions sur l’économie qui ne sont pas particulièrement dans le courant.

    Le sujet en est la crise des subprimes et ses conséquences, des faillites bancaires, du renflouement de l’Etat, et ensuite des plans d’austérité qui se sont généralisés en Europe, empêchant toute reprise économique, engendrant le chaos et la montée des inégalités de plus en plus criantes.

    C’est donc un cours d’histoire et d’économie sous forme d’une pièce en vers. Ceux qui croiraient à une comédie se tromperaient lourdement. Il y a certes un humour un peu grinçant, mais l’ensemble relève plutôt de la tragédie.

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    Il y a évidemment beaucoup de lectures possibles de ce film. C’est à l’évidence une critique directe du couple Sarkozy-Fillon, entouré de conseillers veules autant qu’hésitant, cédant facilement aux fantaisies des banquiers. Mais ce n’est pas là l’essentiel. L’essentiel se trouve dans la fétichisation qu’on a pu donner à l’économie et à ses lois naturelles. En effet quand les banques étaient en quasi-faillite, consécutivement à leurs turpitudes d’avant 2008, il était possible alors de nationaliser les banques, puisqu’elles ne pouvaient être renflouées qu’avec de l’argent public. Mais on ne l’a pas fait, au motif que l’Etat et ses fonctionnaires n’ont pas les compétences pour gérer l’économie. Cette antienne répétée à satiété par Sarkozy et sa clique, n’a curieusement pas trouvé de démenti du côté des partis de gauche.

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    L’aspect le moins inattendu est sans doute de peindre les banquiers, tels qu’ils sont, cupides et hargneux, magouilleurs et irresponsables, mais conscients que l’Etat ne les laissera jamais faire faillite. Le fait que les dialogues soient en alexandrins permet sans doute de critiquer aussi la modernité dont se revendiquent les banquiers. C’est là d’ailleurs la meilleure part de la pièce de Lordon, critiquer le progrès et la modernisation des sociétés comme des fins en elles-mêmes.

    Si le rôle néfaste des banquiers est mis en lumière d’une manière assez militante, rien n’est dit sur les mécanismes et les traités d’une Europe qui a conduit à cette situation explosive. C’est le défaut du discours de Lordon, faire comme si la crise n’était que le résultat des excès de cupidité et de naïveté de l’ensemble du secteur bancaire.

    Je passerais volontiers sur quelques approximations du point de vue de l’analyse économique, comme quand les banquiers vont frapper à la porte de la Banque centrale pour que celle-ci les renfloue. Cela n’a pas été le cas. Les Etats se sont endettés pour soutenir les banques de second rang et l’activité économique, c’est une des raisons d’ailleurs du gonflement des dettes publiques. C’est seulement à la fin de 2011 que la Banque centrale européenne a changé sa politique devant l’impossibilité d’apurer les passifs à l’aide des plans d’austérité.

    On peut également se poser des questions sur la fin du film qui annonce la montée de la révolte contre un tel système. N’est-ce pas prendre ses désirs pour la réalité ? Certes depuis trois ans maintenant les luttes se développent, notamment dans les pays du sud de l’Europe, mais pour l’instant on ne sent guère de mouvement renversant.

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    La forme est curieuse. Film manifestement sans budget, Le grand retournement ne s’embarrasse pas de technique cinématographique. De ce côté-là le service est minimum. C’est la voie qu’a choisi Mordillat, faire un cinéma utile et responsable, militant pour tout dire. La pièce ayant été écrite en vers, des alexandrins tout de même pas si classiques que ça, cela surprend et surtout gomme le côté militant qui pourrait ennuyer.

    La pièce est filmée dans des décors de récupération, des entrepôts ou des hangars désaffectés qui parlent finalement très bien de la décomposition de notre société industrielle à l’abandon. Mordillat a su s’entourer d’acteurs professionnels assez connus. Parmi eux émerge surtout François Morel qui se révèle ici excellent, tandis que les autres ne se donnent pas vraiment de peine, que ce soit Jacques Weber ou Edouard Baer, mais ils sont là et on imagine qu’ils ont prêté la main à ce projet parce qu’ils se sentaient concernés. Elie Triffault est bien en Sarkozy.

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    Au bout de quatre ans de grande crise, alors que dans le monde dit développé la misère s’étend et que les inégalités se creusent, il manque encore la solution politique qui nous permette d’aller au-delà du constat sur le capitalisme sauvage et sans avenir dans lequel, il faut bien le dire, nous nous vautrons comme des porcs.

    Les critiques ont été sans surprise, Le Figaro journal de la banque et du capitalisme bigot a évidemment donné 1/5, Le monde trouvant que le discours de Lordon, porté par Mordillat était vide de sens, ce qui n’est pas étonnant pour le journal libéral-social. L’accueil du public a été mitigé.

    Au-delà de ces critiques partisanes, on posera tout de même la question de la forme et du fond. Ce type de films ne s’adresse-t-il qu’à des convaincus ? Sur quelle action sérieuse peut-il déboucher ? Mais également doit-on faire des films de fiction, des documentaires ou comme ici des discours en vers pour faire passer le message de la transformation sociale?

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    L’ouvrage était sorti sous un autre titre en 2008. Ice Man, c’est le surnom de Richard Kuklinski, psychopathe, tueur de son état et qui fut ensuite recruté par la mafia pour réaliser ses basses oeuvres. Par le nombre de crimes qu’il a commis, Kuklinski s’est assuré une célébrité durable. Des livres, des interviews à la télévision, et sa mort elle aussi est assez mystérieuse. Il est décédé en prison à 70 ans, mais il se pourrait qu’on l’ait un peu aidé.

    Si les personnages de serial killers sont rarement intéressants, par contre mettre en lumière ce qu’ils sont, comment ils existent peut avoir un intérêt. L’ouvrage de Philip Carlo est, à défaut d’être bon, passionnant. Kuklinski est d’origine polonaise, de basse extraction. Son père était un alcoolique qui le rouait de coups et sa mère semble l’avoir délaissé. Son jeune frère deviendra lui aussi un tueur et sera condamné à la prison à vie. Malgré tout cela Kuklinski possède une certaine morale, par rapport à sa femme qu’il bat souvent, mais qu’il se refuse à tromper, et par rapport aux  enfants.

    Kuklinski était grand et fort, mais également un peu fruste. S’il avait une certaine intelligence pour commettre des crimes et passer à travers les mailles du filet, il se laissait le plus souvent aller à ses pulsions criminelles. Il ne valait mieux pas le contrarier. On ne sait pas combien de personnes en tout il apu tuer, sans doute plusieurs centaines, dont une partie pour le compte de la mafia.

     L’ouvrage fait plus de 500 pages, mais il se lit bien malgré ses défauts d’écriture et de traduction, parce que outre qu’il est très bien documenté – Philip Carlo a passé énormément de temps avec Kuklinski – il décrit linutieusement les transformations de Kuklinski, dans sa vie de tueur, mais aussi dans sa vie privée.

    Kuklinski apparaît ainsi comme ayant été fabriqué par la société dans laquelle il a vécu. Il est né et a grandi à Jersey City, une petite ville non loin de New York. Cette ville avait la particularité d’accueillir les criminels qui n’étaient plus en odeur de sainteté à New-York. La police y était complètement corrompue, et la ville dominée par la mafia.

    Devenant très vite violent, il s’adonne au jeu et à l’alcool. Ce qui lui coûte évidemment beaucoup d’argent et l’entraîne dans une spirale criminelle sans fin. Philip Carlo le décrit sans complaisance, à l’inverse des serial-killers de cinéma, comme un semi-idiot. S’il a une certaine malice pour commettre des crimes et échapper aux poursuites de la police, il n’est pas intelligent. Sans culture, il est à la recherche d’un rôle qu’il pourrait bien jouer.

    Mais la partie la plus intéressante du livre n’est pas dans le portrait psychologique d’un psychopathe. Il réside dans la manière dont la mafia va se servir de lui. Repéré comme n’ayant peur de rien, il va servir la mafia pendant des années pour exécuter leurs basses œuvres. En décrivant cela, Philip Carlo va montrer que ceux qui l’emploient ne valent finalement guère mieux que lui et que leur profil psychologique ressort un peu des mêmes canons. Dans des films comme Le parrain par exemple, on a l’impression que les activités de la mafia sont un bussiness, certes un peu particulier, mais un bussiness quand même. C’est-à-dire une activité où, quand il faut tuer, cela est justifié par les affaires. Carlo montre que non et que ceux qui recherchent les services de Kuklinski, sont à son image des gens aigres que la vie a frustrés. Ces mafieux aiment la violence pour la violence et possèdent aussi un profil de psychopathes. Ce n’est pas du tout des gangsters qui ont choisi ça comme un métier, avec les avantages et les inconvénients que cela comporte. Ils sont cupides, et l’argent qu’ils gagnent ils le jettent par les fenêtres. Egalement ils passent leur temps à se trahir, éventuellement à se balancer à la police. Il n’y a rien de passionnat dans cette vie là.

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    A côté de sa vie « professionnelle » si on peu dire, Kuklinski a une vie familiale. Et bien sûr, celle-ci est en accord avec ses tendances criminelles. Il se mariera deux fois,  laissant à ses femmes deux, puis trois enfants. Chaque fois il se comportera avec elles comme un prédateur. Reproduisant les attitudes de son père, il les battait régulièrement dès qu’il se trouvait dans une situation difficile ou dès qu’il avait un peu bu. Et comme Kuklinski faisait 1,95 mètre pour environ 130 kilos, on comprend les dégats que ça pouvait faire.

    Tout cela donne un portrait de la criminalité américaine assez peu réjouissant et questionne cette société qui produit de tels enfants. Kuklinski s’en rend compte, s’il ne se cherche pas d’excuse il comprend bien que sa trajectoire a été toute tracée et que finalement il n’a eu guère de prise sur sa vie.

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    Un film doit sortir bientôt avec une grosse distribution et Michael Shannon dans le rôle de Kuklinski. Cela fera sûrement un bon sucès outre-Atlantique, mais il n’est pas sûr que le public français se passionne pour un sérial killer aussi peu glamour. Iceman n’est pas Hannibal Lecter qui est plus une construction théorique que le reflet d’une réalité.

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    Il y a quelques semaines, j’écrivais un petit article sur l’ouvrage de Rédoine Faïd Braqueur publié par La manufacture de livres. Cet ouvrage a été écrit en collaboration avec Jérome Pierrat qui, en bon connaisseur du milieu contemporain, a conduit les entretiens qui ont conduits à l’écriture de l’ouvrage.

    Cet article me vaut avec régularité un courrier inhabituel tant par le volume que par le ton. La plupart de ces missives sont d’un caractère menaçant ou injurieux. Globalement on m’accuse de complicité avec Rédoine Faïd qui, depuis sa sortie de prison, aurait repris ses activités de braqueur de fourgon blindé, avant d’être arrêté par la police en 2011. En mai 2010, lors d’un braquage à Villiers-sur-Marne auquel aurait participé Rédoine Faïd, une policière, Aurélie Fouquet âgée de 26 ans avait trouvé la mort, laissant un enfant d’un peu plus d’un an. C’est à cause de ce drame qu’on m’a accusé de faire l’apologie d’un criminel et que Rédoine Faïd est désigné comme un meurtrier.

     Je préciserai ici mes intentions. Il faut bien comprendre que j’ai donné un compte rendu de l’ouvrage de Rédoine Faïd et que je n’ai absolument pas l’idée de faire de ce dernier un héros ou un modèle. De même, n’étant ni juge, ni policier, il ne m’incombe pas de participer à la traque de Rédoine Faïd, ni sur le terrain, ni sur Internet. Je ferais remarquer au passage que s’il est soupçonné d’avoir participé au braquage de Villiers-sur-Marne, rien n’indique qu’il est l’auteur du coup de feu mortel, puisque sur ce braquage il n’est sûrement pas monté seul. Pour toutes les raisons citées ci-dessus, je me refuse donc à juger et à condamner Rédoine Faïd, ce n’est pas un rôle qui me convient.

    L’autre point important est qu’on m’accuse de faire l’apologie d’un assassin. Loin de moi cette idée. Je ne connais pas Rédoine Faïd personnellement ce qui m’empêche forcément de porter un jugement sur sa personne. N’étant pas moi-même braqueur de fourgon blindé, je ne cherche pas non plus à faire la réclame pour cette curieuse profession. Cependant, à travers le témoignage qu’il a donné dans son ouvrage d’entretiens avec Jérome Pierrat, il donne un petit aperçu de son parcours. Je dis « petit aperçu » parce que Rédoine Faïd ne dit pas tout bien évidemment. Et c’est ce parcours qui me paraît intéressant puisqu’il inscrit la démarche criminelle de Rédoine Faïd dans un contexte social, politique et culturel très particulier. Sans en faire la promotion, il est évident que ce parcours aventureux est aussi un parcours hors-norme.

    Ça ne sert à nier l’existence de la criminalité en voulant faire pression pour interdire d’en parler. A ce moment-là, il faudrait interdire toutes les publications de La manufacture des livres (qui a du sûrement recevoir encore plus de messages haineux que moi), mais également les articles de journaux consacrés aux faits divers, les journalistes qui ont interwievé Rédoine Faïd au moment de la siortie de son bouquin et encore les ouvrages de la vieille Série Noire. La criminalité et ses formes sont toujours en relation directe avec l’évolution de la société. Sans dire que les criminels sont seulement le produit de leur époque, ils en sont au moins le reflet. 

    Il me semble un peu malheureux que tout cel ne soit pas mieux compris par une frange de mes lecteurs qui, un peu trop hâtifs, en tirent des conclusions qui n’ont rien à voir avec mes intentions.

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    Auteur à succès, Connelly est souvent mal considéré par la critique polardière. Bien que son oeuvre soit très inégale, il est à l'évidence un des grands auteurs contemporains du "noirf".

    Les ouvrages de Connelly paraissent en France avec beaucoup de retard. En effet, depuis la parution de Volte-face, c’est pas moins de trois nouveaux romans qui sont en attente de traduction sur le bureau de Robert Pépin.

    Les derniers ouvrages de Connelly, avant Volte-face avaient été un peu décevants. Même s’ils conservaient les qualités habituelles d’écriture, les intrigues étaient ronronnantes et prévisible. Mais Volte-face est bon, les rebondissements sont nombreux et intelligents, la réflexion sur le système judiciaire américain est intéressante.

    Mike Haller, l’avocat récurrent et de moins en moins cynique de Connelly, parfait cette fois son éducation morale en passant du côté de l’accusation. Il est en effet sollicité par le procureur Williams pour conduire l’accusation d’un criminel dont le procès vient d’être cassé. Mais ce qui est plus compliqué, c’est qu’entre temps Jason Jessup a fait 24 ans de prison. Après quelques instants d’hésitation Haller va accepter la proposition de Williams, et la première décision qu’il va prendre est celle de libérer Jessup. Pour mener à bien leprocès, Mike Haller fait appel à Harry Bosch comme enquêteur chargé de recherché les témoins. Parmi ces témoins, certains ont disparu, d’autres ne se souviennent plus très bien.

    A partir de cette trame assez simple, on va suivre deux histoires en parrallèle, celle de Haller, écrite à la première personne, qui se débat dans les arcanes de la procédure, et celle de Bosch, écrite à la troisième personne, qui mène une enquête assez traditionnelle. Cette technique consistant à différencier les niveaux d’approche permet de rompre la linéarité stricte de l’histoire et donc de ménager des plages de suspence. Le second avantage est d’opposer l’homme de terrain pragmatique, Bosch, à un avocat encombré d’idées politiquement correctes. Il est assez facile de voir de quel côté penche Connelly. Tout comme le lecteur il ne trouve pas Haller très sérieux. D’ailleurs en essayant de ruser avec le code pénal et la procédure, il n’arrivera à aucun résultat concret, bien qu’il ait démoli la défense.

    Cette approche en parrallèle de deux points de vue différents, permet bien évidemment d’accroître le nombre de surprises  et de leur donner de la crédibilité. Jusqu’au bout on ne sait pas trop si Jessup qui clame son innocence est vraiment coupable. C’est d’ailleurs Bosch qui sème le trouble dans l’esprit de ses collègues.

    Comme toujours Connelly a une grande capacité à nous faire ressentir concrètement les lieux, la géographie de l’espace. Ça a toujours été la grande force de Connelly de saisir la réalité matérielle d’une situation.

    Mais aussi il y a des morceaux de bravoure si on peut dire dans l’écriture des scènes de filature de Jason Jessup. Rien que pour ces passages, le livre vaut le détour : Bosch et l’équipe de surveillance traque avec de moyens sophistiqués Jessup, jusqu’au moment où Bosch se rend compte que celui-ci est en train d’aller chez lui ! Egalement la cachette de Jessup dans un renfoncement près de la plage donne une impression de claustrophobie, augmentée par cette incertitude de ne pas savoir à quoi elle peut bien servir.

    Bref, si vous commencez ce livre, vous ne le lacherez pas avant la fin.

     

    P.S. On remarque que cette fois la traduction de Robert Pépin est moins alléatoire, qu’il y a moins de fautes, mais qu’elle a été vite relue. C’est ainsi que Bosch, dans la version française, passe du tutoiement au vouvoiement avec Rachel Walling, son ex-compagne, sans qu’on sache pourquoi. La seule explication c’est un peu de paresse probablement du traducteur.

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    On dispose maintenant en français d’une édition excellente des œuvres d’Hammett, grâce au travail de Nathalie Beunat, qui non seulement a retraduit avec Pierre Bondil les cinq romans publiés de son vivant, mais a réuni également l’ensemble des nouvelles dans la collection Omnibus et a aussi traduit et présenté une abondance correspondance d’Hammett pour les éditions Allia.

    Il est de bon ton aujourd’hui d’encencer l’œuvre d’Hammett, pourtant à y regarder de près, tout n’est pas excellent dans ce qu’il a écrit. Si incontestablement Dashiell Hammett est le père d’une nouvelle forme de romans policiers, des romans plus noirs et plus durs, et s’il a réussi à produire plusieurs chefs-d’œuvre dans le genre, il reste tout de même assez proche de la tradition. Il y a une sorte d’ambiguité dans ses romans, et celle-ci éclate tout à fait dans L’introuvable.

    L’ambiguité signifie qu’Hammett est bien moins en rupture qu’on ne croit avec la tradition du whodunit. Son plus grand  succès de librairie sera The thin man. Curieusement, c’est de loin son plus mauvais roman. Or de quoi s’agit-il ? D’un détective à la retraite qui a épousé une riche héritière qui par désoeuvrement va s’intéresser à la disparition d’un savant plus ou moins fou, mais très riche.

    Plusieurs formes du roman de détective à l’anglaise sont utilisées : d’une part le détective désintéressé qui ne résot l’énigme que pour son plaisir et non par la nécessité de gagner son pain, d’autre part le duo avec sa femme Nora, cette dernière lui renvoyant la balle à la manière de Watson avec Holmes. A cela s’ajoute la coopération avec la police qui ici n’est pas corrompue. Mais Nick Charles, esprit supérieur, s’emploiera à dénouer l’intrigue par la puissance de son raisonnement, en faisant la leçon sur un ton bon-enfant au pauvre fonctionnaire un peu juste. L’introuvable est donc un roman très conservateur dans son style. On est loin de La clé de verre ou de La moisson rouge, les vrais chefs-d’oeuvres d’Hammett où la police participe activement et volontairement  à la corruption générale de la société.

    L’introuvablepeut être considéré comme une trahison d’Hammett par lui-même. Non seulement il se range du côté du roman anglais de détection, mais en outre il recycle de vieilles idées. Le cœur de l’ouvrage est fait des relations familiales compliquées entre des personnes qui se croient un peu folles. Mais ce thème a été exploré par Hammett, à fond dans Sang maudit, et de manièreincidente dans La clé de verre. L’écriture de cet ouvrage est paresseuse, la culpabilité de Macaulay ne s’inscrit en rien dans une analyse profonde et sincère du personnage. L’ouvrage est aussi saturé des mondanités et des ivrogneries du couple Nick et Nora Charles, un décalque de celui qu’Hammett formait sans doute avec Lilian Hellman. C’est le  dernier roman d’Hammett qui a partir de 1934 prendra curieusement sa retraite d’écrivain.

    Quant au fameux style behavioriste mis en avant par Jean-Patrick Manchette, c’est peu dire que c’est une faute d’analyse que de l’attribuer à Hammett. Mais Manchette doit une partie de son succès en tant que critique de cette curieuse manière qu’il avait de tout recadre à partir de grilles de lecture hatives autant qu’erronées. Sur les cinq romans qu’Hammett a écrits, trois le sont à la première personne, ce qui permet au détective de faire par de ses rêves, de ses égarements. Non seulement les romans d’Hammett n’ont rien de behavoristes, mais ils empruntent beaucoup à la psychanalyse, mettant en scènes des personnages compliqués : par exemple la relation de Ned Beaumont avec Paul Madvig qui représente non seulement des tendances homosexuelles très nettes, mais aussi des rapports d’amour/haine assez curieux, Ned allant jusqu’à piquer la fille sur laquelle son ami a des vues. Avec régularité, Hammett prend la peine de décrire les rêves de ses héros, et chaque fois cela a une signification. Les romans d’Hammett, les bons comme le mauvais, restent dans le cadre naturaliste.

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    L’introuvable donnera ensuite naissance à une série de six films avec Dick Powell et Mirna Loy. Ces films sont tous plus insipides les uns que les autres, Hammett n’a collaboré à aucun des scénarios. Si le roman avait de graves défauts, il n’avait pas le côté ridicule et sautillant des films. Mais L’introuvable sera aussi adapté à la radio avec beaucoup de succès. Cela rapportera énormément d’argent à Hammett, mais signera le glas de sa carrière d’écrivain.

     

    Bibliographie

     

    Dashiell Hammett, Romans, Gallimard, 2009

    Dashiell Hammett, Des coups de feu dans la nuit, Omnibus, 2011

    Dashiell Hammett, La mort c’est pour les poire, Allia, 2002

    Dashiell Hammett, Interrogatoires, Allia, 2009

    Nathalie Beunat, Dashiell Hammett, parcours d’une œuvre, encrages, 1997

    Richard Layman, Dash, la vie de Dashiell Hammett, Fayard, 1981

    Jo Hammett, Dashiell Hammett mon père, Rivages, 2002

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