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    C’est le deuxième roman d’Annabelle Léna, marseillaise de naissance et de cœur.  Rognes qui a passé la cinquantaine,  est un commissaire de police qui enquête sur l’assassinat d’une sorte de maquereau à qui on a planté un poignard dans le cœur. Plutôt déprimé depuis la mort tragique de sa femme, il traîne son amertume et ne semble plus guère motivé par son travail. Cependant un élément de la scène du crime va éveiller son attention : il s’agit d’une vieille photo de famille qui semble avoir été prise à la Ciotat, du temps que la ville abritait des chantiers navals.

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    Commissariat sur la Canebière dans les locaux de l'ancien hôtel Noailles

     

    Enfin (tous) réunis vise à allier une intrigue déroutante avec le portrait psychologique d’un homme à la dérive. Car quoiqu’il existe toute une galerie de personnages divers et variés, Rognes est bien le pivot de cette histoire. L’ensemble lorgne du côté des romans noirs à la William Irish ou à la Marc Behm. Plutôt neurasthénique, il met en scène la détresse d’un homme qui n’a jamais su faire le travail du deuil pour des raisons d’ailleurs importantes et qui seront explicitées tout à la fin.

    Polar marseillais, on assiste à la description de quartiers moins souvent utilisés comme le quartier Noailles par exemple. Il fonctionne comme une dérive assez lente où ne se croisent que des personnages hostiles, ou du moins qui paraissent tels. Il y a deux histoires qui se croisent, l’enquête visant à découvrir le ou les criminels qui assassinent des maquereaux, et la quête du commissaire Rognes à la recherche de lui-même. Dans ce deuxième aspect, il y a quelque chose de fantastique, un peu comme dans un rêve ou un cauchemar. Sa relation avec Sandra, une autre femme perdue, est à l’image de ce chaos.

    Si l’ouvrage a un peu de mal à démarrer, par la suite le rythme s’accélère et le dernier tiers donne d’excellentes séquences comme la confrontation entre Rognes et l’arriviste Ranc qui veux prendre sa place, ou encore la traque de l’Orphelin. Bien évidemment il ne faudra pas chercher trop de réalisme dans cette histoire, les personnages qui évoluent dans le milieu de la prostitution ne correspondent en rien à la réalité, fut-elle marseillaise. Ils servent seulement de décor à l’écroulement de la vie du commissaire Rognes.

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    Une petite remarque finale qui concerne plus l’éditeur que l’auteur, la mise en page n’est pas tout à fait à la hauteur. La quatrième de couverture est difficile à lire et les retraits de paragraphes sont un peu fantaisistes, ce qui donne un côté un peu mal fini à l’ensemble.

     

    Le lien ci-dessous mène à une interview d’Annabelle Léna qui permet de la mieux connaître :

     http://www.mandor.fr/tag/annabelle+lena

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    Extrait de La vie à en mourir, lettres de fusillés 1941-1944, Tallandier, 2003.

     

    Mes amis,

    Ce soir, je vais mourir ; à 9 heures, on m’exécutera. Je n’ai pas peur de quitter la vie, je ne veux pas attacher ma pensée sur la douleur atroce que cela m’est de vous quitter tous, mes amis.

    J’écris en même temps deux lettres, à papa et maman et Frédo – ceci est pour vous, Monette chérie, pour toi ma tante Maimaine, pour ma Claude moitié de moi-même, pour mes bien-aimés Marianne et Michel, pour toi mon Gérard, pour vous mes chéries… et vous tous.

    J’écris deux autres lettres – arriveront-elles ? Je pense aussi à Berthe et à tous ceux que j’ai aimés.

    Madame Dreyfus est la dernière amie que j’ai vue avant de quitter le sol français. Je l’embrasse.

    Beaucoup de mes camarades vous renseigneront sur ce qu’a été ma captivité. Je ne vous la raconte pas. Je n’en ai d’ailleurs pas envie. Ce que je veux, c’est vous dire au revoir. Je peur sans peur. Encore une fois, la seule chose affreuse, c’est de se quitter. Je serai très forte jusqu’au bout je vous le promets. Je suis fière de tous ceux qui sont déjà tombés, de tous ceux qui tombent chaque jour pour la libération.

    Je vous demande à tous d’entourer papa et maman, de rester près de Frédo, de m’élever mon fils adoré. Il est à vous tous. Si tante Mamaine continue à voir Eliane, j’en suis heureuse. Merci à tous mes amis bien-aimés.

    J’ai eu des amis et un amour, vous savez, et je meurs pour ma foi.

    Je ne faillirait pas. Vous verrez tout ce que je ne verrai pas. Voyez-le et pensez à moi sans douleur. Je suis très calme, heureuse, je n’oublie personne. S’il y en a que je n’ai pas nommés, cela ne veut pas dire que je les oublie. Je pense à vous tous, tous. Je vous aime, mes amours, mes amis, mes chéris, mon Roland.

    France

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    José Giovanni participant à un tournoi d’échecs

     José Giovanni est un auteur des plus importants dans la Série noire et plus généralement dans le film et la littérature noirs. Si son œuvre littéraire et cinématographique est inégale, une partie de celle-ci est de excellente, que ce soit ses premiers ouvrages publiés chez Gallimard ou les quelques films que j’ai pu critiquer sur ce blog. Mais sa vie est aussi un roman noir et une tragédie. Il se trouve que par ailleurs j’ai assez bien connu José Giovanni – encore qu’on puisse se demander si on ne connaît jamais bien quelqu’un.

    L’excellente revue Temps noir, vient de publier son numéro 16 dans lequel de longs développements sont consacrés à José Giovanni. Frank Lhomeau qui explore les arcanes de la Série noire et qui en refait l’histoire, notamment en s’intéressant aux auteurs français, avance un certain nombre de faits. José Giovanni aurait été membre du PPF, et pire encore il se serait livré à des actions criminelles sous son couvert. Il ajoute également que les actions qu’il a revendiquées, comme le passage de Juifs en Suisse, ou des actions anti-allemandes du côté de Nantes, seraient seulement des inventions.

    Il est vrai qu’avant ces révélations de Frank Lhomeau, plusieurs indices laissaient entendre que le passé de José Giovanni au moment de l’Occupation était plutôt trouble. En 1993, un journaliste suisse avait rappelé les condamnations de José Giovanni.

    Quels sont ces faits ? Le premier est sans doute que José Giovanni a été soutenu dans ses débuts littéraires par Stephen Hecquet, qui avait ouvertement choisi la Collaboration, qui était aussi son avocat et un ami de Roger Nimier. Au passage on peut se demander quel a été le rôle justement des gens comme Stephen Hecquet et Roger Nimier dans le recyclage des anciens collabos du côté de la Série noire.

     

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    Ensuite, il y a évidemment le magnifique ouvrage de José Giovanni, Classe tous risques. Cet ouvrage n’aurait aucune signification politique particulière si le personnage principal ne se nommait Abel Davos – à peine démarqué du véritable Abel Danos qui fut un collaborateur assidu de la rue Lauriston et qui fut même photographié avec l’uniforme allemand. Certes, Abel Danos ne semblait pas être très impliqué idéologiquement dans la mise en place des nouveaux régimes en Europe, et qui semble plutôt avoir agi par opportunisme. La question qui se pose et pour laquelle on n’a pas de réponse, c’est pourquoi José Giovanni a-t-il choisi de conserver une référence transparente à un personnage condamné à mort pour des faits avérés d’intelligence avec l’ennemi. Est-ce pour rappeler les ambiguïtés de la Libération ? On sait par exemple que Danos fit équipe avec Raymond Naudy – qui porte le nom très transparent de Raymond Naldy dans l’ouvrage de José Giovanni – qui participa activement à des actes de Résistance. C’est très curieux d’appeler ses personnages Abel Davos et Raymond Naldy, alors que leur comportement n’a strictement rien à voir avec les personnages réels dont ils sont plus ou moins inspirés.

    Egalement on peut pointer du doigt le fait qu’il s’était inscrit dans les Chantiers de Jeunesse, groupe Jeunesse et montagne, où il semble avoir pris justement le goût de la montagne.

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    On savait également que le frère de José Giovanni, Paul Damiani, avait été un membre de la Milice, probablement proche de la rue Lauriston. Mais on ne savait pas que José Giovanni ait été impliqué en quoi que ce soit avec la Collaboration. Certes un ouvrage comme Mon ami le traître, paru en 1977, donnait une vision très ambigüe de la Résistance et de la Collaboration, mais elle avait été compensée par Le prince sans étoile, publié en 1998.

    José Giovanni n’a par ailleurs jamais caché qu’il avait été condamné à mort à la Libération pour avoir avec son oncle et son frère racketté et tué Haïm Cohen qui se serait livré au marché noir. Mais il a toujours présenté cela simplement comme un crime de droit commun, laissant entendre qu’il avait été entraîné dans cette affaire par son oncle et par son frère.

    Ce qu’on savait moins  c’est qu’il avait été condamné pour trois affaires distinctes. La première est liée à son inscription au PPF, avec celui-ci il aurait donc participé à des arrestations de Français d’origine étrangère. Egalement il a été jugé pour avoir racketté à Lyon avec un dénommé Orloff – nom qui servira à un personnage très probe et élégant du Deuxième souffle – des négociants juifs en 1944.

    Ces révélations s’appuient sur les archives de la justice, et donc elles ne souffrent guère la contestation. Il reste beaucoup de points obscurs pour autant. Le premier est factuel, pourquoi José Giovanni est-il venu à Marseille où il se serait inscrit au PPF sur l’instigation de son père ? Cette question est importante parce que son frère lui était resté à Paris et les collaborateurs de la rue Lauriston y sont restés eux-aussi jusqu’au bout. A l’évidence il n’appartenait pas à ce cercle. Après l’arrestation du gang qui avait torturé et tué Haïm Cohen, son frère s’évadera, puis se fera flinguer dans un bar de Nice, mais lui sera arrêté pour s’être blessé avec sa propre arme.

    Ce sombre passé est lié aux années de jeunesse de José Giovanni. Né en 1923, il avait à peine vingt ans lorsque ces fiats se sont passés. Et bien sûr on se dit que José Giovanni aurait tout aussi bien pu regretter ouvertement des actions de jeunesse en les mettant sur le compte des temps troublés. Sauf que cet aveu lui aurait valu les pires ennuis, car on aurait été examiné justement l’ensemble des trois affaires pour lesquelles il a été jugé.

    Quand j’ai connu José Giovanni dans les années quatre-vingts, je ne savais rien évidemment de tout cela. J’ai discuté pendant de longues heures d’un peu de tout et d’un peu de rien. De cinéma bien sûr, de littérature, et aussi de politique.

    C’était un homme plutôt cultivé qui avait fait de bonnes études secondaires au lycée Janson de Sailly, interrompues par la guerre. Homme ouvert et très curieux d’un peu tout bien sûr une grande partie de sa culture relevait de l’autodidaxie. Mais en tous les cas ses références culturelles n’avaient rien à voir avec les références habituelles de l’extrême-droite. Bien au contraire, tout son discours allait dans le sens d’une vision anarchiste, donc critique des formes autoritaires du pouvoir. De la même manière, je ne l’ai jamais entendu produire une réflexion raciste, au contraire, il racontait à quel point le peuple gitan qu’il trouvait maltraité, lui plaisait. Du reste, il intitula un de ses films Le gitan. Je ne pense pas qu’il cherchait à me vendre quoi que ce soit, ni même à me démontrer quelque chose.

    Il m’a seulement parlé à mots couverts de son action dans la Résistance du côté de Nantes pour me dire qu’il avait à c e moment-là pris des risques importants. Sur le plan politique il était assez critique vis-à-vis de son ami Lino Ventura qu’il trouvait tout de même un peu trop à droite !

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    Cependant, pour qui sait lire entre les lignes, José Giovanni n’a jamais été un collaborateur, et surtout pas de conviction.

    Deux points me semblent importants : d’abord le fait qu’il a été condamné à mort pour un crime de droit commun à l’encontre d’un juif, mais ce juif-là était justement un collaborateur qui travaillait avec le bureau d’achat allemand, et le moment où ce crime a été commis intervient juste après la Libération, ce qui veut dire qu’on ne peut pas le classer comme un crime collaborationniste. Ensuite, le fait que José Giovanni donne dans ses mémoires, notamment Il avait dans le cœur des jardins formidables, qu’il appelle d’ailleurs roman, Antonini, Marcel Benda et Valcourt, qui ont témoigné de ses activités de résistant lors de ses multiples procès.

    Enfin, dernière pièce apportée au procès, quand on lit, Il avait dans le cœur des jardins formidables, ou même ses Mémoires, il est évident que José Giovanni regrette son passé d’avant sa condamnation. Il considère qu’il y avait le jeune et violent Joseph Damiani, tête brûlée qui manquait de discernement et ensuite à partir de la publication du Trou José Giovanni, un autre qui essaya, même si ce fut un peu difficile au début de s’éloigner de ce passé maudit et encombrant. Il attribue ses errements et ceux de son frère principalement à son oncle qui se réfugia en Espagne à la Libération. Pour lui c’est important car Santos était le frère de sa mère, et tout son ouvrage lui sert aussi à réviser l’image qu’il a eu trop longtemps de son père, il signale que comme de nombreux adolescents il avait choisi dans les querelles familiales le côté de sa mère. Ces souvenirs sont du reste centrés sur la mécanique d’une famille fracturée, ce qui n’est pas une excuse, mais peut être une explication.

    Mais il y a d’autres faits plus connus qui démontrent assez facilement qu’il ne pouvait plus être considéré comme un homme d’extrême droite, quel que fusse son passé par ailleurs. Plusieurs de ses films, Le rapace, Où est passé Tom, sont des critiques sans illusion des formes autoritaires du pouvoir. Au moins trois de ses films sont des plaidoyers contre la peine de mort, Un aller simple, Deux hommes dans la ville et bien sûr Mon père, il m’a sauvé la vie.

    Par ailleurs il était aussi très lié à Alain Corneau qui lui était un militant révolutionnaire d’extrême gauche.

    La revue Temps noir, toujours dans son dernier numéro, publie également une très longue interview de Bertrand Tavernier qui travailla avec lui et qui fut son ami pendant de longues années. Celui-ci ne croît pas une minute au passé de collabo de José Giovanni, il le défend d’une manière attachante, ce qui équilibre la vision que Frank Lhomeau développe par ailleurs. Ce qui veut dire qu’à tout le moins cette question n’est pas vraiment réglée et que le passé de José Giovanni recèle encore bien des mystères.

    Je ne sais pas si tout cela permet de mieux comprendre José Giovanni. En tous les cas pour moi il n’était pas, au moment où je l’ai connu, un homme d’extrême-droite, comme Audiard, Simonin qui restera sur ses positions politiques jusqu’à la fin de sa vie, ou Ange Bastiani. Il était plutôt lié à Auguste Le Breton dont il parlait volontiers, décoré quant à lui pour faits de résistance, et quand il mit en scène Mon ami le traître il fit appel à Claude Sautet et Alphonse Boudard pour l’écriture du scénario, deux hommes qui n’ont jamais rien eu à voir avec l’extrême droite.

     

    Sur Abel Danos, on peut lire le très bon livre d’Eric Guillon, Abel Danos, dit le Mammouth, Fayard, 2006.

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    Robert Parrish est un réalisateur qui a assez peu tourné, mais dont la cote est très élevée chez les tenants de la politique des auteurs, même si au bout du compte on peut penser que son œuvre est assez surestimée. Parmi son éclectique filmographie, on a surtout retenu L’aventurier du Rio Grande avec Robert Mitchum. Mais il a fait quelques incursions intéressante dans le film noir, comme The Mob, ou encore Cry danger.

    Growing up in Hollywood est le premier tome de ses mémoires. Malheureusement le second tome, Hollywood Doesn't Live Here Anymore, 1988, n’a pas été traduit en français. Donc on restera sur notre faim parce que ce premier volume retrace seulement la longue marche de Robert Parrish vers le statut de réalisateur. Ce volume est préfacé par Bertrand Tavernier qui a été l’ami de Parrish et qui tourna même un film avec lui, Mississipi Blues.

    C’est tout de même un ouvrage intéressant par plusieurs aspects. D’abord parce que Parrish a exercé presque tous les métiers à Hollywood. Très jeune il a été figurant, notamment tournant avec Chaplin. Puis il a été monteur, obtenant même un oscar dans cette catégorie pour Body and Soul de Robert Rossen. C’était pour lui l’école de la mise en scène. Et certainement cette formation se retrouve dans ses réalisations qui ont toutes un rythme particulier.

    C’est donc la description d’un Hollywood assez insouciant malgré la dureté des temps. Parrish va débiter ses rencontres, notamment son amitié avec John Ford que manifestement il considère comme un des plus grands réalisateurs. Un passage assez intéressant est la description de ce qu’il a ressenti au moment de la chasse aux sorcières. A cet égard il rappelle combien Cecil B. De Mille était une crapule imbécile, mais il évite de prendre une position assez tranchée. Bien qu’il ait travaillé avec des réalisateurs de gauche comme Robert Rossen, il ne veut jamais paraître engagé. Preuve assez évidente qu’il avait intégré les mécanismes de l’autocensure.

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          Avec Rita Hayworth sur le plateau de L’enfer des tropiques

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    L'Empire state building, construit pourtant au moment de la Grande dépression, est devenu un symbole du capitalisme triomphant, son  nom même semble renvoyer aussi à l'empire américain. Pourtant c'est un ouvrage sombre et mélancolique qui n'a rien de triomphant.

    Mais d'emblée Thomas Kelly annonce la couleur en dédiant son ouvrage aux ouvriers qui sont morts justement dans ce travail dangereux, et les conditions dans lesquelles il a été construit sont celles d'une société corrompue. Dans Le ventre de New York Thomas Kelly racontait la dangerosité du travail des ouvriers du caisson qui creusaient des tunnels en dessous de la ville dans des conditions difficiles. Ici c'est dans les airs que ça se passe puisque l'édifice s'élève à près de 400 mêtres de hauteur. S'il ne fallait pas être claustrophobe pour travailler sous la terre, il ne fallait pas non plus avoir le vertige pour s'employer à édifier cette tour monstrueuse, et comme le dit Broidy, les personnes normales ont le vertige. 

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    C'est donc dans un univers d'hommes, de vrais hommes, qu'on va se retrouver. Un univers qui plaît manifestement à Thomas Kelly. Pas tant qu'il apprécie l'édifice en lui même, mais plutôt parce que cette construction demande de l'habileté, du courage, et aussi de la solidarité entre les équipes. Les conditions d'emploi sont pourtant sauvages, et les ouvriers qui luttent pour leur émancipation sont réprimés par des bandes armées qui vont jusqu'au meurtre. Mais les ouvriers sont bien contents de travailler tant l'embauche à cette époque est rare et qu'il est facile de sombrer dans la misère si on n'a pas de travail.

    C'est un roman difficile à résumer tant les personnages sont nombreux et les péripéties éclatées. C'est un roman choral, organisé autour de la romance entre Briody, ouvrier le jour, mais combattant de l'ombre la nuit pour la cause d'une Irlande libre, et Grace, la maîtrise de Johnny Farrell, l'homme qui fait la pluie et le beau temps à la mairie de New York. Dans l'ambiance de la fin de la Prohibition, il n'est question que de trafics et de rackets. Les bandes mafieuses cherchent à se tailler une place, qu'elles soient italo-américaines, ou d'origine irlandaise, ou encore juive. Et pour cela elles sont prêtes à entrer en collusion avec le capitalisme qui a pignon sur rue et qui évidemment est tout aussi malhonnête.

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    Lewis Hine a pris sur le vif les photos de la construction 

    Au moment où débute la construction de l'Empire state building, Roosevelt prépare sa campagne électorale qui le mènera à la présidence où il sera réélu trois fois, engageant aussi bien une politique nouvelle sur le plan économique, le New Deal, qu'ensuite le pays dans la guerre contre les puissances de l'Axe. Roosevelt est présent dans le livre, dès le début. On voit bien où vont les sympathies politiques de Kelly, homme engagé très à gauche. Pour lui les Républicains ne sont que des canailles qui ont menés l'Amérique au désastre. Cependant il n'est pas naïf, et il sait aussi que le parti démocrate était aussi un parti corrompu. Ainsi au début de notre histoire, on assiste à des scènes de blanchiement d'argent sous la houlette du maire de l'époque James Walker et de son âme damnée le mélancolique Johnny Farrell. Celui-ci a perdu 100 000 $ et une partie de l'histoire tourne autour de la quête de cette somme.

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    Ce sont les années de la prohibition, où pourtant l'alcool coule à flots. Marquées par la violence et la cupidité, c'est une sorte de folie qui aspire ces années newyorkaises, mais la crise est là, et cette cupidité flamboyante va cesser.

    Grace et Briody trangressent les lois, mais ils ne sont pas fondamentalement mauvais, pour des raisons diverses, ils sont entraînés dans une course sans fin qui les transforment en criminels. 

    Thomas Kelly excelle a décrire le travail, son exaltation et sa dangerosité, il n'y a plus beaucoup d'écrivains qui s'y risquent aujourd'hui, mais il a aussi du talent pour exprimer la violence d'une époque tragique.

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    Les droits d'adaptation du livre ont été vendus à Warner Bros, et Guy Ritchie devrait en être le réalisateur, ce qui n'est pas vraiment encourageant.

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    Jimmy Walker maire de New York au moment de la construction de l'Empire State Building 

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    Owney Madden un des rois de la pègre newyorkaise dans les années trente, surnommé le tueur


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