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    The strange affair of uncle Harry est un film très mineur dans la filmographie de Robert Siodmak. Il est tourné en 1945, juste après The suspect, et avant les chef-d'œuvre du film noir qu'il tournera par la suite. Il est également très inférieur au précédent, The suspect. Le principal problème est qu'il s'agit d'une adaptation d'une pièce de théâtre et que ça se voit. Les coups de théâtre sont téléphonés, et les dialogues un rien lourdauds.

     

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    Harry tombe rapidement sous le charme de Deborah

     Harry est un vieux garçon qui est issu d'une vieille famille dont les ancêtres ont fait la ville de Corinth, mais qui a été ruinée par la Grande crise des années trente. Pour survivre, il est obligé de travailler dans l'ancienne usine de son père qui a été rachetée et qui l'emploie à dessiner des modèles de tissus colorés. il a l'habitude d'une vie étroite et provinciale, et le seul vestige de son prestige passé est la maison familiale où il vit avec ses deux sœurs qui passent leur temps à se disputer d'une manière un peu rude. Tout cela ne viendrait pas déranger la routine tranquille dans laquelle baigne Harry, si la belle Deborah qui arrive de New York n'avait pas la curieuse idée de tomber amoureuse du tristounet Harry. et à partir de ce moment là les ennuis vont commencer à pleuvoir. En effet, Lettie est très jalouse, elle veut garder son frère pour elle seule, et va tout faire pour empêcher le mariage de Harry et de Deborah. Du reste elle va y arriver, et Deborah partira avec un autre de ses prétendants pour l'épouser. Lettie qui joue les malades imaginaires retrouve tout soudain une santé éclatante. Harry comprend qu'il a été le jouet des manigances mesquines de sa sœur et décide de l'empoisonner. Mais malencontreusement, c'est l'autre sœur de Harry qui meurt. Reste que Lettie va être accusée du meurtre de sa sœur, et qu'Harry aura fait d'une pièce deux coups en se débarrassant de ses deux encombrantes sœurs. Pris de remord, il tentera pourtant de passer aux aveux et de sauver Lettie de la pendaison, mais celle-ci refuse la dénonciation d'Harry et lui fait cet ultime cadeau de mourir à sa place.

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    Harry présente Déborah à la possessive Lettie

    Ainsi qu'on le voit, l'intrigue ne casse pas trois pattes à un canard, c'est presqu'aussi mauvais que du Hitchcock, ce n'est pas un film noir, juste une sorte de jeu. Rien n'est vraisemblable dans cette histoire, tant sur le plan policier que sur le plan de la psychologie des personnages. Et le retournement final n'arrange pas les choses, bien au contraire, cela frise le ridicule.

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    Lettie est heureuse de voir Déborah quitter Harry

     

    Y'a-t-il quelque chose à sauver dans ce film ? En effet la mise en scène de Siodmak ne se remarque pas particulièrement, guère de plans qui nous rappelle qu'il est un maître du clair obscur et des angles tarabiscotés. Seuls les acteurs et les actrices donnent un peu de vie à cette histoire. D'abord George Sanders qui est oncle Harry, un vieux garçon qui va se réveiller au contact d'une jeune femme délurée et entreprenante. Ensuite Geraldine Fitzgerald qui passe par toutes les facettes d'une femme à la fois malade, roublarde et profondément malheureuse. Egalement Ella Raines est très bien, quoique le scénario ne lui ménage pas une bien grande place. Donc ça se regarde assez bien parce que les acteurs sont bons. Si on voulait trouver quelque indulgence à ce film on dirait que c'est une histoire d'inceste, en avance sur son temps puisqu'elle dévoile des pulsions secrètes que la morale bourgeoise a enfoui, ou encore que les femmes martyrisent beaucoup ce pauvre Harry. Mais ce freudisme bien léger ne suffit guère à élever le niveau général de l'œuvre. Cependant comme ça ne dure qu'une heure et vingt minutes, finalement on s'en tire bien et on a amélioré notre connaissance de l'œuvre de Siodmak, ce qui n'est pas rien tout de même !

     

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    Lettie préfère mourir et qu'Harry ait des remords

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    On nous signale qu'il ne faut pas dévoiler la fin ultime, mais c'est juste une manière de publicité

     

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    Geraldine Fitzgerald, Robert Siodmak et George Sanders sur le tournage de The strange affair of Uncle Harry

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    Richard Brooks est un cinéaste à message, c’est-à-dire que, quitte à le simplifier, il faut que le spectateur comprenne sans ambigüité où il veut en venir. Ça tombe bien parce qu’au moment où il rencontre Bogart ce dernier est en voie de politisation accélérée pour cause de Chasse aux sorcières. Deadline USA est un film très compliqué, et c’est probablement pour cela qu’il ne fut pas un très grand succès. Ce film noir est en effet construit à partir de trois histoires imbriquées : il y a la mort d’un journal que ses propriétaires sont en train de vendre pour réaliser une bonne affaire financière à un magnat de la presse qui vise une situation de monopole et le contrôle de l'information. Ensuite il y a une enquête criminelle, le journal dans son ensemble semble vouloir remplacer la police qui est incapable de coincer un mafieux, Rienzi, qui gagne des millions mais qui a du sang sur les mains. Enfin, il y a une romance incertaine entre Hutchison, le patron du journal et sa femme avec qui il a divorcé et qui va sans doute se remarier avec un autre que lui. Cet aspect un rien niaiseux plombe tout de même l'histoire

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    Les journalistes font semblant de ne pas être inquiets

    Le mélange de ces trois niveaux, surtout en une heure et demi, brouille les lectures du film. Certes, on comprend bien l’importance de la liberté de la presse, Bogart développe sa nécessité devant un tribunal, que ce soit pour conforter la démocratie ou pour lutter contre les monopoles, comme on comprend aussi que la liberté d’opinion doit être défendue sans réserve, ce qui est une allusion directe à l’activité de la sordide Commission des activités anti-américaines. Mais ce mélange des genres disperse les personnages et les rend relativement flous. Les seconds rôles sont pourtant tenus par des acteurs très intéressants, que ce soit Paul Stewart, dans le rôle d’un journaliste qui a des allures de Dashiell Hammett, ou Ed Begley, qu’on retrouvera dans un autre film de Brooks très important, Doux oiseau de  jeunesse, et qui tiendra un rôle déterminant dans l’excellent Odds againsty tomorrow. L’étonnant Martin Gabel qu’on a vu dans The thief, curieux film muet, ou dans Quatorze heures d’Henry Hathaway, interprète magnifiquement Rienzi. Ethel Barrymore est aussi très présente, mais elle est toujours très bien quel que soit le film.

    C’est un film noir qui met en scène le journalisme, Brooks comme Fuller qui s’adonnera aussi à ce sous-genre, est un ancien journaliste d’investigation. La description du milieu, des machines, de la fièvre qui s’empare des journalistes au moment du bouclage est certainement ce qu’il y a de mieux.

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    Ed veut un journal offensif 

    Il y a cependant un idéalisme du journalisme qui passe difficilement, car cette profession n’a jamais été reconnue comme exemplaire en ce qui concerne son indépendance, même à cette époque. Toute l’histoire du journalisme tend au contraire à montrer que cette profession a toujours été corrompue, au moins autant si ce n’est plus que la police et les milieux politiques. Cette défense et illustration du journalisme d'investigation comme rempart nécessaire pour la démocratie venait probablement chez Brooks, comme chez Samuel Fuller, de sa carrière de journaliste

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    Les journalistes vont trouver un témoin inattendu 

    Le film n’est cependant pas mauvais, on peut le revoir avec plaisir, ne serait-ce que pour la forte prestation de Bogart, mais il n’arrive pas à dépasser le niveau du film de genre, que ce soit dans le scénario ou dans la réalisation. Il y a tout de même de très bons moments : l’assassinat du témoin par de faux policiers dans l’imprimerie du journal qui semble signifier d’ailleurs qu’il est bien meilleur de faire confiance à un journal qu’à la police. Il y a également de longs plans-séquence très bien venus dans la salle de rédaction qui donnent cet effet de bourdonnement.

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     La vieille Margaret Garrison fera de son mieux pour aider Ed 

    C’est, avec De sang froid, l’unique incursion de Brooks dans le domaine du film noir. Probablement n’était-il pas fait pour ce genre qui demande d’introduire un peu plus d’ambigüité dans les comportements humains comme dans les situations, encore qu'on puisse voir de l'ambigüité dans le comportement de Ed Hutcheson, car s'il traque le criminel Rienzi, ce n'est pas seulement par un souci de justice, mais aussi pour vendre du papier. Curieusement ce film est très difficile à trouver et c’est un des rares films de Bogart qui n’est pas disponible en DVD et encore moins en blu ray.

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    Ed apprend que son journal sera tout de même vendu

     Richard Brooks a eu une carrière éclectique autant que curieuse, faite de hauts et de bas, il a touché à tous les genres, allant du western au film d'aventures en passant par des formes introspectives. A côté de gros succès comme Elmer Gantry, selon moi son chef d’œuvre, ou La chatte sur un toit brûlant, ou encore le western assez peu conventionnel Les professionnels, il s’est payé quelques bides noirs, tant sur le plan commercial que sur le plan artistique, par exemple l’insipide Dollars avec Warren Beatty, ou La fièvre du jeu avec Ryan O’Neal en 1985. En réalité il a assez peu tourné, voulant avoir une pleine maîtrise de ses films, il les produisait le plus souvent ses films, mais il en écrivait aussi les scénarios.

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    Le journal ne sera pas sauvé

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    Bogart, Bacall, leur fils et Richard Brooks sur le tournage de Bas les masques

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    Cet ultime ouvrage de Joe Gores, décédé en 2011, raconte l’histoire de Sam Spade, le héros du Faucon maltais, avant 1929. Ce sont les aventures du célèbre détective entre 1921 et 1928. C’est encore d’une sorte de chasse au trésor dont il s’agit : un chef debande cambriole un navire avec de multiples complicités et détourne des stocks d’or australien. Spade arrive à limiter les dégâts, mais le criminel lui échappe. Quelques années plus tard, il va retrouver fortuitement celui-ci dans le cours d’une autre affaire liée au trésor de Sun Yant-sen qui aurait été enfoui quelque part près de San Francisco.

    Si l’intrigue n’a pas beaucoup d’intérêt, par contre la façon de mener la narration est intéressante. Gores qui avait déjà écrit Hammett, un récit mettant en scène Dashiell Hammett, a repris ici, avec l’autorisation des ayant-droits le personnage de Spade. Bon connaisseur de l’œuvre d’Hammett, il en reprend les tics et les formes même d’écriture. On dirait du Hammett, dans la tournure de la phrase, comme dans la conduite du récit.  Bien sûr ce n’en est pas. D’abord parce que l’écriture est moins spontanée que chez Hammett, et ensuite parce qu’Hammett ne se préoccupait pas autant que Gores de l’aspect « reconstitution » d’une époque disparue.

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    Mais ce n’est pas une critique que de marquer les différences entre Hammett et Gores. En vérité, Spade & Archer est un bon bouquin à plus d’un titre. D’abord parce que Gores a fait un travail de reconstitution de la fin des années vingt tout à fait remarquable et qu’il arrive à rendre l’ambiance particulière de San Francisco d’antan. Les scènes sur les quais sont parmi les meilleures de l’ouvrage, avec la description minutieuse de la complexité de la situation des dockers. De même la visite du quartier chinois est tout à fait saisissante.

    Gores a également bien saisi le caractère de Spade, à la fois cruel et fourbe, mais doté d’une certaine forme de morale et d’humour. Cela est traduit par des réflexions ou des colères soudaines. Certes on peut regretter une fin un rien lénifiante.

    L’ultime scène est un raccord avec l’ouvrage d’Hammett, Le faucon maltais, puisqu’Effie introduit Wonderly auprès de Spade.

     

    En lisant l’ouvrage de Gores, plus encore qu’en lisant Hammett lui-même, on comprend mieux où Léo Malet piocha pour créer son personnage de Nestor Burma. 

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    Le roman de James M. Cain avait eu un grand succès aux Etats-Unis. Sorti en 1934 aux Etats-Unis, il fut assez rapidement traduit en Français. dès 1939 il inspirait une adaptation cinématographique assez fidèle à Pierre Chenal avec Corinne Luchaire, Fernand Gravey et Michel Simon. En 1943 c'est Luchino Visconti qui le portait à l'écran sous le titre de Ossessione. Les deux versions sont très bonnes. il fallut donc attendre 1946 pour que les Américains s'y mettent enfin. En réalité plusieurs tentatives avaient été faites pour le réaliser, mais la censure s'y opposait toujours. Finalement la MGM aux moyens d'aménagements finalement assez légers put monter l'affaire. C'est déjà en soi un miracle, car la MGM n'était pas spécialisée dans les films noirs, elle visait plutôt les films à grand spectacle. Mais c'est peut-être cette incursion dans le noir qui va donner au film ce côté glamour si particulier. 

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    Frank trouve à s'embaucher chez Nick

    L'histoire est très simple : une sorte de vagabond, Frank, trouve à s'embaucher dans un restaurant tenu par NIck et sa très jeune femme Cora. C'est un coup de foudre brutal, même si au début Cora fait semblant de ne pas être attirée par Frank. Cette passion va emmener les deux amants d'abord à tenter de s'en aller ensemble. Mais les difficultés matérielles de cette fuite font qu'ils reviendront tous les deux à la maison. Dès lors, ils vont imaginer la mort de Nick, pensant que c'est la meilleure solution pour trouver le bonheur à deux. Une première tentative échouera lamentablement à cause d'un chat. Mais cela mettra la puce à l'oreille d'un procureur particulièrement soupçonneux. La seconde sera la bonne. Nick est mort, mais dans cet assassinat Frank a été blessé grièvement. Le procureur qui soupçonne les deux amants de ce crime, va tout faire pour monter les deux amants l'un contre l'autre. Mais l'avocat Keats veille et finalement Cora et Frank seront libres, touchant au passage la prime d'assurance liée à la mort de Nick. Tout n'est pas rose pour autant, Cora reste braquée contre Frank, et puis un détective va venir les faire chanter. Ils s'en sortiront encore une fois et finalement les deux amants vont se réconcilier, d'autant que Cora est maintenant enceinte. Ils vont viser à être un couple normal et vivre leur vie de famille, mais un accident empêchera ce projet de se réaliser, Cora décède et Frank sera accusé et condamné à tort cette fois pour son meurtre. 

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    La première rencontre avec Cora est brûlante

    James M. Cain est une figure incontournable du film noir. C'est également lui qui est l'auteur de Double indemnity qui fut porté à l'écran par Billy Wilder avec Barbara Stanwyck et Fred McMurray en 1944. Ce film qui est considéré comme un des plus grands films noirs eut beaucoup de succès et probablement ce succès à fait beaucoup pour encourager la MGM à mettre en scène Le facteur sonne toujours deux fois. James M. Cain est aussi l'auteur de Mildred Pierce qui fut porté à l'écran en 1945 par Michael Curtiz avec Joan Crawford. C'est donc dans la foulée de ces deux succès que s'inscrit le film de Tay Garnett. Celui-ci est un réalisateur rattaché à la MGM. Sa carrière est éclectique et a démarré dans les années vingt. Le facteur sonne toujours deux fois est son seul grand film à ma connaissance, jusqu'alors il était plutôt connu pour des comédies. pourtant il va montrer qu'il maîtrise bien les codes du film noir.

    La version filmée par Tay Garnett n'est pas la plus fidèle au roman, notamment elle s'épargne de rentrer dans les jeux de l'avocat Keats (Katz dans le roman) qui pousse les compagnies d'assurance à l'aider à faire libérer ses clients. C'est d'ailleurs la version de Bob Rafelson qui serre le roman au plus près, ce qui ne l'empêche pas d'être la plus mauvaise des quatre grandes versions que l'on connaît, celle qui a le plus vieilli. Le scénario a gommé le côté un peu sordide du livre. Frank n'est plus ici un clochard. Il est plutôt propre. Et on ne sent pas comme dans le livre le poids de la crise économique sur les comportements comme sur les lieux qui les déterminent. On peut penser que ce choix est aussi bien dû à la sagacité de la commission de censure qu'au fait que c'est la MGM qui finance la production et non pas la Warner - studio plus habitué à mettre en scène le côté dégénéré de la vie américaine. Curieusement, C'est la version de Tay Garnett qui est la plus érotique, bien que, contrairement à la version de Rafelson, le film soit dénué de toute scène de  sexe explicite. Il faut dire que le couple Jack Nicholson-Jessica Lange ne fait pas le poids face à John Garfield et Lana Turner. C'est la version qui a le plus vieilli. 

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    Frank va séduire Cora

     A l'évidence c'est le côté sulfureux de l'histoire et le caractère particulier des deux acteurs vedettes qui a fait le succès durable de ce film. Les deux "héros" sont en effet au-delà du bien et du mal si on peut dire, seulement guidés par leur égoïsme et leur soif de réussite. C'est d'ailleurs le premier dialogue entre Frank et Cora qui porte sur l'ambition et la volonté de réussir : ce sont des perdants qui veulent se transformer en gagnants selon l'idéologie dominante. Car au delà de la question sexuelle, c'est bien une question d'argent qui lie les deux amants maudits. Le facteur sonne toujours deux fois est donc bien une critique radicale des soubassements culturels du rêve américain. D'ailleurs toutes les institutions sont minées. Le procureur Sackett dans sa volonté de mettre les deux amants sur la chaise électrique n'en est pas moins louche pour autant. En effet, il surveille Frank depuis qu'il l'a rencontré, et pourquoi ? Simplement parce que Frank est un vagabond. Mais l'avocat Keats n'est pas plus blanc, non seulement il utilise des moyens plutôt tordus - il a recours à un détective privé plutôt véreux - mais en outre, la plaidoirie est pour lui une sorte de jeu, au-delà de ce que sont les deux assassins. Le justice, ce n'est pas son problème. Le complaisant Nick se dévoile sous un jour plutôt sombre lorsqu'il veut imposer à sa femme de se retirer dans un coin perdu du Canada, ou lorsqu'il compte ses sous, sa jovialité apparait forcée. 

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    Les deux amants décident de partir ensemble, mais ils vont devoir renoncer

     Le cynisme de James M. Cain se retrouve bien dans le film de Tay Garnett : la totalité des protagonistes sont marqués par la bêtise. C'est aussi bien Nick qui ne veut pas voir ce qui se passe entre Frank et Cora, que la manière dont Frank et Cora se font manipuler par le procureur et l'avocat. Cette bêtise c'est encore Cora et Frank qui font semblant de croire qu'ils sont un couple normal et qu'ils peuvent s'intégrer facilement dans le société en fondant une famille. Le détective et sa tentative idiote de faire chanter Cora et Frank est un autre aspect de cette bêtise endémique qui ravale l'homme au rang de la bête. 

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    Malgré les preuves de l'accident, le procureur soupçonne Frank

     Le scénario est bien sûr la clé de tout le film, il est du à Harry Ruskin et surtout Niven Bush qui a fait de très grands scénarios par ailleurs, Duel in the sun, une autre histoire de passion torride mis en scène par King Vidor. Mais la distribution est aussi impeccable. Lana Turner est à ce moment de sa carrière au sommet de sa gloire. Sa carrière a commencé dans les années trente, elle avait seize, et elle ne s'arrêtera qu'en 1991. Sa vie tumultueuse, son look, sa filmographie - elle a tourné pour Minnelli, pour Sirk, etc. - en fait une vedette à part à Hollywood. Et bien sûr dans le film de Garnett elle joue de cette aura de star. L'arrivée de Cora, tout de blanc vêtue dans un short qui la moule et met en valeur ses jambes, est un grand moment. Mais dans ce film, même si parfois elle surjoue, elle a cette capacité de faire passer des émotions diverses et variées, jouant tour à tour la jeune femme romantique et amoureuse, la perverse criminelle, ou la femme en colère et déçue par la lâcheté de Frank. Et puis elle est à l'apogée de sa beauté ce qui contribue à nous faire comprendre pourquoi Frank est prêt à se damner pour elle. Ce n'est pas forcément une grande actrice, mais elle a une très forte présence. Ce n'est pas sans raisons qu'elle a une cinématographie excellente. 

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    Frank va assommer Nick

     John Garfield trouve là un de ses meilleurs rôles, capable de se taire - au tribunal - comme de parler d'abondance, il exprime la force comme le doute sur ce qu'il est vraiment. On le sent amoureux de Cora, comme on sent son empathie pour Nick, mais aussi cette façon de tout envoyer promener en partant faire la bringue avec une fille de rencontre (joué par Audrey Totter qui fera une bonne partie de sa carrière dans le film noir). C'est ce film qui va faire de lui l'immense star que la foule pleurera à sa mort en 1952, consécutivement au harcèlement de la Commission des activités anti-américaines. Ses plus grands films - Body and soul, Force of evil - viendront un peu plus tard. Garfield a marqué tous les acteurs qui viendront à sa suite, que ce soit Bogart ou les acteurs comme Marlon Brando, James Dean et les élèves de l'Actor's studio. Mais il avait un jeu qui évoluait en permanence. Quand il tourne Le facteur sonne toujours deux fois, il est déjà sorti de ses personnages de rebelle sans cause, et en vient à des rôles où il peut faire preuve d'une plus grande subtilité, manifestant des sentiments ambigus. 

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    Les deux amants ont envoyé la voiture dans le ravin

    Si les deux acteurs principaux dominent évidemment le film, les autres rôles sont tout aussi bien distribués. Cecil Kellaways est Nick, bonhomme et aveugle aux combines de Frank et Cora. Hume Cronyn est évidemment remarquable dans le rôle de l'avocat rusé et blasé qui défend le couple maudit. Il a un petit rôle cependant essentiel pour compenser et mettre en lumière les pitoyables roueries du procureur interprété par le pâlot Leon Ames. on retrouve des figures traditionnelles du film noir, comme Alan Reed à la carrure massive dans le rôle du détective véreux et cupide.

    La mise en scène est carrée et use des codes du film noir. Quelques scènes remarquables, comme l'arrivée au début du film de Cora, on voit d'abord son rouge à lèvres qui roule sur le sol, puis ses pieds, ses jambes et enfin l'ensemble de son corps dans le clair obscur de la pièce, son ensemble blanc, presque virginal, opposé aux raies sombres qui barrent le corps de Frank. Ou encore la manière dont la voiture est envoyée dans le ravin. Les scènes qui se passent au tribunal lors de la confrontation entre Cora et Frank, hachées par les ombres et les barreaux de la fenêtre et la scène finale où une fois de plus John Garfield attend de mourir en prison, son seul visage illuminé d'une lumière sombre, enfermé dans les barreaux de sa cellule, sont également de grands moments.

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    Nick et Cora sont montés l'un contre l'autre par le procureur, mais l'avocat veille au grain

     On peut regretter que certaines scènes soient un peu statiques, mais cela est assez bien compensé par les plans larges qui saisissent les deux amants, en pieds, dans la perspective de la grande salle de restaurant. Les scènes à la gare de Los Angeles soulignent l'impression de lassitude et de chaleur dans laquelle se débat le couple. 

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    Un détective véreux tente de faire chanter Frank et Cora

     J'ai revu ce film dans la version blu ray qui est diffusée aux Etats-Unis et en Grande Bretagne. Cela permet de redécouvrir le film, car l'image est évidemment excellente et rend justice au travail de Sidney Wagner, grand chef opérateur qui décéda hélas trop jeune. Outre le film, le blu ray contient des suppléments très intéressants, une très longue biographie de Lana Turner dont la vie est un vrai roman, mais aussi un autre documentaire sur la carrière de John Garfield, issu des bas fonds newyorkais, qui fut un des vrais martyres de la Chasse aux sorcières. Mais derrière l'homme de progrès qu'il était, le documentaire insiste sur l'aspect révolutionnaire de son jeu. Peut-être que les deux choses sont finalement liées comme une même quête de la vérité. 

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    Les amants maudits ont de la ressource 

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    La réconciliation de Frank et de Cora va coûter la vie à cette dernière

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    Cora est morte avec son bébé 

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    Frank sera exécuté pour le crime qu'il n'a pas commis 

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    Tay Garnett, John Garfield et Lana Turner sur le tournage

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    Le samouraï est le film le plus emblématique de la carrière de Jean-Pierre Melville, celui qui l’a sans doute fait accéder au statut de réalisateur international. Le film eu un succès mondial, et tout particulièrement en Asie. S’il possède un côté très français, il en possède aussi dans son épure, un caractère universel. Le petit livre de Xavier Canonne essaie d’en déméler les ressorts.

    Un des aspects les plus intéressants de cet ouvrage est de mettre l’accent sur les emprunts que Melville fait au cinéma américain de la grande époque. Ils sont tellement nombreux qu’il en oublie quelques uns. Mais l’important n’est pas d’être exhaustif en la matière. L’abondance de ces emprunts apparaît comme procédant de la technique du détournement. Et c’est ça qui fait que Melville est bien un auteur à part entière et non pas un simple plagiaire.

    Le livre recèle d’autres intérêts. D’abord celui de mettre en lumière le rôle des femmes dans la cinématographie melvillienne, il n’est pas aussi rtestreint qu’on ne le croit. Dans Le samouraï, Jeff Costello est pris entre deux femmes, la pianiste du cabaret au rôle très ambigu, mais en même temps fascinée par le tueur et Jane, la call-girl au grand cœur qui sera toujours là pour lui. Melville disait à la sortie du film qu’il était très heureux d’avoir engagé Nathalie Delon dans le rôle de Jane parce qu’elle ressemblait justement à Alain Delon, ce qui en faisait à la fois une sorte de mère été une sœur.

    Les films de Melville sont toujours des films sur les moyens de locomotion. Canonne insiste ici sur l’importance de la DS, la voiture de luxe de l’époque que Jeff Costello vole avec aisance. Ailleurs ce sera les grosses voitures américaines, allant jusqu’à l’absurde à faire conduire une voiture américaine par Delon, dans Un flic, comme s’il s’agissait d’une voiture de la police française.

     

    Il aurait pu aussi parler de cette fascination pour les gares et les trains qu’on retrouve dans pratiquement tous les films de Melville et qui sont une image de la solitude et du désespoir.

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