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    S’il y a un rôle dans lequel John Garfield excelle, c’est bien celui du looser. C’est le troisième film qu’il tourne avec Negulesco, après le succès de The breaking point, déjà d’après Hemingway, mais c’est aussi l’avant dernier. On pourrait même dire que ce film annonce sa défaite. Tourné en pleine tourmente de la Chasse aux sorcières, c’est le portrait d’un homme broyé par le système et qui a tout raté et qui est condamné.

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    Le fils de Dan est aussi son gardien et sa conscience

    C’est l’histoire d’un jockey, habitué des courses truquées, qui se met presque volontairement dans les ennuis en volant presqu’ouvertement ses commanditaires qui l’ont payé pour truquer une course. Pour cette raison, il est pourchassé et doit s’enfuir d’Italie. Déjà persona non grata aux Etats-Unis, il va tenter sa chance à Paris avec son jeune fils qu’il trimballe un peu de partout avec lui au fil de ses errances.

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    Les gangsters demandent des comptes à Dan

    Là il rencontre une femme, Paule, propriétaire d’un bar et d’un cabaret, chanteuse à ses heures, qui, après l’avoir rejeté va le prendre en pitié et finalement l’aimer. Il se remet à courir et à entraîner un cheval prometteur avec l’espoir de devenir enfin quelqu’un de bien.

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    Dan et son fils arrivent enfin à Paris

    Tout serait presque simple si les gangsters qui ont de la suite dans les idées ne continuaient pas à le poursuivre afin de se rembourser de leurs pertes. Ils vont lui demander de truquer à nouveau une course, ce à quoi il se refusera, et il terminera tragiquement sa vie, mais en gardant une certaine estime de soi.

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           Un cabaret Rive Gauche typique de la vision américaine de Saint-Germain des Prés à croire que les jeunes Français sont tous barbus

    C’est le plus mauvais ou le moins bon des trois films réalisés par le tandem Negulesco-Garfield, mais cela n’est pas dû à Garfield, ni même au scénario, plutôt à la mollesse habituelle de la mise en scène de Négulesco qui n’a jamais eu le sens du rythme, ce qui prive le film de ses ressorts dramatiques. En même temps c’est du Hemingway, donc cette obsession du suicide dans la dignité. La défaite est certaine, mais faisons en sorte qu’elle soit honorable.

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    Dan a noyé son chagrin dans l’alcool et devient la proie d’une entraîneuse

    La trame fait penser à Body and soul, sauf qu’ici il s’agit de courses de chevaux et non de matches de boxe, et que finalement dans le film de Rossen Garfield ouvrait une voie optimiste et combative.

    Le film a bien vieilli et les transparences sont assez mauvaises et donnent un côté burlesque aux courses de chevaux. De surcroit, on aperçoit la doublure de John Garfield plus souvent qu’à son tour. Toutes les scènes d’extérieur censées se passer en Italie sont tournées sans John Garfield : et ça se voit. De même la vision conventionnelle de Saint-Germain des Prés avec ses cabarets enfumés, ses étudiants barbus et son jazz, ne peut être que celle d’un Américain n’ayant guère mis les pieds à Paris.

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     Malgré ses réticences Paule va aimer Dan

     On pourrait encore continuer à relever tous les défauts de ce film un rien larmoyant. Mais il est plus intéressant d’en relever les qualités. Si le film est encore visible aujourd’hui, c’est d’abord grâce à l’interprétation magnifique de John Garfield. Le rôle lui va comme un gant et lui permet d’hésiter entre colère et désespoir, entre courage et lâcheté. Certains pensent même que c’est là son meilleur rôle. C’est presque la seule raison, mais la raison importante, de revoir ce film aujourd’hui. Micheline Presle, qui ici est identifiée comme étant Micheline Prelle, est plutôt bien, elle chante même un peu. Orley Lindgren est très bien dans le rôle de Joe Butler, c’était à l’époque un habitué des rôles d’enfant, il avait incarné Rick Martin Jeune dans le film de Michael Curtiz, Young man with the horn qui fut tourné aussi en 1950. On peut aussi ajouter une mention spéciale à Luther Adler pour son interprétation de Bork, le chef des truands qui veulent la peau de Dan.

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          Dan meurt en ayant retrouvé l’estime de soi

    Comme on le comprend il n’y a hélas pas grand-chose à retenir sur le plan cinématographique de ce film, quelques bagarres, des scènes de romance entre Garfield et Micheline Presle. Et c’est bien tout.

    Un remake calamiteux de ce film a été tourné par John Erman, en 1979 avec Warren Oates dans le rôle de Dan Butler, ce produit, The old man, était destiné à la télévision, ce qui n’excuse rien.

     

     

     

     

     

     

     

     

     

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    Ce film est fait pour ceux qui douteraient que Roger Corman est un bon cinéaste. Petit film fauché, passé quasiment inaperçu à sa sortie, c’est un excellent film noir. Le sujet est assez simple. Dans une petite ville du sud des Etats-Unis, au moment où le Congrès vote des lois sur la fin de la ségrégation, un agitateur d’extrême droite va venir semer le trouble et tenter de générer une violence qui finira par démontrer que les lois nouvelles sont mauvaises puisqu’elles sèment le désordre et la violence. Il s’agit d’empêcher que les écoliers blancs et noirs soient mélangés dans une même école. Cramer est un opportuniste séduisant, un provocateur professionnel qui a choisi le combat raciste. On ne sait pas vraiment quelles sont ses convictions profondes. Son mode d’être est la manipulation. Comme il manipule les foules, il manipule une jeune adolescente qu’il séduit, ou encore la femme de son voisin. Les tensions deviennent de plus en plus fortes, le journaliste qui se découvre une conscience sociale est battu, il perd un œil, le pasteur noir est assassiné dans l’attentat contre son église. Mais comme cela ne semble pas suffirre, Cramer va inciter Ella à faire croire qu’un jeune noir a tenté de la violer. Mais tout cela finira relativement bien, sauf pour Cramer qui devra quitter la ville.

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    Adam Cramer est un beau parleur séduisant

    C’est évidemment un film de combat. Un film de gauche si on veut. Les oppositions sont assez tranchées entre les ploucs du Sud qui ne demandent qu’à être manipulés par un beau parleur arrogant et sûr de lui, et les plus instruits – le journaliste, ou le directeur du collège – qui représentent la conscience et le savoir. Mais si ce n’était que cela le film ne serait que moyennement intéressant. Or il y a bien autre chose. D’abord le portrait d’un homme, Cramer, plutôt séduisant, propre sur lui, qui tient de l’agitateur politique et du prêcheur. On trouve très souvent dans les films américains ces portraits de faux-jetons, qui visent à emporter les foules grâce à leurs capacités oratoires, Elmer Gantry de Richard Brooks, Wise blood de John Huston, avec chaque fois des interrogations sur les raisons de ce type de conduite. Ici c’est le simple Sam Griffin qui va révéler la lâcheté et la bassesse de Cramer.

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    Il sait flatter la foule et l’amener vers la violence

    L’histoire est adaptée d’un ouvrage de Charles Beaumont qui fut un gros succès de librairie. L’auteur, plutôt spécialisé dans les récits de science fiction, il est le créateur de la série télévisée The twillight zone, joue du reste un petit rôle dans le film de Corman, il est le directeur du collège qui prend fait et cause pour les nouvelles anti-ségrégation.

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    Les premières éditions américaine et anglaise de l’ouvrage de Charles Beaumont

    Le film possède de nombreuses qualités. D’abord cette manière de rendre compte de la passivité mais aussi de l’agressivité latente de la foule. C’est très bien réalisé, avec des contre-plongées mettant en lumière la puissance de persuasion de Cramer, ou de longs travellings parfaitement enchaînés lorsque les jeunes noirs parcourent la ville pour se rendre au collège et croisent nécessairement les jeunes blancs comme dans une sorte de ballet bien réglé.

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    Les vieilles ficelles du KKK sont utilisées pour térroriser les nègres

    Le rythme est enlevé, et si la fin optimiste du film est un peu téléphonée, cette faiblesse est largement compensée par la vérité quasi-documentaire de la description des lieux et des mentalités qui prévalaient à cette époque dans le Sud. Il est à noter que le scénario évite la complaisance d’une violence spectaculaire. Le sujet se prêtait assez bien à mettre en scène la violence de la foule bornée, mais cela est évité, le réalisateur préférant mettre l’accent sur les relations de passivité de cette foule vis-à-vis de son leader qui pourrait la mener n’importe où.

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    La jeune Ella est troublée par les violences infligées à son père

    Les acteurs sont tous très bons. A commencer par William Shatner qui deviendra ensuite célèbre dans la série Star Trek. Il représente très bien ce mélange de lâcheté et de séduction inquiétant. Il avait une nervosité, une mobilité faciale qu’il perdra ensuite. Mais tous les acteurs sont très bons, même si ce sont des acteurs de seconde zone, c’est-à-dire des seconds rôles sans trop de glamour. Cela va très bien avec le fait qu’il s’agit de personnes ordinaires. Robert Emhardt trimballe sa lourde silouhette pour jouer le rôle d’un potentat local. On donnera une mention spéciale à Leo Gordon qu’on reverra ensuite dans L’arme à gauche de Claude Sautet.

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    Joey est accusé d’avoir tenté de violer Ella

    Quelques scènes restent marquantes, comme cette confrontation entre Sam Griffin et Adam Cramer, le premier hésitant manifestement à tuer le second, puis choisissant de lui démontrer combien sa lâcheté lui enlève toute valeur. Egalement cette foule qui s’apprête à lyncher le nègre Joey, sous le regard rigolard des petits enfants qui s’amusent de la rudesse avec laquelle Shipman le dresse. Ce qui est sans doute le mieux rendu est l’incompréhension des gens du sud, la propre famille de McDaniel, dans le bouleversement qu’amènent les nouvelles lois.

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    Shipman se pose en dresseur de nègres

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          Sam Griffin va faire capoter le plan machiavélique de Cramer

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    André Cayatte s’est construit une solide réputation de réalisateur avec des films noirs, des films à thèse qui sont presque toujours des plaidoiries simples et efficaces. Ce n’est pas sans raisons qu’il a été d’abord avocat. Après avoir abandonné la robe, il se tourna vers le journalisme, l’écriture de romans et enfin vers la réalisation. A la Libération il eut cependant quelques soucis, car il avait travaillé pour la Continental, mais bien entendu, cela ne signifiait en rien qu’il ait collaboré. En tous les cas c’est Nous sommes tous des assassins qui va connaître un gros succès public qui installe Cayatte comme un des grands réalisateurs de l’immédiat après-guerre. Ce fut aussi une des têtes de turcs de la Nouvelle Vague et à ce titre, la critique le dévalorisa largement. Mais il fait partie des très bons réalisateurs de l’après-guerre et son œuvre mérite d’être redécouverte.

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    René est un gars de la Zone

    C’est l’histoire de René Leguen, enfant de la Zone, qui vit de bric et de broc, dans la misère noire. Tombé dans la Résistance par hasard, il va devenir un tueur qui exécute les basses œuvres de son réseau. C’est à ce titre qu’il sera compromis dans le meurtre d’un imprimeur, meurtre ordonné part son supérieur. Mais ayant pris l’habitude de tuer, il ne saura plus distinguer le bien du mal et continuera après la Libération. Il finira par tuer un flic et un garçon de bains, ce qui va l’amener à être jugé et comdamné à mort. La deuxième partie du film va être consacré à l’attente de l’exécution. C’est l’occasion à la fois de faire le portrait de condamnés divers et variés et de leurs réaction face à l’échéance fatale, mais c’est aussi celle de montrer que tous ces condamnés ont en commun la fatalité de leur destiné : ils ne sont pas individuellement responsables, même s’ils sont coupables.

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    René est attiré par Rachel qui le repousse rudement

    C’est donc à la fois le procès de la justice et de l’hypocrisie de la bourgeoisie qui protège un ordre social fondé sur la misère : les plus défavorisés n’ont aucun moyen de se défendre. Le crime est présenté comme un sous-produit d’une société injustice et peu généreuse. Au-delà d’un réquisitoire contre la peine de mort c’est celui d’une société profondément inégalitaire qui est présenté : le crime est une maladie, mais une maladie sociale et non pas individuelle. Certes la charge est parfois un peu lourde, comme lorsque le médecin présente son point de vue selon lequel la médecine est finalement plus compétente pour résoudre la criminalité, mais c’est néanmoins très efficace. Le médecin, comme l’avocat, est présenté comme la conscience morale de la société, le procureur, la police, les gardiens, comme des êtres assez bornés qui ne comprennent pas les racines du mal.

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    Les condamnés à mort guettent les moindres bruits 

    C’est filmé dans un style réaliste, avec une prédilection pour les décors qui donnent au film sa dimension de plaidoyer contre la misère. Mais l’interprétation est aussi très bonne. Il faut dire que le choix des acteurs est excellent. Mouloudji, bien sûr, mais aussi Raymond Pellegrin en Corse indigné et vengeur, Paul Frankeur dans le rôle d’un gardien de prison, Louis Seigner en aumonier dépassé par les événements, un rôle qui va bien avec sa haute silhouette replète. On reconnait aussi Roland Lesaffre qui coupe les cheveux et encore Georges Poujouly qui tournait en même temps Les jeux interdits de René Clément et Nous sommes tous des assassins, ce qui entraîna des tensions entre les deux réalisateurs car Cayatte avait massacré – pour les besoins de son film – la coupe de cheveux du jeune acteur. Dans les deux cas Georges Poujouly s’appelait Michel. C’est également un des tous premiers rôles de Roger Hanin.

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    En prison René apprend à lire

    Malgré les années, ce film se voit encore très bien et si la peine de mort n’est plus aujourd’hui un problème, il est facile de voir que la justice d’aujourd’hui n’est pas toujours très juste et s’exerce encore à la tête du client.

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    Les aumoniers des prisons ont aussi des états d’âme

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    L’avocat essaie de gagner du temps, mais il se heurte à l’hypocrisie des bourgeois

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    Les gardiens viennent arracher le condamné à la vie

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    Le père qui a tué sa fille ne veut pas mourir

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    Michel représente une sorte d’espoir

    Jean Meckert a tiré un roman de ce scénario. Cayatte et Spaak l’ont cautionné en le préfaçant. Cependant, c’est au final un ouvrage assez différent du film. Les raisons sont nombreuses : tout d’abord il me semble que le roman de Meckert se perd moins en considérations annexes. En se centrant sur le personnage de LeGuen, le récit devient plus cohérent. Le film en effet passait la première partie à décrire les tribulations de Leguen, et la seconde à décrire les diverses réactions des condamnés à mort face à leur destin.

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    La seconde différence est dans le ton : Meckert est finalement plus pessimiste que Cayatte et Spaak. C’est ainsi qu’il ne les suit pas quand ceux-ci montrent qu’au fond les bourgeois peuvent aussi être éduqués et devenir bons : pour lui ils sont inamendables, et ce d'autant plus qu'ils sont cultivés et maîtris le language. Egalement il insistera sur la vie de Michel chez les paysans, agravant la critique que Cayatte et Spaak avaient adressée à ces familles qui recueillent des petits orphelins ou des enfants placés pour avoir de la main d’œuvre quasiment gratuite à disposition.

    Il faut noter que Meckert a aussi bouleversé la chronologie, sans qu’on soit sûr que le propos y gagne vraiment. Mais enfin, une chornologie non-linéaire donne un genre moderne.

    Mais tout cela ne ferait pas un livre de Meckert, s’il n’y avait cette écriture particulière, usant d’un argot assez proche du vécu. Il présente la société comme une entité rétrograde et mortifère, usant de toutes les armes qu’elle peut se trouver, au besoin de celles qu’elle fabrique pour la circonstance pour se débarrasser de problèmes qu’elle ne veut pas regarder en face. Il s’est au passage contenté d’effleurer le problème de Gino que le film traite plus complètement puisqu’on assiste au meurtre du donneur. Si Meckert l’élimine c’est aussi parce qu’il ne peut lui trouver de résonnance avec les méfaits d’une société profondèment inégalitaire. De même, Cayatte et Spaak dressait un portrait finalement assez équilibré des aumoniers de prison, Meckert lui enfonce le clou de l’anticléricalisme, laissant au curé la responsabilité d’un discours sur la nécessité pour la société de se venger.

    On note aussi que les grandes scènes d’émotion ne sont pas du tout les mêmes. Dans le film c’est l’idée que peut-être la rédemption du petit Michel aura lieu, dans le livre, ce sont plutôt les regrets de René par rapport à sa sœur prostituée.

     

    Au final il est bien difficile de dire laquelle des deux œuvres est la plus forte, mais il est certain que Meckert a su faire du Meckert, et du bon Meckert, à partir d’un matériel qui lui aété donné comme une commande. Mais ce n’est pas la seule fois où Meckert adaptera du Cayatte-Spaak sous forme de recréation littéraire puisqu’en 1954, il jouera le même jeu avec Justice est faite, un autre plaidoyer sur les aléas de la justice.

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    Il faut tout d’abord noter que le livre d’Anderson est découpé suivant une approche cinématographique. Ce qui est remarquable pour l’époque. Il n’y a qu’à suivre le roman, tout y est ! La renommée du livre, salué, comme le rappelle la couverture de la réédition chez La manufacture de livres, par Raymond Chandler, attira naturellement plusieurs réalisateurs de grand renom. D’abord en 1948 Nicholas Ray qui tourna They Live by night, et ensuite en 1974, Robert Altman qui mise en scène Thieves like us. Mais les deux versions sont très inférieures au livre en lui-même.

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    Bowie, T-Dub et Chicamaw ont braqué un fermier pour s’évader

     

    Evidemment la période n’est pas la même. 1948, c’est le tournant, la fin du film noir, la fin de la possibilité critique du cinéma hollywoodien. 1974, c’est encore l’époque d’une remise en cause de la logique du capitalisme un peu partout dans le monde. Il s’ensuit que le film de Nicholas Ray va tourner un peu plus facilement à la ballade romantique, occultant la remise en question des fondements de l’ordre social qu’on trouve chez Anderson. Bien que le film suive à peu près le canevas de l’ouvrage d’Anderson, il le trahit gravement dans son esprit. Par exemple, Keechie fait des scènes perpétuelles à Bowie pour qu’il revienne dans le droit chemin, comme si d’être un braqueur de banque était un accident. Or dans l’ouvrage bien sûr elle est solidaire de Bowie jusqu’au bout. Je passe aussi sur le fait que les relations d’amitiés entre Bowie, Chicamaw et T.Dub, sont minimisées. Dans le livre Bowie au contraire leur donne de l’argent, aide T-Dub à s’évader. Mais le film tourne à la niaiserie quand Bowie rêve d’avoir un fils ou quand il écrit une lettre d’adieu à Keechie. Il y a même une scène douteuse où on voit la police expliquer à Mattie que finalement c’est très bien de dénoncer les fuyards car ainsi ils ne détruiront plus de vie humaine. La scène de mariage est aussi grotesque, elle ne correspond en rien à la Keechie rebelle décrite par Anderson. S’il lui importe d’être jusqu’au bout avec Bowie, elle n’a que faire d’un papier certifiant qu’elle est bien sa femme. Ceci dit, ce n’est pas la première fois que Nicholas Ray se trimballe une telle idéologie, c’est son droit bien sûr, mais c’est le nôtre de dénoncer la trahison d’Anderson et sa morale anarchiste. Il avait déjà développé ces tendances douteuses dans Party girl, glorification de la délation en pleine chasse aux sorcières à Hollywood.

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    Dès qu’ils se voient Keechie et Bowie ont le coup de foudre

     

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    Keechie soigne le dos blessé de Bowie

     

    L’interprétation pose aussi problème. Farley Granger dans le rôle de Bowie à l’air d’un pauvre étudiant égaré dans le monde du crime, et Cathy O’Donnell est un brin trop chichiteuse. Or, Bowie est un vrai dur et Keechie ne s’en laisse pas compter. Ceux qui relèvent un peu le niveau c’est Howard Da Silva, le blacklisté, dans le rôle de Chicamaw et Jay Flippen dans celui de T-Dub. Il faut dire que ce sont des vieux routiers du film noir.

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    Keechie est heureuse de partir sur les routes avec Bowie

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    Bowie finira même par se lasser de Chicamaw

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    C’est pourtant le film de Robert Altman, qui avait un succès considérable et justifié dans les années soixante-dix, qui nous parait plus proche du livre d’Edward Anderson, plus peut-être dans l’esprit d’ailleurs que dans la lettre. Il faut dire qu’à cette époque l’Amérique redécouvre un peu de son passé et revient vers des thèmes à la fois plus durs et plus sociaux en quelque sorte. Quelques années plus tôt, Bonnie and Clyde, le film d’Arthur Penn a été un succès mondial. Butch Cassidy et le Kid, également. On redécouvre les bandits comme des héros qui contestent l’ordre social et qui dépouille les banquiers dans la bonne humeur. Mais le film d’Altman ne ressemble en rien à la guimauve légère et glamour d’Arthur Penn. C’est un film plus grave et plus sombre. C’est quand on compare les deux versions filmées de Thieves like us, qu’on s’aperçoit à quel point Nicholas Ray est un réalisateur très surestimé et Robert Altman, à l’inverse, très sous-estimé. Du reste le premier terminera sa carrière en tournant la vie de Jésus !

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    L’évasion de Bowie, Chicamaw et T.Dub

     

    Le premier coup de génie d’Altman est d’avoir choisi des acteurs au physique très étrange pour incarner Bowie – Keith Carradine – et Keechie – Shelley Duvall. C’est évidemment cette absence de glamour qui va donner une forme de sincérité naturelle à l’histoire d’amour entre deux être complètement perdus. C’était d’ailleurs le couple fétiche d’Altman, mais c’est sans doute ici qu’ils trouveront leur meilleur rôle.

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    Au cours de son évasion, Bowie est accompagné d’un chien perdu

     

    Mais évidemment cela ne serait pas suffisant. Il y a aussi cette grande dignité qu’Altman donne aux voleurs, même si à la fin cela dérape avec la fâcherie entre Bowie et Chicamaw, et la trahison de Mattie. La référence également permanente au New Deal et à la crise par l’intermédiaire de la radio donne le ton d’une époque. C’est d’ailleurs étonnant car le mouvement de revendication américain des années soixante-dix, celui qui allait aussi avec la critique de l’intervention armée au Vietnam, s’inscrit directement dans une perspective historique en reconnaissant le New Deal de Roosevelt comme une première étape dans le processus naturel de reconquête de la dignité des travailleurs.

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    Keechie fume un peu trop

     

    Je passe également sur la photo qui est excellente, et sur les longs travellings qui donne de la profondeur de champ à l’ensemble et l’inscrit dans le décor particulier de ce Mississipi profond, rural et arriéré, mais en même temps en proie aux démons des débuts de la société de consommation. Evidemment les décors sont très biens et Altman ne manque pas, d’une façon discrète d’ailleurs de montrer la place négligeable des noirs dans les Etats du Sud comme un élément du scénario. Moins fidèle à la lettre de l’ouvrage que celui deRay, le film d’Altman est situé dans l’Etat du Mississipi, et non pas au Texas comme initialement.

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    L’attaque de la banque est bien préparée

     

    Reste la question lancinante du scénario. Il semble qu’il s’agisse finalement plus d’une adaptation du film de Nicholas Ray que du livre d’Anderson. En effet, dans celui-ci Keechie et bien plus dure que dans les deux films : elle assume jusqu’au bout les choix de Bowie, et d’ailleurs elle mourra avec lui, presque sans remords. Il est un peu dommage qu’Altman ait également rajouté une fin où on voit une Keechie fort peu lucide qui remet finalement en question les choix de Bowie et le traite de menteur devant une inconnue. Il est également dommage que le film perde en cours de route la signification profonde de son titre : les gens soi-disant honnêtes sont des voleurs comme nous ! Par exemple, il aurait été très judicieux de reprendre le rôle de l’avocat Hawkins qui à la fois aide Bowie pour faire évader Chicamaw et en même donne tout le sens à l’action des voleurs dans une société globalement criminelle car fondée sur les rapports d’argent.

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    T-Dub adore braquer les banques

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    Keechie ne supporte pas la mort de Bowie

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    Robert Altman sur le tournage de Thieves like us

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    Le livre d’Edward Anderson est en quelque sorte devenu un classique de la littérature noire. Paru en 1937, il a toujours été réédité, aussi bien aux Etats-Unis qu’en France. Certes sa notoriété n’est pas aussi grande qu’elle le devrait, mais il a trouvé son chemin et son public au fil des années, et sa lecture reste toujours très prenante. Il s’agit d’un trio de voleurs, Bowie, Chicamaw et T.Dub. Evadés de prison où ils purgent de longues peines pour meurtre et braquages, ils fuient et sur la route ils vont commettre de nouveaux cambriolages de banques. Dans cette course éperdue, Bowie va tomber amoureux d’une fille simple Keechie, elle aussi peu gâtée par la vie, qui sa le suivre jusqu’au bout de sa course tragique. Il va y avoir de nombreux rebondissements, des retours en prison, de nouvelles évasions, le tout conjugué à une violence féroce Féroce, mais pas gratuite. En effet, le titre renvoie au fait que des personnes respectables, celles qui mettent les autres en prison finalement ne valent pas mieux que les braqueurs de banque, sauf que leur malice, leur instruction, leurs relations sociales leur permettent de garder le nez propre et de ne pas aller en prison. L’avocat marron, sans illusion, fait du reste un cours à Bowie sur ce thème, s’incluant lui aussi parmi ces gens qui ne risquent rien mais qui finalement ont une moralité douteuse. On y trouve un passage sur un banquier qui justement a ruiné toute une petite ville, mais qui au final s’est retrouvé encore plus riche et n’a pas été condamné. Cette allusion nous fait penser à notre situation présente où, il faut bien le dire, les banquiers ont une réputation particulièrement vérolée. Il faut dire que nous sommes dans les années trente, et la crise est loin d’être terminée, le peuple américain se souvient encore du scandale des banquiers qui ont, comme aujourd’hui, ruiné le pays, sans trop de dégâts pour eux. Comme on le voit l’ouvrage recèle un message politique fort : c’est une critique du capitalisme sauvage, sans concession. Mais ce n’est pas pour autant un livre politique parce que les personnages ont une existence propre. Bowie, Keechie, même Chicamaw qui semble avoir des origines indiennes, sont des martyrisés de la vie. Mais curieusement, même dans leur révolte, ils cherchent à conserver une morale personnelle. Bowie aime Keechie, il ne lui veut que du bien, et en même temps il pense toujours à aider ses amis dans le besoin. Ayant réussi un gros coup, il n’hésite pas à distribuer une partie de son butin avec une grande générosité.

    Bien sûr les intentions et l’histoire ne seraient rien sans le style remarquable du roman. C’est sec comme un coup de trique, on ne perd pas de temps en vaines digressions psychologique, mais en même temps, en peu de mots, Anderson laisse passer de grands moments de tendresse et d’abandon. Egalement la rencontre entre Bowie et Hawkins l’avocat marron, communiste, mais désabusé, est tout à fait glaçante et édifiante :

    « - Les riches, dit Hawkins, ne peuvent pas se balader dans des grosses bagnoles, exhiber des épouses endiamantées, et s’attendre à ce que l’homme ordinaire se contente de les regarder admirativement. C’est ce que font les moutons, oui, et ils vont jusqu’à chanter les louanges des riches, mais ces mêmes moutons ressentent quelque chose qu’ils ne comprennent pas et qu’ils expriment par ce qu’on appelle dans la presse la glorification des grands criminels. »

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    Les éditions de 1985 et de 1995 en France

    L’ouvrage a connu en français trois éditions, mais le titre choisi par La manufacture de livres me semble le plus juste. La couverture, si elle ne ressemble pas aux personnages, est pourtant tout à fait le reflet de cette période de misère que traversèrent alors les Etats-Unis. Les personnages sont ancrés dans un décor rural, encore sauvage.

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