•  Thelma & Louise, Ridley Scott, 1991

    Ridley Scott n’est pas un réalisateur que j’apprécie particulièrement, je trouve qu’il manque, malgré son application évidente, de style. Mais dans son œuvre très diverse, il y a quelques films très intéressants. J’en compte au moins deux qui sont d’ailleurs devenus des films culte comme on dit bêtement : Blade runner et Thelma & Louise. Ces deux réalisations entretiennent d’ailleurs des rapports très étroits avec le film noir. Le premier revisite d’une manière étrange le film de détective dans un univers futuriste sombre, peuplé d’androïdes, et le second reprend le vieux thème des amants traqués qui a donné de très beaux films, comme High Sierra de Raoul Walsh ou Tomorrow is another day de Felix Feist[1]. Certes Thelma et Louise ne sont pas lesbiennes, quoi qu’on en ait dit. Mais le principe est le même comme on va le voir, à défaut d’une relation sexuelle, elles sont liées par une très forte amitié, et cette amitié les fait renoncer à toutes les règles de la vie normale. 

    Thelma & Louise, Ridley Scott, 1991 

    Thelma et Louise partent en vacances 

    Louise est serveuse dans une sorte de snack et s’ennuie dans son travail. Thelma elle s’ennuie avec son mari, une sorte de bougon pas très drôle dont le seul centre d’intérêt est son travail. Première transgression Thelma et Louise ont décidé de partir pour un week-end à la montagne, sans rien dire, ni ne demander à personne. Elles sont très heureuses de ces mini-vacances et de se retrouver ensemble loin des ennuis de la vie quotidienne. Mais la fatalité s’en mêle, alors qu’elles ont fait halte dans un bar rock’n roll où on boit, on dans et on drague, Thelma est victime d’une tentative de viol de la part d’un rustre qui la frappe. Mais Louise veille et descend le violeur. Cela va être le début d’une longue errance. La police est sur le coup, Hal le policier chargé de l’enquête doit les arrêter. Mais Thelma et Louise ne veulent pas se rendre à la police, elles ont peur de passer de longues années en prison. Elles décident donc de passer au Mexique. Le chemin est long, et pour cela il leur faut de l’argent. Louise appelle Jimmy, son petit ami. Celui-ci doit lui envoyer de l’argent à Oklahoma City. En fait il va venir de lui-même en avion, non seulement pour apporter l’argent, mais pour offrir une bague à Louise qu’il demande en mariage. Mais celle-ci refuse et ne dit pas pourquoi, bien qu’elle assure l’aimer. Après avoir confié l’argent à Thelma, elle passe la nuit avec Jimmy. Pendant ce temps, Thelma se laisse séduire par un petit escroc de bas étage. Le lendemain matin, J.D. a disparu et a embarqué l’argent de Louise. Les deux filles sont désespérées. Alors Thelma, pour se racheter, va commettre un hold-up. Pendant ce temps Hal va ramasser J.D. et le faire parler car il a compris par Jimmy qu’il a volé l’argent de Louise et que donc il est responsable indirectement du hold-up de Thelma. C’est J.D., une vraie balance, qui va d’ailleurs apprendre à la police que Thelma et Louise veulent rejoindre le Mexique. Les filles sont maintenant poursuivies pour meurtre et pour attaque à main armée. Elles n’ont plus le choix, elles doivent foncer droit devant pour tenter de rejoindre la Mexique. C’est une course sans espoir. Sur la route, elles vont encore mettre dans le coffre un flic qui les a arrêtées, et régler son compte à un chauffeur routier un peu trop entreprenant. Elles sont finalement repérées par la police. Traquées par des forces de l’ordre en grand nombre, il ne leur reste plus que le choix de sauter dans le vide, avec en arrière-plan le magnifique site du Grand Canyon. 

    Thelma & Louise, Ridley Scott, 1991 

    Louise sauve Thelma qui était en train de se faire violer

    Ce n’est pas tout à fait un road movie, c’est une fuite vers la liberté nécessitée par des circonstances dramatiques, ici la liberté est représentée par le Mexique, comme dans les vieux films noirs des années 40-50. En allant vers le Sud, c’est en réalité la civilisation américaine que les deux filles fuient. Au fur et à mesure qu’elles s’éloignent de l’Arkansas, elles découvrent en elles-mêmes la volonté de faire des choses hors du commun, et donc se laissent aller à leurs instincts. Mais elles prennent conscience aussi de leur propre attachement l’une à l’autre. Les interdits vont sauter les uns après les autres, elles vont tuer, voler, faire exploser un camion-citerne, Thelma va s’envoyer en l’air, elle qui n’a connu jusque-là qu’un seul homme dans sa vie, et tout ça dans l’ivresse du moment qui est en réalité bien plus qu’une vengeance ou un règlement de comptes. C’est tout simplement un changement de mode de vie. Tous les segments de l’American way of life sont remis en question, la famille, les enfants, le travail, et même la justice et l’ordre social. Quand elles rencontrent un bandit, en la personne de J.D., c’est un bonhomme aussi abominable que les autres, peut-être même pire puisqu’il se donne l’apparence du rebelle alors qu’il n’est qu’un triste salaud. Vivre l’instant et ne rien regretter devient leur devise.

     Thelma & Louise, Ridley Scott, 1991 

    Jimmy est venu demander Louise en mariage 

    On a dénoncé le caractère misandre du film. S’il est vrai qu’il s’intéresse d’abord à l’oppression des femmes, il ne trace pas que des portraits négatifs des hommes. Jimmy est un homme attentif et bienveillant qui laisse toute sa liberté à Louise et qui la soutient sans ostentation dans l’adversité. De même Hal, le flic, comprend très bien les difficultés de Thelma et Louise et tente de les aider du mieux qu’il le peut. Le plus intéressant est bien sûr la transformation du caractère de Thelma qui change ses critères de réflexion dans le cours des événements, en découvrant des aspects de la vie qu’elle ne connaissait pas. Néanmoins, cette quête de la liberté, ces transgressions répétées ne peuvent pas être tolérées par la société. L’individu dans ce qu’il a de plus cher sera détruit. Le fait que l’action de se film se situe dans des paysages naturels un peu désertiques renforce cette critique de la société dominée par la technique et les objets les plus inutiles ou les plus nocifs comme les camions et les automobiles. Louise troquera d’ailleurs ses bijoux contre le vieux chapeau d’un vieux bonhomme comme un renoncement aux fastes de la société consommatrice. 

    Thelma & Louise, Ridley Scott, 1991 

    Le petit escroc J.D. séduit Thelma 

    Sur le plan de la réalisation, on a une esthétique assez conventionnelle, une photographie bien léchée qui donne de la grandeur à la nature, avec l’usage de l’écran large, 2.35 : 1. Mais il y a tout de même un contraste affirmé entre cette Amérique de la consommation et des pans entiers de l’Amérique qui échappent à cette logique : on croisera sur la route de Thelma et Louise, non seulement des pauvres rejetés à la périphérie de la société, mais aussi des populations abêties dans des loisirs aussi vulgaires qu’imbéciles. Il y a des longueurs excessives. Par exemple ce cycliste noir qui escalade la route tout en fumant un joint et qui va trouver le policier dans le coffre de la voiture. Ça ne fait pas avancer l’histoire et ce n’est pas très drôle. On peut trouver également que la poursuite finale entre la Thunderbird de Thelma et Louis et les véhicules de la police est un peu trop longue. Mais l’ensemble se tient. C’est suffisamment nerveux pour retenir le spectateur. Il y a des petites coquetteries que Ridley Scott aurait pu s’épargner, comme l’image du conducteur de camion qui se reflète dans l’enjoliveur de la roue avant. C’est un brin chichiteux. 

    Thelma & Louise, Ridley Scott, 1991 

    Thelma enferme le flic qui les a arrêtées dans le coffre de sa voiture 

    En fait la réussite du film repose beaucoup sur l’abattage des deux actrices principales. Susan Sarandon est Louise, d’abord leader du couple, elle se laissera aller ensuite à donner plus d’initiative à Thelma. Elle a ce côté prolétaire et désabusé qui donne beaucoup de force à son rôle. Geena Davis qui incarne Thelma est sans doute plus étonnante. C’est une femme très grande qui sait parfaitement jouer aussi bien de son charme – même si elle n’est pas très belle – et donc jouer les ingénues, que de son énergie lorsqu’elle se libère. Au fil du film son visage devient plus dur, ses gestes plus affirmés et moins timides. Elle est excellente. Les autres acteurs comptent moins. Harvey Keitel est le flic humaniste avec justesse et sans trop de cabotinage. Il est aussi très bien. Mais son rôle est assez monolithique et un peu bref. Brad Pitt trouve ici un de ses premiers rôles importants. Il est J.D. Mais il cabotine, abusant de son sourire qui se voudrait désarmant et d’une nonchalance un peu trop travaillée. Comme il joue un escroc sans envergure, ça passe assez bien. On peut citer aussi Michael Madsen dans le rôle de Jimmy. Pour une fois qu’il joue un personnage sympathique, profitons-en. Dans le rôle du mari de Thelma, on peut trouver aussi Christopher McDonald trop caricatural.

     Thelma & Louise, Ridley Scott, 1991 

    Hal assiste impuissant à la fin des deux jeunes femmes 

    Qu’on ne se fasse pas d’illusion, c’est un très bon film, son succès à travers les années est mérité, mais il ne faudrait pas en faire un chef d’œuvre pour autant. Il y a bien trop de lacunes dans le scénario : par exemple le mari de Thelma est présent presque jusqu’à la fin du film, mais curieusement Jimmy, le compagnon de Louise est escamoté. Il disparait trop rapidement. On ne voit pas pourquoi si on nous fait par des réactions du ridicule mari de Thelma on oblitérerait celles de Jimmy. Parfois aussi le film hésite entre des genres assez différents : le film d’action et de poursuite automobile, ou le film noir avec ses héroïnes marquées par la fatalité. Si la critique en Europe a été plutôt ravie par ce film, outre-Atlantique cela n’a pas été le cas. La critique s’en est emparé bien après, quand il est devenu un film culte pour la jeunesse.

     Thelma & Louise, Ridley Scott, 1991

    Thelma & Louise, Ridley Scott, 1991 

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  • The Osterman weekend, Sam Peckinpah, 1984 

    C’est la deuxième fois que Peckinpah aborde le genre du film d’espionnage après The killer elite. Cette fois il s’agit d’adapter le roman à succès d’un auteur qui est en train de monter. Cet auteur va devenir de plus en plus célèbre, puisque c’est lui qui va créer le personnage de Jason Bourne. Il se tient sur cette crête du récit d’espionnage qui s’attache plutôt au fonctionnement glauque des agences d’Etat, qu’à décrire une réalité tangible et bien documentée. Ces récits sont le plus souvent guidés par une paranoïa non dissimulée, mais ça convient très bien à Peckinpah. Ce sera son dernier film. Au moment de réaliser ce projet, il est déjà très malade, conséquence des excès de boisson et de cocaïne sans doute. Mais il arrivera tout de même à boucler le projet, preuve qu’il était aussi un grand professionnel. Il a même trouvé le temps pour se disputer avec ses producteurs.  

    The Osterman weekend, Sam Peckinpah, 1984

    Dans des conditions obscures, Lawrence Fassett a découvert sa femme morte dans son lit. Un film atteste du fait qu’elle aurait été assassinée par des tueurs du KGB. Fou de douleur, il ne rêve que de se venger de Maxwell Danforth, le chef de la CIA, qu’il considère comme le véritable ordonnateur de ce meurtre. Comme il travaille lui-même pour la CIA, il va monter un plan en plusieurs étapes pour arriver à ses fins. Le premier point consiste à convaincre  d’abord Danforth lui-même qu’il existe un réseau Omega qui travaille pour les Russes, puis ensuite John Tanner, un présentateur très connu que ses amis sont en réalité des agents Russes et qu’il convient de les éliminer ou de les retourner. A l’aide de films et de documents, il arrive à les convaincre. Tanner doit inviter Osterman, un puissant producteur mais aussi un grand expert en arts martiaux, Richard Treymaine, un toubib un peu véreux, et Cardone qui viendront tous les deux avec leur femme. Fassett, avant que le week-end démarre investit les lieux et truffe la maison de caméras et de micros. Le week-end va se passer plutôt mal, notamment parce que les « amis » passent leur temps à régler les vieux comptes. Mais peu à peu les invités commencent à comprendre qu’ils ne sont pas là pour s’amuser. Devant l’étrangeté de la situation, Treymaine, Cardone et leurs femmes, vont prendre la fuite au bord d’un véhicule qui appartient à Tanner. La femme de Tanner et son fils prennent aussi la fuite. Tanner qui veut rencontrer Fassett pour avoir des explications est suivi par Osterman qui commence à comprendre que des choses louches se passent. Fassette fait sauter le véhicule où les fuyards se sont réfugiés. Tanner et Osterman se battent, mais c’est aussi l’occasion pour eux d’avoir une explication, et ils comprennent qu’ils ont été manipulés, que Omega n’existe pas et que les amis de Tanner n’ont jamais été des espions. Fassett a enlevé sa femme et son fils, il exige pour leur libération que Tanner invite Danforth dans son émission Face to Face, émission où il se propose de dénoncer le chef de la CIA. Entre temps Danforth et son adjoint ont compris que Fassett était un dangereux manipulateur qui avait tout inventé pour assouvir sa soif de vengeance. Ils lancent la chasse après lui. Fassett se moque bien de mourir, mais il poursuit le but de dénoncer. Il pense avoir toutes les cartes en main, mais c’est sans compter sur la malice de Tanner et Osterman. Ceux-ci vont en effet truquer l’émission qui ne se passera pas en direct, et s’ils piègent bien Danforth en le mettant devant ses contradictions, cela va laisser le temps à Tanner de retrouver Fassett et de l’abattre. Il récupérera ainsi sa femme et son fils.

     The Osterman weekend, Sam Peckinpah, 1984 

    Danforth se laisse convaincre par Fassett de détruire Omega 

    C’est un scénario particulièrement dense. Mais ce qui est le plus frappant, ce n’est pas l’intrigue elle-même et les retournements de situation. C’est plutôt l’ambiance. Il y a deux éléments dominants, d’abord une présentation acerbe des relations d’amitiés dans la bourgeoisie américaine. Le week-end tourne au grand déballage entre les amis. Les insultes et les coups sont au rendez-vous, et les femmes ne sont pas les dernières. La femme de Tanner est particulièrement teigneuse, et ne fait rien pour montrer combien elle déteste ces « amis » qui empiètent sur ses droits de contrôler « son » mari. Elle représente la volonté féminine de prendre le pouvoir et de le garder. Les deux autres femmes ne sont pas en reste et regardent d’un air très supérieur leurs compagnons.  Mais si les uns et les autres se détestent c’est parce qu’ils ne supportent pas les défauts qu’ils voient chez les autres mais qu’ils sont incapables de voir chez eux. Tanner déteste le c ôté escroc de Treymaine, Cardone hait littéralement le chien de Tanner. Mais tous détestent Tanner qui est un personnage public très populaire. C’est du Claude Sautet façon Vincent, François, Paul et les autres, en plus violent évidemment. L’autre point c’est l’affrontement quand Tanner et ses amis sont traqués comme des bêtes par les hommes de Fassett. Là on se croirait carrément dans The Most Dangerous Game. Même si Fassett ne suit l’évolution du jeu – d’ailleurs le terme sera employé à la fois par Fassett et par Tanner- que par écrans interposés, c’est une chasse sanglante qui doit se terminer par la mort du vaincu. Et donc il vient que même si le film est sensé se passer à une époque hypermoderne où le progrès technologique domine les êtres humains, les ressorts de l’action et des passions humaines restent les mêmes. Il y a un côté horrifique dans ce film qui se marie très bien avec la paranoïa du thème et du réalisateur.

    The Osterman weekend, Sam Peckinpah, 1984 

    Tanner va se laisser convaincre par Fassett et accepter d’œuvrer contre ses amis 

    Fassett et son équipe disposent de ce qui se fait de mieux en matière d’appareillage pour espionner, truquer manipuler les individus. On bascule dans le monde d’Orwell, le contrôle social est permanent et utilise l’image et le mensonge : qui contrôle les images contrôlera le monde. La fin sera très explicite puisque nous voyons que si on veut retrouver son libre arbitre, il est conseillé d’éteindre sa télévision. Peckinpah est un homme du passé, et on ne s’étonnera pas qu’il s’élève avec colère contre l’envahissement de la technologie dans notre quotidien. On verra Fassett se délecter de la possibilité d’espionner ce qui se passe dans les chambres à coucher entre les amants. Mais ce voyeurisme est également le fait de Tanner, il se surprend à aimer ça ! Il lui faudra de la force de caractère pour se détacher de ce spectacle. L’individu se trouve écrasé, aussi bien par l’organisation du pouvoir et ses mensonges mis en scène, que par l’argent qu’il cherche en permanence à se procurer pour accroître sa consommation de drogue, d’objets ou pour accroitre son pouvoir. C’est l’œuvre d’un anarchiste, car elle dénonce aussi le pouvoir en tant que tel. Nous verrons vers la fin du film le très froid et méthodique Danforth basculer et perdre la maîtrise de ses nerfs en tentant de présenter son travail comme important pour la sécurité. C’est un vieux thème du roman d’espionnage qui remonte au moins à John Le Carré : les bureaucraties pour survivre ont besoin de s’inventer un ennemi. Et plus cet ennemi est monstrueux, et plus leur pouvoir se concentre et se justifie. C’est une des raisons qui font que l’ennemi ne doit jamais être vraiment terrassé. On le voit aujourd’hui encore quand, alors que le communisme s’est effondré à la fin des années quatre-vingts, on en est à réveiller les vieilles craintes d’une agression russe, sauf qu’aujourd’hui il est bien difficile de justifier cela par la nécessité de lutter contre les « rouges ». 

    The Osterman weekend, Sam Peckinpah, 1984 

    Tanner repasse en boucle les vidéos qui prouvent la trahison de ses amis 

    La réalisation est à la hauteur du projet. Une large partie des séquences est faite des images de mauvaise qualité qu’on visionne à travers les appareils d’espionnage. Tous ces écrans qu’on trouve de partout dans la maison de Tanner sont des appareils destinés à violer l’intimité, donc à nier l’individu, à le rendre obéissant. Ce film ayant été tourné il y a plus de trente ans, on voit les progrès que nous avons faits avec le numérique. Cette dictature de l’image est pire encore aujourd’hui, sauf que plus personne n’est capable de la maitriser, c’est c e qui se passe déjà quand justement Tanner va renverser le principe actif et manipuler à son tour à la fois Danforth et Fassett. Tout cet aspect est filmé à la manière d’un documentaire, sans apprêt. Le meurtre de la femme de Fassett est vu à travers des images abimées et déformées, capturées par une caméra médiocre. Mais c’est justement une manière de prendre une distance d’avec cette réalité. Et puis bien évidemment puisque nous sommes chez Peckinpah, il y a des scènes d’action et de violence extrêmement intéressantes. Des poursuites en voitures, jusqu’au scènes de chasse où on verra la femme de Tanner exécuter froidement un agent de la CIA, en passant par les combats, c’est très rythmé, avec un découpage soigné et serré. Pour ce dernier opus, Peckinpah n’avait pas perdu la main. 

    The Osterman weekend, Sam Peckinpah, 1984 

    Osterman et Tanner se battent 

    L’interprétation est plus problématique. John Hurt dans le rôle du larmoyant Fassett ne fait clairement pas le poids, il a l’air de s’ennuyer et parait sans conviction. Il n’est pas bon. Rutger Hauer qui vient de nous quitter, est meilleur, mais il est affublé d’une coupe de cheveu difficile à supporter, parce qu’elle lui donne l’allure d’un mannequin. Plus convaincants estt Craig T. Nelson dans le rôle d’Osterman – il est excellent et dégage une grande force. Il parait que Peckinpah ne s’est pas entendu avec lui à cause de sa moustache postiche ! Et puis il y a Burt Lancaster dans le rôle de Danforth. Il a une présence incroyable et surtout il rend très crédible la perte de contrôle du directeur de la CIA lorsqu’il se trouve confronté à l’une de ses victimes. Le reste de la distribution est assez neutre, et même Dennis Hopper apparaît très discret. 

    The Osterman weekend, Sam Peckinpah, 1984 

    Tanner va présenter son émission avec Danforth 

    Le film n’a pas été apprécié, ni par la critique, ni par le public. Ce fut un échec commercial sans appel. C’est seulement avec le recul qu’on fait un parallèle avec le film de Fritz Lang, Doktor Mabuse, der Spieler, film muet qui date de 1922 et qui alertait déjà sur les rapports entre modernité, technologie et contrôle social. Ce qui me parait judicieux. Il commence à être un peu réhabilité et retrouve sa place dans l’œuvre de Peckinpah. A mon sens ce qui a empêché le succès de ce film est son trop grand pessimisme, bien plus sans doute que les problèmes qu’il y aurait eu au montage. On pourra me rétorquer que The wild bunch est aussi un film très pessimiste et pourtant cela a été un très grand succès. Mais The wild bunch parle d’une époque qui est en train de disparaître, tandis qu’Osterman WeekEnd parle de nous et de notre époque. Et c’est sans doute cela qui est gênant parce que Peckinpah nous dit que notre société n’a pas d’avenir. Bien entendu il ne serait pas juste de classer ce film parmi les chefs d’œuvre de Peckinpah, ne serait ce que parce que les moyens ne sont pas là et que le réalisateur n’a pas eu l’entière maitrise du projet. Mais c’est un film très intéressant et qu’il faut avoir vu. Après ce film il restera un an à vivre à Peckinpah. Il passera son temps à boire et à fréquenter les bordels mexicains, mais comme il a encore besoin d’argent, il aura le temps de tourner un clip vidéo stupide pour le fils de John Lennon et il remplacera au pied levé Don Siegel sur Jinxed, un film que je n’ai jamais vu et que tout le monde s’accorde à dire très médiocre. Notez qu’Osterman WeekEnd  est appuyé sur une très bonne musique de Lalo Schifrin et une photographie de John Coquillon qui avait déjà travaillé avec lui sur Straw dogs.

     The Osterman weekend, Sam Peckinpah, 1984 

    C’es Tanner qui liquidera le trouble Fassett

     

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  •  Tueur d’élite, The killer elite, Sam Peckinpah, 1975

    C’est un des films les moins appréciés de la filmographie de Peckinpah. La critique l’a négligé, et aujourd’hui encore on le désigne comme inférieur à Bring me the head of Alfredo Garcia. C’est très injuste, même si ce n’est pas un des meilleurs films de Peckinpah, c’est plus profond qu’il n’y parait au premier abord, très rythmé, très agréable à regarder. Inspiré d’un roman d’espionnage à succès de Robert Rostand, roman qui a ma connaissance n’a pas été traduit en français, il va mélanger les genres. L’ambiance est à la fois celle d’un film d’espionnage à la John Le Carré, avec des boutiques et sous-boutiques qui ne savent plus pour qui elles travaillent, avec leur lot de trahisons habituelles, et des films d’arts- martiaux qui faisaient recette à cette époque auprès des adolescents, avec des ninjas qui n’ont pas peur de prendre des balles ! Evidemment si on s’arrête là on peut croire qu’on va voir un simple film d’action sans âme et sans relief. Mais ce n’est pas le cas. Ce film est souvent compris comme une simple commande d’un film d’action commercial, et donc que Peckinpah ne s’y serait pas plus impliqué que cela, il avait besoin d’un le salaire bien entendu. On va voir que ce n’est pas exact.

    Tueur d’élite, The killer elite, Sam Peckinpah, 1975

    Mike Locken et George Hansen qui sont très amis, travaillent tous les deux pour une entreprise privée, Com Teg, qui est une sous-traitante de la CIA pour les sales boulots. Après avoir fait sauter un entrepôt, on va les voir attachés à la protection d’un homme, Vorodny, qui est sans doute un transfuge. Il doit être bientôt évacué. Mais George assassine froidement Vorodny et tire dans le genou et le coude de Mike. Il pense qu’ainsi celui-ci ne sera plus bon à rien. Et en effet ses anciens employeurs qui en veulent aussi à George, lui font comprendre qu’il ne peut plus les servir. Mais Mike, avec l’aide d’une infirmière très dévouée, Amy, avec qui il va entretenir une liaison, va s’accrocher, et s’entraîner pour retrouver malgré ses boitements une mobilité suffisante pour revenir se venger des avanies que lui a fait subir George. Lorsqu’un Chinois, Yuen Chung, arrive à San-Francisco, un véritable massacre est perpétré dans l’aéroport. Yuen Chung est un dissident chinois. La CIA décide de le protéger en attendant qu’il évacue le territoire. Pour ne pas apparaître n première ligne, elle embauche une nouvelle fois la Com Teg dirigée par Collis et Weyburn, cette même Com Teg qui auparavant faisait travailler Mike. Pour protéger Yuen Chung et ses gens, ils vont engager Mike qui va monter une petite équipe avec Mac, un mécano, bon chauffeur, et Miller, un tireur d’élite, amoureux des armes à feu. Mais tandis qu’ils vont s’efforcer protéger Yuen Chung, Collis a prévenu George Hansen qu’il paie également, lui-même étant sans doute à la solde des Chinois. Celui-ci est chargé de tuer le Chinois. Après une première attaque en pleine rue qui n’aboutit pas, George et sa bande vont intervenir dans sur le port où Mike et ses protégés sont sensés attendre un bateau. Mais l’attaque de George avorte une fois de plus, et cette fois il meurt, tué d’une balle dans le dos par Miller, alors qu’il menaçait de tuer la fille de Yuen Chung qui s’était déguisée elle aussi en ninja et qui croyait tellement à son destin qu’elle s’était imprudent avancée dans la nuit. Le lendemain, tout le monde va se retrouver dans un cimetière de bateaux de guerre dans la baie de Suisun, au large de San Francisco. Il va y avoir une explication finale, Mike tuera Collis, et pour cela il sera félicité par Weyburn, puis partira avec son bateau en amenant avec lui Mac et 50 000 $. Mike a refusé une offre de la part de Weyburn de retravailler avec lui à un haut niveau. Dans la bataille finale Miller est mort, et le Yen Chung pourra être facilement évacué.

    Tueur d’élite, The killer elite, Sam Peckinpah, 1975  

    George Hansen a brisé le genou et le coude de Mike 

    Le scénario a été confié à un professionnel chevronné, Stirling Silliphant. C’est un gage de sureté. Bien que le nom de Peckinpah ne soit pas avancé en tant que scénariste, il est sûrement intervenu sur son écriture, on reconnait pourtant aisément des thèmes qui lui sont familiers. Il y a d’abord un couple d’hommes, Mike Locken et George Hansen, liés par une amitié solide. Ce couple ressemble un peu à celui de Pike Bishop et de Peke Thornton dans The wild bunch. Et bien sûr l’amitié comme l’amour c’est fait aussi pour être trahi. Le contexte des agences d’espionnage plus ou moins privées est, comme le chemin de fer dans The wild bunch, un bon véhicule pour la corruption par l’argent. Jusqu’où cette amitié peut être trahie pour de l’argent ? C’est là toute l’ambigüité du film. Quand George Hansen tire sur Mike et lui détruit son coude et son genou, on se dit qu’il aurait pu tout aussi bien le tuer. En fait il ne lui laisse pas la vie parce qu’il a un fond de pitié en lui, mais plutôt parce qu’il l’a diminué : c’est un peu comme s’il l’avait émasculé. Et d’un certain point de vue il prend ainsi sa revanche sur lui. C’est donc la question d’une amitié trahie qui se trouve au cœur de l’intrigue. Lorsque Miller va tuer George, ce qui parait au spectateur très justifié, Miked aura le reflexe de frapper Miller. Non pas parce qu’il lui reproche de l’avoir tué, mais parce qu’il enrage que leur amitié se finisse ainsi. Les rapports entre George et Mike sont très ambigus, ils ont un comportement paradoxal avec les femmes. Ainsi Mike promet à George qu’il va lui laisser baisser la gonzesse avec qui il a fait la fête la veille. Et George va développer une blague stupide sur la maladie vénérienne que Mike aurait contracté en couchant avec cette femme. Le rôle d’Amy l’infirmière que séduit Mike à l’hôpital, est un personnage clé. En effet elle présente l’aspect d’une femme très maternelle qui vient spontanément en aide à un infirme. Mais n’est-elle pas là aussi pour profiter de ces faiblesses évidentes ? D’ailleurs quand Mike aura retrouvé des forces, et qu’il partira à l’assaut de George, il l’oubliera complètement.

     Tueur d’élite, The killer elite, Sam Peckinpah, 1975 

    Mike tente de se refaire une santé avec l’appui d’Amy 

    Le second couple d’hommes est celui formé par Collis et Weybrun. Si au départ on les suppose très unis, rapidement on va comprendre qu’ils sont dans une relation d’opposition féroce. Il y a une scène assez terrible où les deux hommes s’affrontent, alors que Collis doit téléphoner à Hansen pour lui dire où se trouve Mike, Weyburn l’en empêche en l’obligeant à étudier un vague dossier sur les cours de la bourse. Ils se révèlent ainsi dans une relation sado-masochiste, comme si une relation de confiance ne pouvait jamais exister pleinement entre deux hommes. Cela renvoie bien évidemment à la solitude intrinsèque de l’être humain qui tente de s’en protéger avec de l’argent. Dans ces années-là on faisait encore grand cas des turpitudes de la CIA. On avait encore des réserves d’énergie pour s’en offusquer. Ce n’est plus le cas aujourd’hui, pas qu’on s’en moque, mais les révélations à jet continu sur cette boutique louche ont fini par tuer toute émotion sur ce type d’affaire. Le film de Peckinpah sera comparé d’ailleurs à Three days of the condor de Sidney Pollack qui est sorti la même année. Mais même si le contexte est le même, le but des deux films est différent. Ici il n’est pas question de trahir vraiment une idéologie à laquelle on croirait, mais seulement de faire le maximum d’argent avec les services qu’on peut rendre. C’est évidemment une métaphore de l’opportunisme capitaliste. Peckinpah n’aimait pas l’argent dès qu’il en avait – et il en a gagné beaucoup bien sûr – il le dépensait à tort et à travers. Il se ruinait volontairement. Notez qu’il y a quelques incohérences dans le scénario et quelques oublis, par exemple, à la fin il semble que Miller soit mort, mais Mike et Mac ne semblent pas s’en préoccuper. On notera également ce dialogue étrange entre Mike et la fille de Yuen Chung qui lui explique qu’elle est vierge, comme une incitation à la violer. 

    Tueur d’élite, The killer elite, Sam Peckinpah, 1975 

    Il s’entraîne quotidiennement dans les rues de San Francisco 

    La mise en scène est parfaitement rigoureuse, c’est du très bon Peckinpah. Il existe au moins deux versions de ce film, l’une avec des scènes de violence très chorégraphiées, avec des ralentis, et la mise en évidence de l’habileté des combattants. Et puis une autre version, disons un peu plus sobre. C’est cette deuxième version qui circule généralement aujourd’hui en DVD, il y a une différence de quelques minutes. C’est cette version qui avait été montrée en salle. La version augmentée se trouve en Blu ray. La version disons raccourcie permet, à mon avis, de mieux apprécier la rigueur de la réalisation de Peckinpah en dehors de ses manières très téléphonées de chorégraphier la violence justement. On y voit une grande sensibilité à utiliser mes décors naturels de San Francisco et de ce cimetière de navires de guerre dans la baie de Suisun. Ces navires immobiles, il y en aurait plus de 300, qui s’accumulent depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale au fur et à mesure des déclassements et qui sont en train de rouiller gentiment, sont comme une métaphore de l’Amérique handicapée, face au dynamisme asiatique. C’est une excellente idée que de saisir ce lieu étrange, fantomatique, pour le règlement de comptes final. Mais si ce décor est très spectaculaire, il ne faut pas oublier cette capacité aussi à filmer les petites rues du quartier chinois, avec un usage très bon des couleurs justement. Là encore on verra Mike très handicapé, se mouvoir difficilement à travers ces lieux. C’est je crois le seul film où Peckinpah travaille la spécificité urbaine d’une ville à la manière des enseignements du film noir, et c’est très réussi. On notera au passage que certaines scènes, notamment celle où l’on voit le motard arrêté le taxi de Mac, sont très inspirées par Don Siegel – un des maîtres du néo-noir – qui avait une prédilection pour San Francisco et dont Peckinpah fut dans ses débuts l’assistant, notamment The lineup où l’on voit cette portion d’autoroute urbaine, la même qu’utilise The killer elite. Et pour cause, Pechinpah avait travaillé sur ce film. Dans les scènes d’action, que ce soit l’attaque à l’aéroport ou sur le bateau de guerre, le découpage est très serré, le rythme très soutenu, sans ostentation. Mais on admirera aussi les scènes de nuit, notamment celles qui sont filmées sur le port quand la bande de Mike va subir l’assaut de George. Il y a une belle utilisation de la couleur noire et de sa profondeur. Dans ce film Peckinpah commence aussi à utiliser quelques éléments de technologie comme les écrans de surveillance, ou les visées à infra-rouge. Il approfondira cet engoncement plus tard dans Osterman WeekEnd. Il y a également des scènes particulièrement réussies comme ces plongées, contre-plongées lors de l’attaque de George et de sa bande qui vise depuis les toits à descendre Yuen Chung à la sortie de l’immeuble où il s’est réfugié avec sa suite. C’est une des rares fois où Peckinpah multiplie les angles, le reste du temps il est un peu plus académique que dans le passé, et ce n’est pas un reproche qu’on lui fera. On notera aussi la reprise de quelques éléments de la grammaire du film noir, les escaliers par exemple, ou les stores vénitiens lorsque l’équipe de Mike se retrouve sur le port, la nuit, à guetter la venue de George et de son équipe.

    Tueur d’élite, The killer elite, Sam Peckinpah, 1975 

    Mike engage Mac et Miller 

    L’interprétation est centrée tout naturellement sur James Caan qui est très bon et qui a accepté de se présenter la quasi-totalité du film avec une mobilité réduite. C’est un acteur qui aimait ce genre d’expérience destinée à cassé son image de virilité excessive. S’il manie avec aisance les scènes d’action, il est aussi très bon dans celles où il manifeste ses sentiments que ce soit vis-à-vis de George ou vis-à-vis d’Amy. L’interprétation de Robert Duvall est moins intéressante, comme s’il s’était moins impliqué dans le film que James Caan. Au début du film ses fous rire sont même assez grotesques. Notez que tous les deux ont connu une gloire très soudaine avec The Godfather où ils étaient déjà des faux frères. Les deux membres de l’équipe de Mike sont interprétés par Bo Hopkins, un habitué des films de Peckinpah, dans le rôle de Jerome Miller, et par le génial Burt Young dans celui de Mac le mécano. Ils sont tous les deux très bons. Burt Young z une façon unique de se déplacer, d’utiliser sa silhouette replète. Le couple Collis et Weyburn est interprété par Arthur Uill et le vétéran Gig Young. Ils représentent parfaitement cette Amérique compassé et bureaucratisée à l’excès. Il y a également dans un tout petit rôle, celui d’Amy, l’infirmière qui prend à sa charge Mike, Kate Heflin. C’est une surprise heureuse, c’est la fille du grand acteur Van Heflin, bien trop oublié, dont j’ai eu plusieurs fois l’occasion de souligner la précision et l’originalité de son jeu. Kate Heflin ressemble énormément à son père, avec cet air renfrogné si particulier et ses yeux à fleur de tête, curieusement elle ne fera pas carrière. Les interprètes asiatiques ne présentent pas vraiment d’intérêt. Mais ils sont suffisamment présents. 

    Tueur d’élite, The killer elite, Sam Peckinpah, 1975 

    George est déçu, dans le quartier chinois il a manqué sa cible 

    Comme on le voit j’ai une opinion très largement positive sur ce film. Le succès public fut au rendez-vous, sans être extraordinaire cependant, il permettait d’effacer l’humiliation de Bring le the head of Alfredo Garcia. La critique n’avait pourtant pas été tendre, confondant ce film avec l’ordinaire de la production de films d’arts martiaux, et s’attachant un peu trop à l’intrigue qui après tout est assez sommaire dans sa linéarité. Comme ces critiques dures venaient après celles qu’avait subi Bring me the head of Alfredo Garcia, cela laissait entendre que Peckinpah était sur la pente déclinante. C’est faux, il s’était juste fait à l’idée d’abandonner le western et de se pencher sur les dérives d’une Amérique plus contemporaine. Quant à ceux qui avancent qu’il s’agissait seulement d’une œuvre de commande, ils méconnaissent le fait que Peckinpah à retravaillé en permanence le scénario. Il ne s’est donc pas contenté de mettre en images. Il serait tout aussi absurde cependant de considérer ce film comme un des meilleurs du réalisateur, il n’en a pas la densité. Mais il est très bon et se revoit sans ennui. On note aussi que la musique est très bonne, elle est due comme de coutume à Jerry Fielding dont ce sera aussi la dernière collaboration avec Peckinpah. 

    Tueur d’élite, The killer elite, Sam Peckinpah, 1975 

    George menace de tuer la fille de Yen Chung 

    Ma conclusion est que ceux qui ne connaissant pas encore ce film, les plus jeunes, doivent le voir, et que les autres, notamment ceux qui l’ont négligé au fil des années doivent le revoir pour se refaire une opinion plus juste.

      Tueur d’élite, The killer elite, Sam Peckinpah, 1975

    Mike règle son compte à Collis 

    Tueur d’élite, The killer elite, Sam Peckinpah, 1975 

    Les ninjas passent à l’attaque

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  • Apportez moi la tête d’Alfredo Garcia, Bring me the head of Alfredo Garcia, Sam Peckinpah, 1974

    Ce film est un vieux projet de Peckinpah, l’idée le poursuivait depuis 1970 lorsqu’il tournait The ballad of Cable Hogue. Mais il avait eu beaucoup de difficultés à en tirer un scénario présentable, il y avait usé beaucoup de monde. Et sur le tournage, les producteurs lui accorderont une paix royale. Et pourtant il y a dans ce film qu’on s’accorde à dire très personnel quelque chose qui ne fonctionne pas vraiment. Alors que Peckinpah doit sa renommée à sa capacité d’avoir su rénover le film de genre, ici on a du mal à se demander à quel genre ce film peut bien appartenir. Le film a été entièrement tourné au Mexique, pays qu’aimait Peckinpah, avec une majorité d’acteurs mexicains. Il tient du film noir, mais aussi du western et de la fable grotesque dont l’humour est pourtant totalement absent. On peut le voir comme une traversée fascinée du Mexique. Alors que Peckinpah aime en général les histoires denses, ici il n’y a qu’à peine un squelette d’intrigue.  

    Apportez moi la tête d’Alfredo Garcia, Bring me the head of Alfredo Garcia, Sam Peckinpah, 1974

    El Jefe veut savoir qui a engrossé sa fille 

    El Jefe apprend que sa fille a été engrossé par un dénommé Alfredo Garcia. Il prend ça comme un affront personnel. Il va mettre sa tête à prix et promet un million de dollars à qui la lui ramènera. Ses hommes se mettent en chasse. Ils cherchent un peu de partout, Sappensly et Quill, les plus teigneux vont tomber sur un pianiste de bar, Bennie, qui tient une boîte à touristes et qui semble savoir où trouver Alfredo Garcia. En fait il sait que celui-ci est parti faire la fête avec Ileta, une chanteuse, dont lui aussi est amoureux et avec qui il aime faire la fête et boire. En réalité Ileta aime faire la fête avec un peu tout le monde, et semble avoir un appétit sexuel très grand. Mais c e n’est pas seulement pour cela que Bennie vient la voir, il a besoin d’elle pour retrouver Alfredo Garcia, mort ou vif. Ileta lui apprend qu’en réalité Alfredo Garcia est déjà mort et qu’il est donc absurde de le rechercher. Ils vont donc partir dans le Mexique profond pour retrouver sa trace. Mais ils sont suivis par deux Mexicains patibulaires dans un break vert. Sur le chemin Bennie avoue à Ileta qu’il l’aime, et donc qu’il veut bien l’épouser. Elle est très heureuse de cela, mais en même temps elle ne veut pas continuer à courir après Alfredo Garcia, elle pense qu’il est sacrilège de vouloir exhumer le cadavre pour en prendre la tête. Mais pour toucher de l’argent, il faut la tête, preuve qu’Alfredo Garcia est bien mort. Elle voudrait une petite vie bien tranquille avec Bennie, mais lui pense au contraire qu’il s’agit là d’une opportunité de se sortir de la mouise. Sur la route ils vont croiser une paire de bikers qui les menace de les tuer si Bennie ne les laisse pas violer Ileta. Tandis qu’Ileta s’apprête à subir les derniers outrages, Bennie se débarrasse du deuxième biker qui le surveillait, et il tue celui qui commençait à violer Ileta.  Ils vont finir par arriver à un cimetière où on a enterré Alfredo Garcia. Ils vont attendre la nuit pour le déterrer, Bennie lui coupe la tête avec une superbe machette qu’il a achetée sur le marché. Mais il se fait assommer. Il se réveille. Il a été enterré vivant dans la tombe même d’Alfredo Garcia, et s’il a pu s’en sortir miraculeusement, Ileta est morte. Evidemment la tête a disparu. Bennie, fou de douleur, se lance à sa recherche. Il va rattraper les deux voleurs, les tuer, et récupérer la tête qui commence à avoir de plus en plus de mouches autour d’elle. Mais un autre obstacle surgit : c’est la propre famille d’Alfredo Garcia qui lui tombe dessus et qui prétend récupérer la tête. Au moment où la situation paraît bloquée, arrivent les deux tueurs professionnels, Sappensly et Quill. Ils font le ménage et tuent tout le monde sauf le vieux patriarche. Bennie va à son tour les tuer tous les deux et ramener la tête à El Jefe. C’est le jour du baptême du fils d’Alfredo Garcia. El Jefe accepte de payer le million de dollars à Bennie, mais celui-ci le tue à la grande satisfaction de sa propre fille ! Il s’enfuit, mais il n’ira pas bien loin, il sera abattu à la sortie du ranch d’El Jefe.  

    Apportez moi la tête d’Alfredo Garcia, Bring me the head of Alfredo Garcia, Sam Peckinpah, 1974

    Bennie va demander à Ileta de l’accompagner pour chercher Alfredo Garcia 

    Comme on le voit, ce n’est pas bien recherché. Il n’y a pas vraiment de suspense, et les scènes d’actions ne sont pas assez excitantes pour tenir le spectateur en haleine. Il est difficile de trouver un thème particulier à ce film. Sauf si on se réfère au mythe d’Ulysse en supposant que finalement Bennie ne veut pas rentrer chez lui – d’ailleurs il ne sait pas vraiment où sa maison se trouve – et qu’il prend tous les prétextes possibles et imaginables pour s’éviter d’affronter sa propre réalité. Ileta se trouve alors dans la place de Circée. L’ensorcelant par ses manigances sexuelles, elle le tient éloigné de lui-même. On voit bien que quand il lui propose le mariage, il le fait à contre-cœur. La mission qu’il se donne, ramener la tête d’Alfredo Garcia pour encaisser beaucoup d’argent est un leurre. La preuve, lorsqu’il aura l’occasion de toucher ce fric, il l’oubliera sur la table, et puis il reviendra pour le récupérer, parce que tout de même c’est pour cela que seize personnes sont mortes ! Il est aussi dans une position de rivalité amoureuse avec Alfredo, même si celui-ci est mort. Il est toujours là entre lui et Ileta. Cette relation ambiguë qu’il entretient avec Ileta, est révélée plus encore avec la scène du viol qui est une répétition presqu’à l’identique de celle qu’on a vue dans Straw dogs. L’ambigüité vient de ce que finalement Ileta semble prendre du plaisir à se faire violer, ne serait-ce que parce qu’elle peut ainsi tester ainsi son pouvoir sur les hommes. On a dit que dans ce film Bennie était en fait un portrait de Peckinpah lui-même, arguant de sa solitude, de sa grande sensibilité, mais aussi de la peur qu’il avait des femmes qu’il consommait pourtant en grande quantité. C’est bien possible, mais ça ne fait pas une histoire, et encore moins un film. C’est même peut-être un handicap.  

    Apportez moi la tête d’Alfredo Garcia, Bring me the head of Alfredo Garcia, Sam Peckinpah, 1974

    Ils arrivent dans un petit village où Alfredo Garcia a été enterré 

    Bien entendu à côté de cela on trouvera une analyse assez pertinente du Mexique et de son système de classes, l’extrême pauvreté côtoyant l’extrême richesse. Il va y avoir un regard très bienveillant du réalisateur sur ces petites gens qui ne vivent de rien et qui sont toujours près à se vendre pour subsister. Comme dans le roman de Malcom Lowry, Under the volcano, le Mexique est associé au sexe, à l’alcool et à la chaleur dans laquelle les âmes se perdent et se trouve la mort. C’est aussi une manière de confronter deux territoires, les Etats-Unis qui s’effondrent – les voitures sont délabrées et tombent en panne, mais c’est Nixon que Peckinpah détestait qui est le président – et le Mexique qui est la terre du renouveau de l’Humanité. A cette époque d’ailleurs Peckinpah prétendait s’y installer. Bennie boit plus que de raison, Peckinpah, aussi. Sauf évidemment que Peckinpah ne tuait personne et ne découpait pas de tête sur des cadavres ! Il y a aussi en prime une approche de l’homosexualité. Les hommes fonctionnent par couple : c’est Bennie et Alfredo par Ileta interposé, mais aussi les deux tueurs Sappensly et Quill. On verra Sappensly ébaucher un geste de tendresse envers son partenaire dont il constate la mort. Pour ces deux tueurs Peckinpah a retenu qu’il s’agissait bien là de quelque chose d’intentionnel[1]. Ils ressemblent d’ailleurs au couple de tueurs de The killers de Don Siegel dont il fut l’assistant réalisateur sur plusieurs films. Mais on peut aussi ajouter le couple de bikers qui ont un comportement pour le moins étrange, comme Charlie et Norman dans Straw dogs. C’était une obsession que Peckinpah aimait bien opposer à la déception que les femmes emmènent avec elles cette possibilité. On retrouve le même schéma : comme David s’opposait aux appétits insatiables d’Amy, Bennie est ici opposé à la sexualité débridée d’Ileta qu’elle avoue ingénument à Bennie.  

    Apportez moi la tête d’Alfredo Garcia, Bring me the head of Alfredo Garcia, Sam Peckinpah, 1974

    Enterré vivant, Bennie va s’extraire de sa tombe 

    J’aime beaucoup Sam Peckinpah mais sans doute le plus étonnant est ici la médiocrité de la mise en scène proprement dite, ce qui me laisse perplexe quant aux remarques de ceux qui tiennent ce film pour un chef d’œuvre mal compris. Si à la sortie du film les critiques furent très largement négatives, avec le temps, elles sont beaucoup plus partagées et certains s’efforcent de le réhabiliter, comme si l’extravagant Peckinpah ne pouvait avoir fait que des chefs d’œuvre. J’en avait eu une mauvaise opinion au moment de sa sortie, je l’avais revu en restant sur le même sentiment. Mais maintenant, lors d’une nouvelle vision, c’est la misère de la réalisation qui me semble évidente. Rien ne vient compenser la minceur de l’intrigue. Il y a un manque de rigueur qui saute aux yeux. Du reste les plans sont plus longs qu’habituellement, le montage moins nerveux, bref c’est plus statique. Comment expliquer cette indigence ? Peut-être parce que tout le monde dit qu’au moment du tournage Peckinpah avait des tas de problèmes avec ses femmes et donc qu’il était un peu à côté de ses pompes. Mais aussi peut-être parce qu’il n’avait pas de producteur contre qui se battre sérieusement. Il avait en effet le final cut sur le film. Ce qui sera la seule fois dans sa carrière. Il y a cependant quelques belles scènes, l’ouverture sur Emilio Fernandez dans cette riche maison aux couleurs boisées. L’arrivée de Bennie et Ileta au village où est enterré Alfredo Garcia. Mais d’une manière surprenante, les scènes de violence sont assez ratées. Peckinpah a compensé son manque d’envie manifeste par des ralentis qui n’apportent rien. Il multiplie les gros plans de Bennie qui boit. Il y a un manque manifeste d’imagination. L’ensemble est très inspiré du film de Huston, The Treasure of the Sierra Madre, et Peckinpah ne s’en cache pas puisque le tueur Quill, lorsqu’on lui demandera son nom donnera celui de Fred C. Dobbs, soit le nom que porte Humphrey Bogart. Il y a une ambiance qui rappelle aussi un peu les films d’Emilio Fernandez, notamment La révolte des pendus inspiré de B. Traven. Il est clair que l’ombre du grand John Huston rode au-dessus de ce film. John Huston qui lui aussi célébrait à sa manière le Mexique – The treasure of the sierra madre, The night of the iguana ou encore Under the volcano en tant que réalisateur, mais aussi The bridge in the jungle où il n’était qu’acteur – avait une passion pour les perdants, tout comme Peckinpah. Le pire est sans doute qu’on trouve le film très long, et donc qu’on s’y ennuie un peu, par exemple le pique-nique où on voit Bennie faire sa déclaration à Ileta. Il y a bien 30 minutes de trop. La musique de Jerry Fielding n’est pas très remarquable et même la photo est parfois médiocre.  

    Apportez moi la tête d’Alfredo Garcia, Bring me the head of Alfredo Garcia, Sam Peckinpah, 1974

    La famille d’Alfredo Garcia veut récupérer sa tête 

    Le rôle de Bennie est le pivot du film. A l’origine Peckinpah l’avait proposé à James Coburn, mais celui-ci trouvait le scénario trop indigent et le refusa, on le comprend. Peter Falk aussi déclara forfait, officiellement parce qu’il était trop pris avec Columbo. Il dut donc se rabattre sur Warren Oates, un habitué de la bande à Peckinpah, il a fait quatre films avec lui. Ici il s’est efforcé de reprendre des tics de Peckinpah lui-même, lui empruntant ses lunettes de soleil, mais aussi sa démarche. Il n’est pas très convaincant, alors qu’il peut être souvent très bon, comme par exemple dans le film de John Millius, Dillinger[2]. Mais ici il n’a pas l’air de trop savoir quoi faire. Du coup il cabotine un peu trop. Mais on a l’impression que tous les autres acteurs sont livrés à eux-mêmes, alors que Peckinpah est généralement un bon directeur d’acteur. Même le charismatique Emilio Fernandez dans le rôle très bref d’El Jefe reste assez terne. Peckinpah adorait Emilio Fernandez, très grand cinéaste ignoré, qui pour gagner sa vie faisait aussi l’acteur à Hollywood. Isela Vega tient le rôle d’Ileta. C’était à l’époque une chanteuse et une actrice très connue au Mexique, pays qui eut pendant longtemps sa propre cinématographie. Elle tient sa place du mieux qu’elle peut et n’a sans doute rien à se reprocher, exhibant fièrement mais inutilement ses seins lourds de femme ayant un passé. J’aime bien les deux tueurs incarnés par le toujours très bon Robert Webber et Gig Young, celui-ci retrouvera Peckinpah sur The killer elite. Les deux représentent très bien cette Amérique rationnelle et arrogante, sûre de sa force dans ses petits costumes bien coupés. On retrouvera aussi beaucoup d’acteur de The wild bunch, par exemple Enrique Lucero que José Giovanni aima à employer à plusieurs reprises – Le rapace et La Scoumoune. Peckinpah qui avait un caractère épouvantable était pourtant un homme fidèle avec les acteurs qu’il employait. Kris Kristoferson viendra faire un tour jouant un des deux bikers qui violent la malheureuse Ileta. Mais on ne peut pas dire que sa prestation soit remarquable.  

    Apportez moi la tête d’Alfredo Garcia, Bring me the head of Alfredo Garcia, Sam Peckinpah, 1974

    Bennie vient livrer son sinistre colis le jour du baptême du fils d’Alfredo Garcia 

    Au final, avec les années qui passent je n’ai pas révisé mon opinion sur ce film. On peut s’en passer, sauf à se dire qu’il faut tout avoir vu d’un grand réalisateur. A sa sortie il avait été désigné par la critique américaine comme le pire film de l’année, et lors de sa première, la salle s’était rapidement vidée. Vu le nombre de navets que les ricains sont capables de produire chaque année, cela me semble tout de même un peu exagéré. Mais sans doute que cette distinction négative tient surtout au fait que de Peckinpah on attendait autre chose. Le succès commercial ne fut évidemment pas au rendez-vous. Ce film nuira beaucoup à la suite de la carrière de Peckinpah qui va avoir de plus en plus de mal à trouver des financements et même des sujets. En outre Bring me the head of Alfredo Garcia venait juste après Pat Garrett & Billy the Kid qui, s’il n’avait pas été un désastre artistique, n’avait pas été un succès public. Outre la difficulté de rattacher le film à un genre, il y a sans doute le grotesque mal assumé du propos qui plombe l’ensemble.



    [1] Kevin J. HayesSam Peckinpah: interviews, University Press of Mississippi, 2008

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  •   Chiens de paille, Straw dogs, Sam Peckinpah, 1971 

    La carrière de Peckinpah a toujours été très compliquée, alternant les succès et les échecs, ayant de plus en plus de mal à trouver des producteurs, et s’il est considéré à juste titre comme un cinéaste majeur, le public n’a pas toujours été au rendez-vous. Il faut dire qu’il avait un caractère très tranché. Mieux encore ceux qui admirent son œuvre émettent beaucoup de réserves sur une grande partie de sa cinématographie. Sans doute parce que ses films provoquent, par leur violence crue, un malaise difficile à surmonter. Il est évident que la violence chez Peckinpah est à la fois un élément d’attraction et de répulsion. Si ce sont les westerns qui l’ont conduit à la notoriété, Major Dundee et ensuite The wild bunch, il a fait des incursions saisissantes dans le film noir, ou plutôt vers le néo-noir. Parmi ces œuvres, The getaway, inspiré de Jim Thompson, a été un succès, mais The killer elite et son dernier film, The Osterman weekend ont été très mal appréciés. Pourtant ils présentent un très grand intérêt, nous aurons l’occasion d’y revenir. Au début des années soixante-dix, Peckinpah se lasse du western, The ballad of Cable Hogue n’a pas été un succès, sans doute parce que de la part de Peckinpah on attendait autre chose qu’un film finalement léger dans sa tonalité. C’est en ce sens que Straw dogs est déjà une rupture dans son parcours. Cette rupture se fait non seulement parce que Peckinpah passe du western au film noir, mais parce qu’il tourne pour la première fois – et la dernière si je ne me trompe pas – en dehors des Etats-Unis, dans les Cornouailles, en Angleterre. Il va y avoir aussi une escalade dans la violence, non pas que ce soit plus violent que The wild bunch, mais c’est plutôt que cette violence va apparaitre comme plus sauvage et moins rationnelle. Si le scénario s’est inspiré d’un ouvrage d’un auteur écossais, Gordon M. Williams, il est tout de même très éloigné du roman, il a été très travaillé, et Sam Peckinpah lui-même a mis la main à la pâte. Bien qu’il n’ait pas connu le succès commercial, ce film va avoir une importance considérable dans le traitement de la violence à l’écran, mais aussi dans ce qu’elle révèle d’une société malade dans ses fondements. C’est un peu comme si Peckinpah énonçait la fin de la tranquillité au sein des sociétés occidentales développées. 

      Chiens de paille, Straw dogs, Sam Peckinpah, 1971 

    Les époux Sumner quittent les Etats-Unis pour s’installer dans le sud-ouest de l’Angleterre. David a besoin de calme pour travailler, c’est un scientifique. Sa femme a trouvé cette maison dans le village qu’elle a habité autrefois avec ses parents. La population rurale est assez rude, et les premiers contacts sont plutôt méfiants. Parmi les villageois, il y a Charlie avec qui dans le temps Amy avait eu une relation. David engage Charlie et trois de ses amis pour refaire la toiture du garage. Ils ne peuvent s’empêcher de désirer Amy, sous le regard assez indifférent de David. Celui-ci travaille et a besoin de solitude. Amy s’ennuie assez, se sentant délaissée, elle provoque Charlie et ses amis. David va retrouver la chatte de la maison pendue dans le placard. Amy voudrait bien le voir réagir, persuadée qu’elle est que ce sont Charlie et Cawsey qui sont coupables. Ceux-ci vont entraîner David dans une partie de chasse assez absurde, en fait il s’agit de l’éloigner de la maison. Charlie et Norman vont violer Amy. David qui ne se doute de rien est plutôt furieux et congédie l’ensemble de cette équipe qui s’est moqué de lui. Peu après les Sumner doivent se rendre à une fête organisée par le pasteur du village. Les choses se passent mal. D’abord Amy ne supporte pas de voir en face d’elle ses violeurs. Mais ensuite, la petite Janice, une adolescente qui teste son pouvoir de séduction sur tout ce qui porte des pantalons, va entrainer avec elle Henry Niles. Or celui-ci est un peu demeuré, et on doit le surveiller pour son comportement avec les filles avec qui il peut être violent. Quoi qu’il en soit, on s’aperçoit rapidement de la disparition de Janice et d’Henry, la bande emmenée par Tom va partir à sa recherche, avec un passage par le pub où un boit ferme. David voyant Amy de plus en plus mal va la ramener à la maison. Il y a un épais brouillard sur la route. Il va renverser le malheureux Henry qui fuit sans trop savoir où il va parce qu’il a tué Janice pour l’empêcher de parler. David le ramène chez lui, ne sachant rien de ce qu’il a pu faire. Il veut le soigner, appeler des secours. Ce faisant il téléphone au pub où Tom et sa bande vont apprendre qu’Henry s’est réfugié chez les Sumner. Ils vont donc aller les trouver afin qu’ils leur remettent Henry. David qui craint un lynchage refuse tout net. Le major Scott qui fait autorité, va intervenir, mais Tom le tue de deux coups de fusil. Dès lors la bande va tenter de prendre d’assaut la maison des Sumner. Si Amy dans un premier temps va inciter son époux à livrer Henry, celui-ci va prendre l’initiative de se défendre seul contre tous en se barricadant chez lui. La bande en veut non seulement à David, mais également à Amy qu’ils rêvent encore de violer. La lutte va être féroce, David les tue presque tous, le dernier sera abattu par Amy elle-même. 

     Chiens de paille, Straw dogs, Sam Peckinpah, 1971 

    Les villageois regardent le couple Sumner comme des bêtes curieuses 

    C’est un scénario d’une très grande complexité. Une réflexion sur la violence et la non-violence. Sam Peckinpah disait à qui voulait l’entendre qu’il était non-violent, et que s’il exhibait volontiers une violence crue, c’était à la fois pour mieux la comprendre et donc finalement pour travailler à sa disparition. C’est un vieux thème de la pensée occidentale que de croire qu’on peut éradiquer la violence des rapports humains. Le couple Sumner est en réalité venu s’installer dans ce village parce qu’il est en grande difficulté. Ils espèrent ainsi un nouveau départ. Mais celui-ci ne viendra jamais. Amy est une femme insatisfaite qui s’ennuie et qui donc développe une attitude provocante à l’égard des hommes qu’elle croise. Elle n’est pas la seule. Janice suit ce même chemin. C’est un peu comme si les femmes livrées à elles-mêmes étaient forcément un facteur de trouble qui déchaîne les passions. En face des Sumner, il y a le village. Même s’il n’est pas un bloc monolithique, il est clair qu’il représente l’antithèse de ce couple d’Américains : ce sont des étrangers, d’emblée on ressent l’hostilité, et pas seulement parce que Charlie a eu une relation dans le temps avec Amy. Les Sumner représentent l’argent, c’est eux qui donnent ou non du travail à quelques villageois. Sans dire qu’il s’agit d’une lutte des classes il y a une haine assez évidente. David ne manque pas d’ailleurs de moquer le pasteur en le désignant comme un escroc. 

    Chiens de paille, Straw dogs, Sam Peckinpah, 1971 

    La major Scott doit intervenir pour calmer Tom 

    Il y a tous les ingrédients d’une violence nécessaire à purger une situation délétère. David est un non violent, du moins c’est ce qu’il croit. Il se présente comme un intellectuel, un peu gringalet, dominé par la force brute de Charlie et de ses amis. Mais il va se révéler prie qu’eux, les tuant tous sans remords. La dernier image David se dit satisfait de ses actes, alors que quelques séquences avant, il semblait très ému de la mort d’un oiseau qu’il avait abattu d’un coup de fusil. C’est au fond Amy qui l’a poussé à se découvrir comme un homme violent et impitoyable. Il n’hésitera pas à referme le piège à loup sur la tête de Charlie. Mais cette violence n’est pas gratuite, au-delà de la nécessité de survie, il y a la volonté bestiale de reconquérir sa femme. Ce sera son trophée, révélant que sous ses dehors très policés, couve une volonté de tuer semblable à celle des hommes préhistoriques. Il y a d’ailleurs une séquence au début où nous voyons David se délecter de la force que la major impose à Tom pour le faire rentrer dans le rang. Au fond il envie ces hommes hyper-virils qui d’une manière ou d’une autre impose leur loi, et c’est Amy qui va le pousser dans ce sens. C’est donc l’histoire d’une transformation. La nécessité pousse David à abandonner ses illusions sur la non-violence, et il comprend qu’il aime ça. Sa victoire contre Tom, Charlie et leur bande, lui donne bien plus de satisfaction que les relations sexuelles moroses qu’il peut avoir avec son épouse. Vers la fin il aura un geste de propriétaire dans la façon qu’il aura de poser sa main sur la tête d’Amy, alors que tout est fini pour les agresseurs. Ce sont ces hommes primitifs d’un village de paysans qui lui ont appris la supériorité de la force brutale sur celle des intellectuels. Il le comprend seulement progressivement, au départ il ne comprend pas la haine violente qu’il rencontre dans les yeux des villageois qui se moquent ouvertement de lui. 

     Chiens de paille, Straw dogs, Sam Peckinpah, 1971 

    Am, volontiers provocante, montre ses seins à ceux qui travaillent à la toiture du garage  

    Il y a deux séquences extrêmement violentes dans le film, le double viol d’Amy et bien sûr le siège de la maison des Sumner. C’est sans doute le viol qui a le plus choqué le public, parce qu’Amy qui se défend mollement, est à la fois effrayée et attirée par le viol. Evidemment quand Norman passera derrière Charlie pour sodomiser Amy et finir le travail, il n’y a plus aucune ambigüité. La réalité a débordé le fantasme et l’humiliation sera fortement ressentie. Mais ce viol est aussi présenté comme la conséquence de ses provocations aussi bien que du manque d’intérêt que son mari manifeste pour elle, trop absorbé qu’il est par son travail. D’un autre côté on peut voir aussi ce viol comme le résultat, la punition, d’Amy pour s’être éloignée de son mari, n’avoir pas cru en lui. Jusqu’à ce que David commence à tuer les assaillants les uns derrière les autres, elle le regarde comme un moins que rien, un incapable. Elle le méprise. La suite va lui révéler qu’elle a eu tort de persister dans cette attitude. Le siège de la ferme dure très longtemps, il est minutieusement filmé et organisé. Il va démontrer qu’au fond la force brutale des fusils ne suffit pas face à l’intelligence et au courage d’un petit gringalet de mathématicien. Mais ce siège à une autre signification en dehors de révéler la vraie personnalité de David. C’est aussi une double métaphore, celle d’un assaut en règle de la civilisation par les barbares, et celle des forces du passé – la vieille Europe vue à travers des images de cartes postales – et celles du progrès de la civilisation. Les Anglais sont vaincus par l’Américain qui leur impose sa loi par la force après s’être montré conciliant. C’est un peu une revanche que Peckinpah prend sur la Guerre du Vietnam qui est juste en train de se terminer dans les conditions pitoyables que l’on sait. 

    Chiens de paille, Straw dogs, Sam Peckinpah, 1971

    Charlie va violer Amy, son copain Norman prendra sa suite  

    La mise en scène c’est du très grand Peckinpah. Bien qu’il ait changé au moins trois fois de directeur de la photographie, le film a conservé toute son unité esthétique. Dès le début, le calme du village reflète une tension difficile à soutenir. Il alterne les gros plans sur les regards et les positions des corps des villageois qui agissent comme un défi. Comme à son habitude Peckinpah multiplie les angles de prise de vue avec un découpage très serré. Les plans sont très courts, et quand ils s’allongent un peu, par exemple quand David est à la chasse, cela fait monter justement l’angoisse du spectateur qui comprend qu’il a été éloigné sciemment de sa maison. Il y a un étirement du temps qui est très fort. Ce n’est pas la peine de dire toute la science de Peckinpah en ce qui concerne les scènes d’action. Les gestes sont rapides et très décomposés. Mais il y a aussi une crudité dans la violence qui avait été à cette époque très remarquée et très commentée. Les paysages ne reflètent en rien le caractère paisible de la campagne des Cornouailles, mais au contraire l’hypocrisie et la peur. La tension est aussi très palpable dans la manière de filmer le pub. Tout le monde à peur des réactions de Tom Hedden, un soiffard invétéré. Les objets anciens, patinés par le temps, joue un rôle important dans ce qu’ils annoncent : quand David fait accrocher le piège à loup au-dessus de la cheminée, on comprend bien à qui il est destiné. Comme toujours chez Peckinpah il y a une sorte de maniaquerie dans la manière dont les objets sont filmés. Ils ne sont pas neutres, ils sont tous des armes par destination, y compris le whisky ! Peut-être plus encore que The wild bunch, Straw dogs a fait école dans le traitement de la violence, c’est du moins ce qu’en dit Quentin Tarantino

    Chiens de paille, Straw dogs, Sam Peckinpah, 1971

    Amy veut que David livre Henry Niles à Tom et ses amis  

    Peckinpah était aussi un très grand directeur d’acteurs. L’interprétation est dominée par Dustin Hoffman. On sait que c’est lui qui a insisté pour avoir le rôle. Mais ce n’était pas le premier choix de Peckinpah. Ce dernier aurait plutôt préféré le grimaçant Nicholson ou même Sidney Poitier, mais c’eut été moins intéressant. Dustin Hoffman est très petit, il n’en impose pas par son physique, et on comprend ainsi mieux le dépassement puis la transformation de David. Pour lui c’est très dur de soulever un fusil et de tirer dans le tas. Il a beaucoup de subtilité dans son jeu, par exemple quand il cache son ennui en faisant semblant de plaisanter avec sa femme. Il s’est beaucoup impliqué dans le film, et on dit même qu’il a contribué aussi au scénario. Si on ajoute que Peckinpah se retrouve dans tous ses films, David est comme lui, un homme faible qui recherche sa virilité. Et dans ce rôle Dustin Hoffman est tout à fait juste. Amy est incarnée par Susan George qui est excellente, c’est une artiste britannique qui n’a pas fait une grande carrière, elle habite tout à côté de St. Buryan, le village où le film a été tourné, mais elle a trouvé là le rôle de sa vie. Dustin Hoffman ne voulait pas d’elle, la trouvant un peu trop « blonde ». Mais justement c’est ce côté un peu écervelé qui construit une asymétrie intéressante entre les deux principaux protagonistes. Les seconds rôles sont tous des acteurs britanniques, et ils sont tous plutôt bons. Peckinpah a aussi fait tourner des habitants de St. Buryan, ce qui renforce manifestement le côté couleur local du film. 

    Chiens de paille, Straw dogs, Sam Peckinpah, 1971 

    Tom a tué le major  

    Bien que le film ait été désavoué par l’auteur du roman, et qu’une partie de la critique l’ait trouvé bien trop violent, il a été un beau succès à travers le monde. Il faut dire que Dustin Hoffman était à l’époque une grande vedette et qu’il pouvait amener de forts investissements, ce qui donnait une grande liberté pour le réalisateur. Peckinpah qui était aussi alcoolique, était un homme difficile à vivre, particulièrement pour les producteurs, pas seulement parce qu’il manifestait l’indépendance d’esprit d’un créateur, d’un artiste, mais aussi parce que c’était dans son caractère de se retrouver en guerre avec tout son entourage. Sur le tournage il avait dû d’ailleurs être hospitalisé pour ses excès de boisson. Ce film appartient encore à la période heureuse de Peckinpah, il va ensuite tourner coup sur coup deux films avec Steve McQueen qui marcheront encore très bien, puis il ira de difficulté en difficulté, aussi bien pour trouver des producteurs que pour trouver du succès. Devenu cocaïnomane, il ajoutera la paranoïa à ses nombreux défauts. Mais rien ne pourra lui enlever son talent. James Coburn qui a beaucoup tourné avec lui, et donc qui s’est aussi beaucoup disputé avec lui, disait que compte tenu de son talent, il n’avait pas tourné assez de films.  Je le crois aussi. 

     Chiens de paille, Straw dogs, Sam Peckinpah, 1971 

    Charlie sera tué par le piège à loup  

    Quoi qu’il en soit, Straw dogs est sans aucun doute un des meilleurs films de Peckinpah qui au fil du temps est devenu une sorte de classique. Quelque soit l’angle sous lequel on le regarde, c’est un très grand film, ambigu à souhait, mais aussi une grande leçon de cinéma. Il se bonifie presqu’à chaque vision qu’on assiste. Le spectateur est mis à rude épreuve, déséquilibré tout au long du film, même si on l’a déjà vu plusieurs fois, on est encore obligé de s’interroger sur la violence et l’esthétique qu’elle suggère. Le film de Peckinpah est tellement devenu une référence, qu’il y a eu un misérable remake en 2011, sous la direction de Rod Lurie, mais celui-là on peut l’oublier très facilement. Notez que quelques temps auparavant Peckinpah avait été sollicité pour diriger Deliverance. Mais cela ne s’était pas fait, c’est John Boorman qui s’y était collé, avec le succès que l’on sait. Or Straw dogs et Deliverance sont deux films emblématiques sur la violence. Une occasion de répéter que le cinéma des années soixante-dix c’était tout de même très intéressant. 

     Chiens de paille, Straw dogs, Sam Peckinpah, 1971 

     

     

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