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    Une œuvre finalement assez rare dans le parcours d’Arthur Penn, tant elle est construite sur les canons du film noir. Même, et surtout, si l’histoire se passe dans le sud profond des Etats-Unis, avec ses lieux communs de racisme, son côté provincial dominé par une personnalité riche qui fait la pluie et le beau temps. C’est le schéma du noir qui l’emporte. C’est pour moi un des meilleurs films d’Arthur Penn, même si celui-ci l’a renié à cause de sa mésentente avec le producteur Sam Spiegel. En tous les cas il est largement supérieur au très surfait Bonnie and Clyde. 

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    Bubber s’est évadé du pénitencier où il purgeait une longue peine 

    Le jeune Bubber s’est évadé du pénitencier où il était enfermé. Cela va mettre la petite ville en émoi. D’abord parce que certains craignent son retour, mais aussi parce que d’autres y voient là une sorte de dérivatif à leur ennui. Le shérif Calder va se trouver au milieu de cette histoire, à la fois parce qu’il doit maintenir l’ordre, et parce qu’il veut protéger Bubber qui est menacé de lynchage. Le retour de Bubber va mettre à jour un ensemble de contradictions qui vont faire exploser la communauté. C’est le révélateur. Bubber veut retrouver Anna, mais celle-ci est plus ou moins engagée auprès de Jason le fils du milliardaire local qui fait la pluie et le beau temps. Tout le monde sait que Bubber va essayer de revoir Anna et donc on sait à peu près comment on peut le piéger. 

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    Le shérif Caldwell apprend l’évasion 

    On pourrait qualifier ce film de film de gauche, très à gauche même. Le scénario est du à Lillian Hellman, la compagne et l’exécutrice testamentaire de Dashiell Hammett. C’est l’adaptation d’une pièce de Horton Foote qui donna aussi d’autres histoires pour le cinéma comme Que vienne la nuit d’Otto Preminger. Foote était un texan, un homme du Sud, très sensible aux tares de l’Amérique profonde, raciste et veule, toujours prompte à prendre le parti des plus favorisés. Très typique du cinéma hollywoodien de la fin des années soixante, un cinéma en voie d’émancipation, il traite, à travers un récit très noir, des valeurs culturelles erronées sur lesquelles sont fondés les Etats-Unis. Si le racisme est bien présent et critiqué, il y a aussi la mise en scène de l’opposition entre les classes sociales. On pourrait diviser la société en trois blocs. Tout en haut, il y a les riches, très riches, qui méprisent les classes inférieures. Et puis en dessous il y a cette classe moyenne inférieure, toujours prête à vendre son âme pour essayer de ramasser des miettes que lui distribuera peut-être le magnat local. La lâcheté est son fonds de commerce, son moyen d’existence. Enfin tout en bas il y a les noirs et les pauvres, les rejetés, ceux qui existent seulement dans les redents de l’ordre social. Anna, jeune femme aux mœurs libres, se retrouve évidemment de ce côté. Comme Bubber, elle a des sentiments nobles, mais ceux-ci ne rentrent pas dans la logique des rapports capitalistes – c’est un thème récurrent d’ailleurs des scénarios de Lillian Hellman.

    Cette Amérique est pudibonde et c’est cette pudibonderie qui la rend violente et finalement incontrôlable. On voit que le film va au-delà d’une histoire criminelle, ces intentions sont assez claires. Le naturalisme apparent du film est le véhicule du message. Caldwell, le shérif, est le héros d’une prise de conscience certes un peu tardive, mais sincère. 

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    Les parents de Bubber ont été mis à l’écart de la société 

    Techniquement c’est un très bon film, rythmé, photographié avec rigueur. Sa force est justement de se servir de la violence pour faire ressortir la nécessité de la révolte et du changement. En effet, lorsque Caldwell se fait passer à tabac dans son propre bureau, le spectateur réagit forcément en se demandant, et en demandant comment il va bien pouvoir s’y prendre pour relever la tête et retrouver sa dignité d’homme. La scène est assez dure à soutenir, rien n’est épargné au shérif qui sortira de là défiguré mais retrouvant de sa dignité qu’il avait perdu un moment. 

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    Caldwell essaie de protéger un noir qui pourrait savoir où se trouve Bubber 

    L’écran large, les couleurs donnent à ce « film noir » justement cette dimension moderne et son réalisme propre. L’introduction de scènes d’extérieur nombreuses, que ce soit à propos de l’évasion de Bubber, ou la casse automobile où il se réfugie, permet au film de respirer de l’inscrire dans un espace géographique bien déterminé.  Ce sont pourtant les scènes de violence qui ressortent : le passage à tabac de Caldwell minutieusement filmé – on dit qu’il a été filmé au ralenti pour en faire ressortir ensuite en accélérant toute la sauvagerie – ou encore la fin qui verra la mort dramatique de Bubber. 

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    Les petits blancs avinés veulent faire parler le noir que Caldwell a mis à l’abri 

    La distribution est impeccable. Marlon Brando est excellent, peut-être même meilleur qu’à son ordinaire, et c’est lui qui porte le film sur ses épaules. Il est ce shérif qui voudrait bien que tout se passe correctement, sans trop de question sur les structures du pouvoir. Il voudrait bien exercer son office tranquillement. Il y a ensuite Jane Fonda dans le rôle d’Anna. Mais surtout on remarque Robert Redford dans un rôle secondaire et assez bref. Il est à ses débuts. Il vient de tourner le très beau Inside Daisy Clover de Robert Mulligan et va ensuite trouver un premier rôle chez Sidney Pollack pour le magnifique This property is condemned. Ce sont trois films qui d’une manière ou d’une autre interrogent par leur désenchantement les fondements de l’Amérique. On reconnaitra encore Angie Dickinson, la femme de Caldwell, Robert Duvall, un citoyen un rien violent et aviné, ou encore James Fox dans le rôle compliqué du fils du potentat local, hésitant entre jalousie et compassion. 

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    Anna et Jason vont rejoindre Bubber 

    Je ne suis pas capable de comprendre les querelles ultérieures entre Penn et Spiegel, et donc ce qu’il manque à ce film. Mais tel qu’il est, il est excellent et passe les années sans problème. Il eut d’ailleurs un très bon accueil de la critique et si aux Etats-Unis il ne fit pas recette, en France il eut un vrai succès public. Il a pris pourtant au fil des années l’allure d’un classique du genre. 

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    Caldwell empêche la foule de lyncher Bubber

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    C’est un roman dans la même veine que Le criminel, même s’il fut publié quelques années après. Traduit seulement en 1981 par Jean-Paul Gratias toujours à l’instigation de François Guérif, il n’avait pas intéressé la Série noire. Une des raisons en est le peu d’action, le manque de rebondissements du récit.

    Jim Thompson va mettre en scène une petite ville et ses sales secrets, ses hypocrisies et ses folies qui se cachent derrière les apparences de la politesse et de la civilité. Le point de départ est une vieille femme, Luane, qui a épousé un homme beaucoup plus jeune que lui. Malade, elle passe son temps à médire, à colporter des ragots et à dresser les gens les uns contre les autres. Elle va finir par être assassinée, mais on ne saura pas avec une certitude absolue qui est le coupable. C’est bien cette incertitude qui distingue Hallali d’un roman d’Agatha Christie.

    En rédigeant chaque chapitre à la première personne, mais en changeant à chaque fois de personnage, Thompson finit par dresser le procès accablant de cette petite ville de la côte atlantique. Tous les personnages sont un peu minables, et on retrouve l’avocat Kossmeyer dans un rôle secondaire qui vit finalement de cette atmosphère délétère. Mais une fois de plus, c’est la société dans son ensemble qui est condamnable, car tous les personnages sont mis en mouvement par des forces qui les dépassent. Et dans ce contexte où l’argent et la réussite sociale sont les objectifs affichés de la société, ils ne peuvent être autre chose que ce qu’ils sont, que ce qu’ils font.

    Ça pourrait ressembler à du Dolores Hitchens, sauf que en conduisant le récit à la première personne, comme une sorte de confession, il est beaucoup plus violent et cruel.

    Deux aspects de la société américaine sont plus particulièrement traités, le racisme et la jeunesse. Le racisme est présenté à travers la trajectoire du jeune Bobbie qui a été reconnu par son père, mais pas par sa mère qui est considérée à la maison comme une simple domestique. Bobbie est issu des amours du docteur blanc et de la noire Hattie qui s’efforce d’apparaître dans ses gestes, comme dans son langage comme la parfaite négresse qui vient des Etats du Sud. Bobbie pourrait se faire passer pour blanc tant la couleur de sa peau est claire. Il a une relation avec Myra, la fille du propriétaire d’une boite de nuit en quasi faillite. Il la drogue en volant son médecin de père que par ailleurs, il terrorise. Ce thème d’une jeunesse semi-délinquante, égoïste et mauvaise, on le retrouvera dans plusieurs des ouvrages de Thompson. Mais les relations entre Bobbie, son père et Hattie est le même schéma que celui de The killer inside me, parut quelques années plus tôt.

    Le racisme encore, c’est celui dont est plus ou moins victime Kossmeyer, si personne n’ose s’attaquer à lui, il subit des remarques insidieuses.

    Il n’y a décidemment rien de bon dans cette petite ville balnéaire. Même Pavlov qui est en apparence le plus équilibré du lot, finit par subir la contamination criminelle de la communauté.

    Peut-être cet opus explique mieux que les autres pourquoi Jim Thompson n’a pas connu un succès soutenu : il n’y a pas de rachat possible, et le rêve américain n’est qu’un mensonge qui permet au système de se perpétuer. Trop noir pour qu’on prenne cette prose pour un divertissement. Trop cru aussi, il met à nu l’âme même des individus à l’ère du capitalisme triomphant. Si on se réfère à notre époque, on peut dire que le texte de Thompson n’a pas pris une ride.

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    En 1953 Jim Thompson écrit et publie 5 romans. C’est donc une époque pour lui de haute productivité. Ce roman, traduit par Jean-Paul Gratias à l’initiative probablement de François Guérif, n’avait pas été retenu par la Série noire de Marcel Duhamel, sans doute à cause de son manque de rebondissements spectaculaires et de cette violence rentrée qui a du mal à s’exprimer.

    Il n’y a pas à proprement parler d’intrigue. Une jeune adolescente a été violée et assassinée, tous les indices renvoient à un autre adolescent, Robert Talbert, adolescent aussi d’une quinzaine d’années. On ne saura d’ailleurs pas exactement ce qui s’est passé et l’ouvrage se referme sur l’incertitude.

    L’histoire se passe dans une petite ville à la périphérie de New-York. C’est l’occasion pour Thompson de dresser le portrait au vitriol de la société américaine dans ce début des années cinquante. Le fonctionnement de la justice est en question, mais aussi le mode de socialisation à l’américaine avec toutes les mesquineries qui peuvent s’y trouver. Ce qui domine ce sont les hypocrisies des comportements. Et au fond, c’est bien cela qui est le plus criminel. Le rôle de la presse aux mains de richissimes propriétaires est également dénoncé.

    C’est aussi un exercice de style pour Thompson. Il fait en effet progresser son récit en introduisant peu à peu les points de vue différents des protagonistes. Chacun énoncera sa vérité à la première personne. Il commence par les parents de Robert qui sont sous le choc de l’arrestation de leur fils.  On se rend compte rapidement que ceux-ci non seulement ne connaissent rien de leur adolescent – ils sont à mille lieux de le comprendre même un minimum. Leur principale défense est de nier la réalité. Ce sont des Américains très moyens qui subissent leur vie sans réagir, aigris par les humiliations qu’ils encaissent au fil de leur vie quotidienne. Et puis peu à peu sont introduits les auxiliaires de la justice, les policiers, le procureur.

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    Jim Thompson fut aussi acteur dans Adieu ma jolie d’après Chandler 

    Le jeune Robert aussi donnera sa version des faits. Et puis apparaît l’avocat récurent de Thompson, le fameux Kossmeyer, qui va défendre brillamment l’adolescent et obtiendra son élargissement. C’est le seul qui met un peu d’ordre finalement.

    Thompson présente le chaos. Celui-ci est partout : que ce soit dans les relations entre les différentes communautés, le racisme est toujours bien présent, ou que ce soit à l’intérieur des couples où l’incompréhension règne. Mais ce chaos est aussi celui des rapports hiérarchiques que ce soit le père Talbert qui est humilié par son patron, ou encore le rédacteur en chef du Star qui est soumis à une pression ignoble de la part du propriétaire qui veut que son journal aille dans le sens d’une condamnation morale de Robert, quels que soient les moyens employés pour en convaincre l’opinion publique.

    Le père de Robert Talbert prend la peine, comme bien d’autres héros de Thompson, de nous expliquer qu’il  n’est responsable de rien, qu’il est l’éternelle victime des circonstances. C’est peut-être un peu facile, mais c’est finalement assez vrai. Ce sont les rapports sociaux dominants qui font ce que nous sommes et qui nous entraînent sur une pente savonnée sans joie et sans avenir.

    D’un point de vue stylistique, il n’y a pas grand-chose à remarquer. Simplement le récit progresse en changeant de locuteur. Le point fort résidera plutôt dans les dialogues, qui comme toujours chez Thompson, sont remarquablement bien écrits.

    Trop noir pour avoir un succès large, l’ouvrage cependant passe plus que bien les années et semble avoir été écrit aujourd’hui. On retrouve le même vide chez les adolescents, les mêmes oppositions avec leurs géniteurs. L’ouvrage n’a pas de fin véritable, en ce sens que le lecteur ne connaitra pas la vérité ultime de ce cauchemar.

     

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    Raymond Chandler et sa créature de papier, Philip Marlowe sont des piliers de la construction du roman noire américain. Bien qu’il soit influencé manifestement par Dashiell Hammett, Chandler a produit, dans un cadre déjà codifié, une musique particulière. Il a peu écrit, seulement sept romans, mais c’est deux de plus que Dashiell Hammett. Ayant commencé sa carrière d’écrivain assez tardivement, il mettait beaucoup de temps à peaufiner ses intrigues, et puis il avait travaillé pour Hollywood, et on sait ce que ça coûte.

    Pour moi qui suis tombé tout petit sur les livres de Chandler, livres que j’ai lus et relus, c’est une opportunité des relire dans une traduction plus complète et dans leur ordre chronologique. Et ça se dévore toujours aussi bien. Les années n’ont pas de prise sur ses romans, et je dois dire qu’un seul des romans de Chandler vaut bien toute la production actuelle de la Série noire.

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    Il y a beaucoup de choses dans ces romans. Bien sûr le personnage de Philip Marlowe, à la fois le double de Chandler et le nouveau chevalier blanc d’un monde en décomposition rapide. La mélancolie aussi dans une ville clinquante et vouée à la marchandise, au paraître et au crime. Mais il y a encore bien autre chose. D’abord les intrigues de Chandler sont très soignées, et il maintient une forme de suspense jusqu’au bout. Parfois les solutions sont un peu trop alambiquées comme dans La petite sœur. Mais ce n’est guère important.

    Au-delà de ces intrigues il y a la conduite de l’histoire. Ecrite à la première personne du singulier, du point de vue singulier de Marlowe, elle nous précipite tout de suite et sans traîner dans l’action. Chandler ne tourne pas autour du pot. Marlowe plonge sans trop savoir où il va dans une histoire qui le plu souvent le dépasse. C’est presque le hasard qui guide ses pas. Dans Adieu ma jolie¸ c’est une espèce de géant fortement imbibé qui va l’obliger quasiment à s’occuper d’une affaire qui ne le concerne pas vraiment et qui ne lui rapportera rien d’autre que des coups.

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    Sur cette photo on reconnaitra Raymond Chandler, le second debout en partant de la gauche, Dashiell Hammett, le dernier debout et à droite, et devant, assis, le second en partant de la droite le grand Horace McCoy

    Beaucoup d’autres traits de style ont été relevés, d’abord l’humour, ou plutôt la dérision. C’est cette ironie qui permet à Marlowe de tenir le choc et d’encaisser. Il maintient toujours la distance avec son sujet. Cela se traduit par des dialogues souvent magnifiques, enlevés.

    Et puis il y a cette façon de nous inciter à regarder au-delà des apparences dans un monde où règne l’hypocrisie des conventions sociales. Les riches ont le plus souvent un cadavre dans le placard, les policiers sont aussi souvent corrompus et brutaux, notamment ceux de Santa Monica qui est ici dissimulée sous le nom de Bay City.

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    Le Los Angeles de Raymond Chandler

    L’écriture des romans a occupé Chandler entre 1939 et 1958. Il y a donc une unité de ton assez visible. Cependant, quand on lit les romans en continu, on se rend compte que des changements importants interviennent dans la vie de Marlowe, comme dans l’organisation de la vie américaine. C’est qu’en effet, la Seconde Guerre mondiale a eu lieu, et on en a eu des échos plus ou moins assourdis dans plusieurs épisodes de la saga de Marlowe. Et puis ensuite, l’Amérique reprend sa marche en avant vers la consommation à outrance et l’accumulation des richesses.

    Raymond Chandler a été, comme on le sait, plutôt maltraité par la Série noire et Gallimard, les romans avaient été tronqués et les traductions saturées d’un argot parisien de mauvais aloi. La réédition récente de l’ensemble des romans mettant en scène le détective Philip Marlowe est une tentative de se racheter un peu. Mais décidément Chandler n’a pas de chance avec Gallimard. Contrairement à ce qui avait été fait pour Hammett, les traductions n’ont pas été refaites, elles ont été seulement bricolées. Et on a retenu les traductions de Boris Vian pour deux des romans. On peut aimer ou non Boris Vian, ce n’est pas le problème, mais à l’évidence ses traductions ne sont pas bonnes. Quand il s’agit de Chandler, préserver les traductions de Boris Vian n’a aucun intérêt, c’est une faute de goût justement parce que le but serait plutôt de nous livrer une traduction la plus fidèle au texte possible.

    Omnibus a aussi publié l’intégrale des nouvelles de Raymond Chandler. Certes ça ne vaut pas les romans, mais c’est doublement intéressant, à la fois parce que ça nous permet de comprendre l’origine des romans, qui sont toujours un recyclage d’une ou de plusieurs nouvelles, et parce que ces nouvelles sont la matrice d’un style en devenir.

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    Le scénario est assez simple, Martin Modot qui a raccompagné ses parents à la gare de Deauville, voit sa famille anéantie quand, au moment d’un hold-up manqué, un des gangsters se met à tirer dans la foule. En vérité le hold-up est simplement un prétexte pour tuer un homme, membre du GDR, une sorte de police parallèle, qui menace de faire des révélations à la presse sur les dessous peu reluisants des politiques de droite. Martin Modot est contacté par Philippe Miller le président d’un groupe d’autodéfense, clairement d’extrême-droite. En essayant de retrouver les assassins de sa famille, Martin Modot va remonter jusqu’à Lucie, la sœur d’Eddie Kasler, propriétaire d’une boîte de nuit, l’organisateur de la tuerie de Deauville. Il va finir par s’allier avec elle, mais il est poursuivi par les tueurs d’Eddie, en outre, il s’aperçoit que le commissaire Brousse est en réalité l’employeur d’Eddie et travaille pour le compte de personnes plus haut placées encore. Eddie sera finalement arrêté, mais, présenté aux journalistes, il sera abattu par Philippe Miller qui dit parler au nom de la justice.

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    Eddie surveille ce qui se passe dans la gare de Deauville

    A travers le drame d’un homme qui a presque tout perdu, le film se veut aussi bien le procès des groupes d’autodéfense qui sont à l’époque le fer de lance des débuts de l’extrême-droite politique, que celui des polices parallèles, telles que le SAC, abondamment utilisées avant 81 par le parti gaulliste. Justement le film est tourné en 1982, au moment de la tuerie d’Auriol va amener à la dissolution du SAC et à la révélation de leurs pratiques particulièrement douteuses. L’idée de départ est plutôt intéressante et l’histoire se veut réaliste en dénonçant des pratiques peu reluisantes qui voit la police manipuler sans complexe aussi bien des truands que des citoyens innocents, et tout ça dans le but de couvrir ses propres turpitudes. Mais on peut dire que c’est raté. La raison première de ce ratage est l’incohérence du scénario, et cette dénonciation grossière et incohérente d’une police aux mains des puissants sombre dans la caricature tant les différents éléments ont du mal à s’emboîter. Cette approche politique est probablement due à Jean-Pierre Manchette et s’inscrit dans la lignée de ce qu’on a nommé « néo-polar ». Ce n’est pas tant le fait que le néo-polar dénonce les turpitudes de la droite et de l’extrême-droite qui gêne, mais la manière dont cela est mené, le peu de réalisme qui lui est attaché.

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    La famille de Martin Modot est détruite

    C’est ainsi que le président de l’association d’autodéfense est présenté comme une vieille canaille libidineuse, comme s’il ne suffisait pas qu’il soit ce qu’il est pour être dénoncé comme néfaste pour la société. Est-on obligé aussi d’en  rajouter dans son concubinage avec la police ? N’est-ce pas déjà assez qu’il représente les valeurs de l’extrême-droite, que probablement il se fasse un nom et de l’argent en exploitant la misère des autres, sans qu’on ait besoin de rajouter des tares sur le plan de ses relations sexuelles ou dans sa volonté de commettre les basses besognes. Du reste l’assassinat d’Eddie perd toute crédibilité, parce que c’est une chose de défendre la légitime défense et une autre de commettre un meurtre de sang-froid.

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    La police cherche à savoir comment l’homme du GDR a été tué

     Du point de vue cinématographique l’ensemble est assez mou, mais il y a quelques scènes assez réussies, la tuerie dans la gare de Deauville ou la longue poursuite dans le métro. D’ailleurs Leroy réussi plutôt bien les scènes d’actions, et s’il est moins à l’aise dans les scènes dialoguées plus statiques, il arrive toujours assez bien à se saisir des décors naturels. Mais ces difficultés entraînent aussi un manque de réalisme psychologique des protagonistes auxquels on ne croit jamais vraiment. En effet on ne comprend pas qu’un homme qui souffre et qui veut se venger finalement reste aussi timide et emprunté que Martin Modot.

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    Les tueurs d’Eddie doivent être tenus

    On a souvent rapproché ce film du  style d’Yves Boisset dans les années soixante-dix. Je suppose qu’on y a vu la même volonté militante et démonstrative à travers l’expression de personnages finalement assez convenus. Le commissaire Brousse joué remarquablement bien par Michel Aumont, est calqué sur les nombreux personnages de flics pourris que Michel Bouquet a incarnés. Et si la volonté de faire un cinéma à la fois populaire et édifiant est la même dans les deux cas, le style cinématographique diffère cependant. Celui de Leroy est plus direct, il ne recherche que très rarement des mouvements compliqués de caméra, et il a un sens de l’action violente qui est plus sûr que chez Boisset.

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    Eddie a mis sa sœur en danger 

    Le film reçut à sa sortie pas mal d’éloges, et connut un succès commercial convenable sans être très important. La distribution est, à posteriori, assez impressionnante. Outre Claude Brasseur qui est la vedette, on retrouve, Véronique Genest, Thierry, Lhermitte, Christophe Lambert, Valérie Kaprisky. Bien entendu, c’était il y a trente ans, et ils n’étaient pas alors des acteurs bien importants. Curieusement tous ces acteurs ne sont pas bons. Claude Brasseur se traîne un peu et ne semble jamais trouver la mesure de son personnage. Véronique Genest est très bien, mais Thierry Lhermitte est très mauvais. Il est vrai que cet acteur a plus de facilités pour jouer les bourgeois que les voyous simplement pour des raisons de physique. C’est un peu comme quand Daniel Auteuil essaie de remplacer Lino Ventura dans le rôle de Gustave Menda.

     

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    Le sinistre Miller aime les jeunes filles

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    Martin voudrait bien que Lucie parle enfin

     

    Au final c’est un film noir décevant qui se disperse à travers un trop grand nombre de personnages et qui se perd dans une intrigue à la fois trop compliquée et trop simplificatrice. Il semble qu’il eut été plus judicieux de se centrer sur le personnage de Martin Modot ou alors de carrément l’oublier. On retiendra cependant que toute la première partie du film tient bien la route et est intéressante par son naturalisme qui nous parle d’une époque aujourd’hui disparue.

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    Martin veut se venger d’Eddie

     

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    Le commissaire Brousse s’est arrangé pour éliminer Eddie

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