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    Voilà l’archétype d’un film noir de série B. Ce genre qui a permis à de nombreux jeunes réalisateurs de talent de faire leurs premières armes. On connait le principe, un sujet simple et linéaire, des acteurs peu chers, une mise en scène nerveuse, un tournage rapide destiné à cadrer avec un budget très bas. Le tout pour un produit qui doit occuper le spectateur environ une heure de temps. Cet ensemble de contraintes a donné lieu à de très grands films, voire à quelques chef-d’œuvre. 

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    Mike est un flic brutal et un peu tendu

    Bodyguard est un des premier films de Richard Fleischer, et son premier film noir. Suivrons bientôt les films de même genre mais plus connus comme L’assassin sans visage, Le pigeon d’argile, Armored car robbery ou encore L’énigme du Chicago express. C’est cependant 20000 lieues sous les mers qui le propulsera vers les sommets, un spécialiste des films à grand spectacle. Par la suite il alternera le bon et le moins bon, sans trop s’enfermer dans un genre, on lui doit aussi bien Les vikings que Soleil vert, Les inconnus dans la ville ou L’étrangleur de Boston. Mais quoi qu’il en soit, il restera toujours assez fidèle au film noir, y revenant périodiquement.

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    De riches propriétaires d’un abattoir veulent l’engager comme garde du corps 

    Le scénario de Bodyguard qui présente la particularité d’avoir été travaillé par Robert Altman, n’est pas des plus riches. Un flic un peu violent, Mike Carter, qui préfère la justice au respect tatillon du règlement et de la loi, s’oppose à son supérieur qui le met à pied. Il décide de démissionner. Alors qu’il est au stade en train d’admirer, avec sa fiancée Doris, un match de base-ball (c’est donc un vrai américain) on lui propose de devenir garde du corps d’une femme assez âgée, propriétaire de grands abattoirs, pour une somme élevée. Mais il refuse, une fois, deux fois. Puis face à l’évidence d’une tentative d’assassinat, il va céder. Mal lui en prend parce qu’alors qu’il suit la vieille Gene Dysen qui se rend à un rendez-vous mystérieux à 4 heures du matin, il est assommé et se retrouve dans sa propre voiture avec le cadavre du policier qui l’a mis sur la touche. Un train fonce sur la voiture, et c’est un miracle s’il s’en sort.

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    Ayant perdu l’automobile qu’on lui a confiée, Mike doit prendre un taxi 

    Le décor ainsi planté, on va assisté aux efforts de Mike pour faire éclater la vérité et trouver les vrais coupables. Car bien évidemment il est soupçonné de meurtre et se trouve pris entre les vrais meurtriers et la police. Mais il peut compter sur l’aide de la ravissante Doris qui le soutien de tout son amour. La fin, un rien paresseuse, permettra que tout rentre dans l’ordre, les méchants seront punis – et salement encore – et Mike et Doris se marieront. Avant de partir en lune de miel, Mike sera réintégré dans la police parce que son travail aura été reconnu enfin à sa juste valeur.

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    Quelques vues de Los Angeles sont particulièrement réussies 

    Comme on le voit ce ne peut pas être un grand film. Le scénario est bourré d’invraisemblances aussi bien factuelles que psychologiques : le gangster qui veut assommer Mike dans le cabinet de l’ophtalmo sort de nulle part. Mais c’est un film qui présente des qualités de mise en scène évidentes. Les extérieurs dans les rues de Los Angeles sont très bons, et donnent du corps au film. Les noirs et blancs sont excellents, particulièrement dans les scènes nocturne. La mise en scène du travail dans les abattoirs, ces scies électriques qui découpent des grands quartiers de viandes, apporte un côté inédit et un peu angoissant. On regrettera cependant la multiplication de gros plans plutôt lourdingues. 

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    L’ophtalmo n’est pas très sympathique 

    Outre la faiblesse du scénario, le film souffre cruellement de son casting. Si Laurence Tierney est excellent dans Born to kill de Robert Wise parce qu’il y joue le rôle d’un psychopathe, il a bien du mal à être crédible en policier sympathique et bon. Cela vient je suppose de la rigidité de son visage et de son corps. Il fera néanmoins une très longue carrière, souvent cantonné à des seconds rôles, et Quentin Tarantino lui rendra hommage en l’employant dans Reservoir dogs. L’ennui est que c’est lui qui porte le film sur ses larges épaules, c’est filmé de son point de vue.

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    Mike a la capacité de voir dans son dos 

    Priscilla Lane est un petit peu mieux, servie par un physique avenant et un joli sourire. Au passage on reconnaîtra Steve Brodie dans un petit rôle, un autre habitué des films noirs de série B. Le reste de la distribution ne se remarque guère, Philip Reed joue le fils dégénéré sans grande conviction, peut-être se pensait-il à cette époque destiné à une carrière de jeune premier.

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    La police a rendez-vous à Pasadena 

    Si le film se voit sans ennui, et s’il est exemplaire d’un certain genre, on peut dire aussi qu’il est aussi vite oublié que regardé.  

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    Doris qui a surpris le criminel en pleine action, risque sa peau

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    Marseille est une ville qui a toujours fait couler beaucoup d’encre, et les livres qui l’ont pris pour sujet ne se comptent plus. Ce n’est pas un hasard si elle a donné naissance à un genre littéraire nouveau, le polar marseillais, genre qui n’a d’équivalence dans aucune autre ville de France. Aujourd’hui encore, ses règlements de compte, ses turpitudes politiques, en font un sujet de choix pour les journalistes pressés.

    Emmanuel Loi qui n’est pas né ici, qui ose même avouer être natif des Vosges, en propose une vision qui est aussi peu touristique et pittoresque que possible. Loi s’est fait, pour des raisons qu’il n’élucide pas, marseillais d’adoption. Ville faite de bric et de broc, elle présente une réalité unique pour le meilleur et pour le pire. C’est une ville de bandits, où on peut choisir cette profession de père en fils, mais Emmanuel Loi s’est exercé aussi un peu dans cette voie avant de prendre plusieurs années de prison. Sensible à la misère de Marseille, il l’est aussi à sa violence latente.

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    Une ville qui s’étale sur plus de 240 km2 

    La première singularité de cette ville est son immensité : c’est la plus grande entité urbaine en France, ce qui évidemment amène des problèmes sans fin. Par exemple cette fameuse coupure entre les quartiers Nord pauvres et déglingués, presqu’à l’abandon, et les quartiers Sud dont une partie au moins est très riche.

    Cette dimension géographique singulière fait qu’elle est construite comme une mosaïque de quartiers ayant chacun une identité singulière, une couleur, une odeur bien à lui. L’étalement de la ville lui permet de conserver des formes archaïques, on n’ose pas dire villageoises, qui côtoient des extravagances modernistes dans les nouveaux quartiers. Je n’ai pas le temps de m’attarder sur cette question ici, mais un jour il faudra bien s’interroger sur la santé mentale des architectes-urbanistes qui produisent de telles horreurs, et sur celle aussi de leurs commanditaires, l’actuel maire de Marseille étant de ce point de vue certainement le pire que la ville ait connu.

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    L’abominable tour Zaha Hadid construite malencontreusement dans le quartier de la Joliette 

    Emmanuel Loi raconte ces fractures, ces oppositions, avec la violence qui va avec. Il donne, à travers sa propre expérience, le compte rendu d’une sorte de longue dérive paradoxale. Opposant ses différents emplois dans les structures socio-culturelles nombreuses de la ville, à ses rencontres qui les remettent en question. Car Marseille est une ville où pullulent les structures socio-culturelles, où chacun peut se revendiquer artiste et créateur. Il est d’ailleurs assez curieux que ces actions nombreuses et variées soient le plus souvent impulsées par des « intellectuels » qui ne connaissent pas grand-chose à la ville et qui en ont une vision très extérieure. Au passage il donne un portrait en creux de toute cette faune qui est à la fois drôle et déprimante.

    Le fait qu’Emmanuel Loi ait été impliqué dans ce genre d’activités scabreuses, lui amène quelques remords et c’est à travers ces remords qu’il perçoit la ville. C’est donc une approche très subjective de la ville. Et selon moi c’est ce qui est intéressant. Je n’ai aucunement le même point de vue qu’Emmanuel Loi, mais c’est parce que j’y suis né et j’y ait grandi pendant les années Defferre, à une époque où la ville semblait s’améliorer d’année en année. Loi, lui, n’est arrivé à Marseille que dans les années soixante-dix, au moment où la ville a commencé de décliner en se débarrassant peu à peu de ses activités portuaires et industrielles. Il venait d’Aix-en-Provence, ville bourgeoise et provinciale à cette époque, où il suivait avec peu d’assiduité des études de lettres, intéressé par les chemins chaotiques de la subversion. Car si l’approche de Loi est subjective, elle est aussi psychogéographique et inscrite dans l’histoire, la sienne, plus que celle de la ville.

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    La dernière horreur architecturale à Marseille qui défigure le Vieux Port  a coûté 45 millions d’euros ! 

    C’est cela qui fait tout l’intérêt de Marseille Amor. En mêlant son parcours personnel à la découverte de la ville, il en révèle les marges. C’est un parcours heurté, et même si j’en reconnaît la plupart des lieux visités dans leur intimité, ceux-ci m’apparaissent sous la plume de Loi différents, misérables ou poétiques, c’est selon l’humeur du lecteur aussi bien que celle de l’auteur. Cette vision éclatée et intense de Marseille s’accorde avec un style volontairement décousu, fait de petites notations éparses, sans exigences de continuité.

    Le livre est publié dans la collection Fiction & Cie qui a déjà à son actif le très bon livre d’Eric Hazan, L’invention de Paris.

     

    Gaston Defferre fut le maire de Marseille de 1953 à 1986, année de sa disparition. Emmanuel Loi a écrit aussi unn petit ouvrage sur lui.

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    Bruno Sulak est une légende du grand banditisme. Mais il faut bien reconnaître que c’est une figure à part. d’abord parce qu’il n’appartient pas à une logique de bande et qu’il n’a jamais ni trafiqué dans les stupéfiants, ni dans la prostitution, qui sont comme on le sait les deux mamelles du grand banditisme. C’est un aventurier. Mais ce qui est peut-être plus remarquable c’est que c’est un aventurier doté d’une certaine morale et d’une conscience.

    Philippe Jaenada va retracer l’itinéraire particulier de Sulak. Et son enquête est sérieuse, aussi complète que cela semble possible. Il a rencontré les derniers témoins de la saga de Sulak. Partant de son enfance jusqu’à sa tragique disparition, il n’a rien oublié, ni de ses braquages, ni de ses amours. A ce titre c’est un ouvrage intéressant. D’autant qu’en mettant Sulak en perspective, on voit à quel point le banditisme a évolué avec son temps. Par exemple Sulak braquait les supermarchés, comme Mesrine braquait les banques avant que celles-ci s’équipe sérieusement pour éviter les hold-up intempestifs. C’est typique de la fin des années quatre-vingts, avant que la déferlante des paiements par carte bleue n’entrave la circulation des liquidités, obligeants les truands à faire preuve d’un peu plus d’imagination. Sulak c’est donc la fin d’une époque où il suffisait d’avoir du courage pour remonter de la monnaie.

    Il n’y a pas grand-chose à dire sur le fond de l’ouvrage qui est tout à fait excellent. C’est une enquête patiente et documentée. Il n’y a pas de révélation à proprement parler, mais des détails abondants, sur ses différents faits d’armes, sur sa vie en prison et sur la cruauté des matons qui lui en ont fait baver. Sa dernière tentative d’évasion est décrite méticuleusement, avec le détail des différentes complicités. On est aussi un peu étonnés de voir que le sous-directeur de la prison de Fleury-Mérogis et un des gardiens de cette boutiques, qui se rendirent complices de Sulak, sombrèrent dans la délinquance après quelques longues années de prison. On peut regretter aussi que les différents écrits de Sulak, les articles pour L’autre journal, ses lettres, ne soient pas plus utilisés, on pourrait peut-être en faire une édition séparée. Je les avais lus à l’époque et la fraicheur du ton m’avait frappé.

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    Bruno Sulak en légionnaire 

    Par contre le style de Jaenada pose un peu plus de problèmes au lecteur. Jaenada utilise un style un peu sautillant qui se veut ironique. On suppose que de cette façon il vise à prendre de la distance avec son sujet, ne voulant ni se manifester pour ou contre, mais seulement décrire. Bien sûr ici et là il laisse transparaître de l’affection pour Sulak. Mais cette manière de faire gêne parce qu’elle finit par faire apparaître Sulak comme une sorte de voyou un rien farfelu : c’est comme s’il le mettait en position d’infériorité par rapport à lui-même. Or, d’après ce qu’on en sait, et ce qu’en dit lui-même Jaenada, Sulak était aussi un personnage moral dont les choix de vie en valent bien d’autres.

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    Bruno Sulak au moment de son procès à Albi 

    Toujours dans cette volonté d’ironiser sur son sujet Jaenada mêle des petites réflexions sur ses états d’âme de romancier (mais est-ce un roman ?) au déroulement de la vie de Sulak. C’est parfois un peu pénible tant cela fait système. Il est vrai qu’en même temps c’est cette manière un peu précieuse finalement qui fait que la livre de Jaenada peut être considéré comme une œuvre littéraire. Si son ouvrage avait été écrit différemment, il aurait plutôt trouvé sa place chez La manufacture de livres, mais il n’aurait pas alors concouru pour des prix germanopratins. En effet, quand on parle de voyous dans la « littérature blanche », on se croit toujours obligé de faire des manières et d’éviter de raconter simplement une histoire – c’est déjà ce qu’on avait souligné avec le dernier roman de Serge Bramly. C’est bien sûr cela qui fait la supériorité de la littérature noire sur la littérature blanche.

    Cependant vers la fin du livre, disons à partir du moment où Bruno Sulak est prisonnier et ne s’en sortira plus que les pieds devant, Jaenada abandonne ses préciosités, les parenthèses sont bien moins nombreuses, et devient terriblement émouvant. Sans le dire explicitement – il ne le peut pas à moins de risquer un procès – le propos est transparent, il ne croie ni à la thèse de l’accident ni au suicide. Ce qui veut dire qu’il y a de la place pour la thèse d’un assassinat. Car évidemment Jaenada aime Bruno Sulak, pratiquement comme tous ceux qui l’ont connu, et il arrive à en montrer aussi bien la force morale que la détresse. Il finit par le décrire comme quelqu’un de pur – c’est le mot qu’il emploie, sans pour autant approuver ou juger les choix de vie de Bruno Sulak.

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    Il y a quelques années Pauline Sulak, avait écrit un ouvrage, réédité ensuite sous le nom de Pauline Belmihoub, un texte plein de tendresse pour le frère disparu, mais aussi plein de colère pour la façon dont il est décédé. Philippe Jaenada non seulement s'est inspiré de ce livre, mais il en a recopié de longs passages entiers. Peut-être est-ce pour ça qu'il s'est donné beaucoup de mal pour mettre en avant des effets de style, pour se démarquer de l'hommage de Pauline à son frère. Ceci dit l’ouvrage de Pauline Sulak ne détaille pas l’ensemble des faits et gestes de Bruno Sulak comme le fait Jaenada, mais elle donne des lettres de son frère qui sont tout à fait passionnantes dans ce qu’elles montrent de sa vie réelle et de son caractère. Et puis elle met en valeur un trait caractéristique de Bruno Sulak, ses liens très forts avec sa famille, malgré les aléas de sa vie d'aventures. Cette très grande proximité entre les deux ouvrages n'a semble-t-il pas été remarquée par la critique, et quand le livre de Pauline Sulak est sorti, il n'a pas été considéré comme de la littérature, à peine comme un témoignage. Ce n'est pas le cas de celui de Jaenada qui comme je l'ai dit a concourru pour un certain nombre de prix. Mais cette différence articielle entre "littérature" et "témoignage" n'a pas finalement grand intérêt. J'avais lu le livre de Pauline Sulak à sa sortie, il y a presque vingt ans, et il a fallu que je le relise juste après celui de Jaenada pour me rendre compte de totu ce que le second devait au premier.

    Il existe aussi une pièce de théâtre sur Bruno Sulak écrite par Tayeb Belmihoub, ce qui semble indiquer que Bruno Sulak devient un personnage à la mode. Peut-être parce qu’on en a un peu assez des truands trop ensauvagés qui s’entretuent sans trop de discernement.

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    Ottman Belmihoub et Denis D’antoni dans la pièce de Tayeb Belmihoub

     

    Liens

     

     

    http://www.dailymotion.com/video/xfdplp_proces-sulak_news A propos du procès d’Albi

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    Mélodie en sous-sol est un très gros succès commercial d’Henri Verneuil. Il bénéficie toujours d’une bonne audience. Adapté on ne sait trop pourquoi d’un roman de John Trinian qui n’a finalement que peu de rapports avec le film, il est un exemple de la conception du film noir à la française. La différence essentielle avec la production courante de l’époque, c’est le budget. Il y a des moyens et ça se voit. Le scénario est assez simple, voire simplet, Charles qui sort de prison retrouve son quartier et sa vie transformée. N’ayant guère de capacité d’adaptation à cette nouvelle donne, il va imaginer un coup pour empocher le gros lot et se retirer des affaires. Il veut casser le casino du Palm Beach à Cannes et pour cela il va s’attacher les services de Francis, un petit voyou de rien du tout, même pas un demi-sel et de Louis. Le coup est minutieusement préparé et va réussir, jusqu’à un certain point, car le butin sera finalement perdu. 

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    Charles retrouve son ancien quartier transformé 

    Inspiré très vaguement de John Trinian, le scénario est écrit par Simonin, Verneuil et Audiard. On suppose que Simonin assure la caution « couleur locale », Audiard le pittoresque des situations, et que Verneuil supervise l’intérêt commercial de l’affaire. Ces dispositions s’inscrivent dans la logique d’un cinéma à « effets », un cinéma simple qui utilise des oppositions grossières. Par exemple on oppose Sarcelles, cité dortoir et déshumanisée de l’époque et la vie de luxe de Cannes et de son Casino, comme les deux faces de la modernité, modernité soulignée violemment par une musique de jazz assez envahissante. Les oppositions continuent avec celle du vieux de la vieille incarné par jean Gabin, truand désabusé et mélancolique, et le jeune impulsif et finalement naïf petit voyou incarné par Delon. Le mécanicien Louis est là également pour faire ressortir l’opposition entre le courage ordinaire des vrais truands et la peur panique des amateurs. Ces oppositions de caractères tranchés et de lieux forcément opposés, empêchent évidemment toute forme d’ambiguïté et de nuances, et c’est probablement cela qui font du film un simple spectacle de divertissement.  

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    Il ne vise pas à s’installer dans la tranquillité 

    Une des raisons de l’énorme succès de ce film est sans doute la façon dont il est tourné. D’abord l’utilisation de l’écran large apporte une profondeur de champ intéressante qui éclaire le film et en ôte tout mystère : c’est la modernité de la transparence. Mais aussi comme le scénario possède peu de rebondissement, on détaillera longuement les scènes, que ce soit le retour de Charles dans son quartier, ou la préparation et l’exécution du hold-up.  

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    Pour monter un coup magnifique, il va engager un petit voyou, Francis

     C’est sans doute cette manière « moderne » qui fait que le succès de ce film reste persistant. Certains ont remarqué que l’utilisation abusive des transparences ne passait plus aujourd’hui. C’est un peu vrai. Mais là n’est pas l’essentiel, parce que justement le film mêle habilement les prises de studio avec les scènes tournées en extérieur ou dans des décors réels comme les salles du casino. 

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    Louis conduira la voiture 

    Les dialogues sont de Michel Audiard, c’est-à-dire qu’on va retrouver des bons mots d’auteur enrobés dans un argot de pacotille, avec une pointe d’aigreur qui tiendra lieu de réflexion générale sur l’évolution négative des mœurs et du pays : par exemple la fameuse et très longue scène qui oppose Charles dans le train de banlieue, silencieux et sombre, aux prolos de base, rêvant stupidement de congés payés et de vacances dans des campings minables. Ce type de réflexion réactionnaire fait toujours rire, parce que le spectateur ne se sent pas concerné, parce qu’il se croit épargné de la vindicte de Michel Audiard. Il y a un point de vue qui se veut « aristocratique » malgré tout : Charles est un seigneur, Louis, pauvre travailleur manuel est peureux et soumis à n’importe quelle hiérarchie. Comme toujours avec Audiard, le peuple représente un ramassis de cons et les seuls personnages pour qui il a de la tendresse sont forcément des individualistes qui ont réussi à la force du poignet.  

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    Francis s’intègre à la vie du Palm Beach

     Dans ce genre de film, si les décors naturels jouent un rôle clé, les acteurs sont essentiels. Ici le choix est assez simple. Le film a été d’abord bâti autour de Jean Gabin, un vieil habitué à cette date des rôles de vieux truands plus ou moins dépassés par l’évolution de la société. Il fait du Gabin, et c’est probablement ce que les gens attendent de lui. Alors qu’il n’a même pas soixante ans au moment où il tourne ce film, il adopte une démarche usée qui le vieillit encore plus, il se montre dans des tenues qui augmente le côté pantouflard du personnage, par exemple les scènes en pyjama. Sa composition déçoit beaucoup, tant elle est convenue. 

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    Le coup est minutieusement préparé 

    En vérité c’est Alain Delon qui lui vole la vedette. On sait qu’il a tenu à faire le film pour rien – se contentant des droits d’exploitation au japon et en Amérique latine. Jean-Louis Trintignant aurait été pressenti pour le rôle. A l’époque où il tourne ce film, Delon est un acteur connu, mais il l’est surtout pour des films d’auteur. Mélodie en sous-sol va lui permettre de casser cette image. C’est d’ailleurs à partir de cette date qu’il commencera à multiplier les rôles de voyous auxquels il n’était jusqu’alors pas habitué : le samouraï de Melville lui donnera ensuite la possibilité de donner une forme définitive et originale à cette figure du jeune truand marchant allégrement vers l’échec. Il est encore très jeune, et son jeu insuffle une énergie qui par ailleurs fait défaut à l’ensemble du film. Mais le plus étonnant probablement est la transformation qu’il opère en passant du petit blouson noir, englué dans ses relations de quartier, son bar, son flipper, ses salles de billard, au truand classieux portant beau dans les casinos, trimbalant son smoking dans les salles de jeu. Il y a donc à l’intérieur du film l’histoire d’une ascension sociale qui est aussi bien celle de Francis que celle de Delon ! 

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    Francis traversera le casino en passant par les conduits d’aération 

    Le complément de la distribution n’est pas très original. Maurice Biraud dans le rôle de Louis, Vivianne Romance dans celui de la femme de truand, patiente et fidèle. 

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    Le survol de la salle de jeu est une des scènes fortes du film 

    Bien entendu il reste quelques scènes très bien filmées,  celles qui montre le déroulement du hold-up proprement dit : que ce soit la traversée au-dessus de la salle de jeu, ou l’entrée dans la salle du coffre. Mais tout cela reste dans la continuité des films comme Du rififi chez les hommes et annonce la suite y compris le cercle rouge de Melville. La scène finale se veut paradoxale, comme un ultime retournement, mais elle reste assez incongrue, visant toujours l’effet, les billets remontant à la surface de la piscine provoquent effectivement une sorte de choc émotionnel de premier degré. 

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    Le hold-up est un jeu d’enfant 

    C’est finalement un film de faible consistance, mais il est bien rare que les films de Verneuil nous touchent encore, il se laisserait voir, sans passion bien sûr, s’il n’était pas saturé des dialogues lourdingues de Michel Audiard. Je vais encore me faire engueuler en écrivant cela au moment même où on célèbre les cinquante ans des Tontons flingueurs que d’aucun considère comme un film culte, et que moi j’ai toujours trouvé ennuyeux, seulement sauvé du naufrage définitif par le charisme des acteurs, Lino Ventura en tête. Terminons sur une anecdote, Alain Delon tournera un autre scénario de John Trinian : Les tueurs de San-Francisco, sauf que pour ce film John Trinian retrouvera le nom de Zekial Marko. 

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    Les deux voyous ne savent plus comment faire pour sauver leur butin

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    C’est le dernier opus de cette saga hollywoodienne que Wambaugh met en scène depuis 2006, on y retrouve un cadre bien connu, le commissariat, et des personnages aussi récurrents comme les deux flics surfeurs, le Bris et le Débris, ou le SDF amateur de jazz Trombone Teddy. Et bien sûr comme c’est Hollywood, on a droit à notre lot d’étrangeté : un Russe amateur de moignons et d’amputation de membres.

    Le roman va être très éclaté, chaque chapitre pourrait presqu’être bouclé sur lui-même, autour des faits et gestes des policiers ou des petits trafiquants de sexe et de femmes. Tout cela est bien connu des lecteurs de Wambaugh. La différence cette fois vient d’une histoire d’amour, chose à laquelle il ne  nous avait pas habitué jusqu’ici. Un docker, d’origine Croate, va tomber amoureux d’une jeune mexicaine dont on ne saura rien, si ce n’est qu’elle est très jeune et très belle. Mais l’histoire d’amour va tourner au cauchemar, car, danseuse due et probablement prostituée, elle a surpris des secrets qui vont amener un gangster coréen à chercher à la tuer. Bien que le ton ordinaire soit assez ironique, c’est une tragédie dont il s’agit.

    Cela introduit un ton nouveau dans l’œuvre de Wambaugh, et lui permet d’approfondir les caractères des personnages qui ne sont pas des flics : le commissariat étant plutôt pris en lui-même comme un personnage. Ce simple déplacement de Los Angeles même vers son port industriel, San Pedro, modifie la perception des choses. En effet, tant qu’on est à Hollywood on a droit à la sempiternelle dégénérescence des lieux. Mais le port de San Pedro présente une toute autre image. Massivement peuplé d’hispaniques, de Croates et d’Italiens, il représente le monde du travail dans sa simplicité. Les gens qui restent attachés à San Pedro, à l’instar de Dinko et de sa mère, possèdent des valeurs d’honnêteté et de simplicité. Ceux qui au contraire comme Hector Cozzo qui se laissent aspirer par les tentations hollywoodiennes, perdent leur caractère, deviennent veules et lâches.

    Cette nouvelle façon d’aborder le noir, confère à Wambaugh un surcroît d’humanisme, et je crois que cela correspond assez bien à ce qu’on dit ces jours ci de l’Amérique post-multiculturelle, notamment à propos de l’élection du nouveau maire de New York. Wambaugh n’ignore pas les problèmes que pose l’existence de communautés très différenciées, cohabitant sur un même lieu. Et il est assez subtil pour nous en faire ressortir le côté négatif sans donner des cours de morale. Les flics sont aussi présentés sous cet angle, ni particulièrement bons, ni particulièrement mauvais, ils conservent toujours pour Wambaugh cette part d’humanité, comme ce flic surnommé la Licorne, qui semble s’en foutre complètement de son métier, attendant la retraite à ne rien faire, et qui va être soulevé par un sursaut de colère lorsqu’il croisera la route d’un enfant martyrisé. Si les truands sont représentés comme évidemment mauvais, ils sont aussi les victimes de leur propre imbécillité. La façon dont Markos et Kim s'entretuent est assez réjouissante. 

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    Joseph Wambaugh et Michael Connelly lors de la sortie de Harbor nocturne en 2012 

    En tous les cas le roman dans son ensemble met en scène l’ambiguïté de la fiction par rapport à la réalité. Pour cette raison, il restera, le livre refermé, de nombreuses énigmes. On ne saura pas vraiment qui était Lita qui semble avoir menti sur presque tout, comme on ne saura rien de ce Basil à la recherche d’amputés. Tout au long du roman on pense qu’on va avoir une explication qui nous dira les raisons de cette étrange passion, mais non. Et au fond c’est à l’image de la vie cet inachèvement, ce lot d’incompréhensions qui nous accompagne en permanence.

     

    Pour le reste, c’est du Wambaugh, égal à lui-même, avec sa collection d’histoires drolatiques, toutes plus étonnantes les unes que les autres. Les dialogues sont toujours excellents. Cette fois ce n’’est pas Robert Pépin qui a fait la traduction, mais on pourra regretter tout de même le fait que le titre de français ne reflète pas le côté musical du titre américain, Harbor nocturn.

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