•  Asphalte, Hervé Bromberger, 1959

    Un des thèmes favoris de Bromberger est celui de la jeunesse perdue. Ici il l’aborde à travers une analyse de l’opposition entre un milieu riche et un groupe de marginaux qui reste coincé dans la misère ou qui n’arrive pas à s’en éloigner suffisamment. La plupart de ses films noirs sont marqués de cette approche en termes de classes sociales. C’est d’ailleurs cette opposition qui donner à Asphalte toute son ambiguïté. Il y a aussi chez lui cette capacité à mettre en valeur la vedette féminine qu’il a choisie. Et ici Françoise Arnoul est particulièrement bien filmée, avec admiration, tout autant qu’il adorait filmer Estella Blain dans Les fruits sauvages. C’est une manière de célébrer les femmes et de montrer combien le rôle que la société leur assigne les bride dans ce qu’elles sont profondément, et les empêchent de vivre au plus près de leurs désirs. 

    Asphalte, Hervé Bromberger, 1959 

    Nicole a retrouvé par hasard Michel 

    La jeune Nicole qui est mariée à un très riche homme d’affaires étranger, Éric, beaucoup plus âgé qu’elle, l’accompagne un peu contre son gré faire la tournée des Grands Ducs avec d’autres hommes d’affaires américains avec qui il espère signer d’importants contrats. Mais dans une sorte de dancing un peu folklorique, elle retrouve un ancien ami de sa jeunesse, Michel qui est devenu chauffeur de taxi. Le lendemain elle laisse son mari à ses affaires et retourne avec Michel dans le quartier pauvre où elle a vécu naguère. Elle fait part à Michel de son idée de revoir Gino, un ancien amour de jeunesse, qui est resté un peu truand. Elle va retrouver avec lui toute la petite bande qu’ils étaient. Le soir ils partent s’amuser, danser, et finissent la nuit chez Roger, un bistrotier un peu indic. Mais les choses se gâtent, Gino qui a un peu trop bu déclenche une bagarre autour du jukebox. Il assomme un de ses adversaires et s’enfuit. Nicole va rentrer très tard à son hôtel. Mais le lendemain elle est contactée par Roger qui tente de la faire chanter en lui faisant croire que Gino a tué l’homme qu’il avait assommé. Il lui demande beaucoup d’argent pour soi-disant l’aider à fuir et lui procurer des faux papiers. Éric a cependant chargé un de ses amis de surveiller et de suivre Nicole qui lui a demandé, contrairement à son habitude, de l’argent. Éric est d’autant plu soupçonneux qu’il comprend qu’elle lui ment quand elle lui demande de l’argent pour régler en liquide une fausse facture dans une boutique. Mais comme le temps presse, elle finit par rejoindre Roger, elle lui propose une bague très chère que lui a offert Éric. Il prend la bague et se moque d’elle en lui expliquant que Gino ne risque rien et que si elle veut porter plainte elle peut toujours le faire, mais à ses risques et périls. Cependant Gino va intervenir : une bagarre éclate et Gino tue Roger en s’emparant de son révolver. Éric intervient à son tour pour récupérer Nicole avec qui il va repartir pour l’étranger. C’est Michel qui rétablira la situation en récupérant la bague sur le cadavre de Roger et en la portant à Nicole in extremis alors qu’elle prend l’avion. 

    Asphalte, Hervé Bromberger, 1959

    Ensemble ils retournent dans le quartier de leur jeunesse 

    Ce film est assez peu connu, en tous les cas il est plutôt méprisé par la critique, oublié. Mais puisqu’on s’applique à réhabiliter Bromberger, nous devons le prendre au sérieux, et il est probable que sa valeur cinématographique a augmenté dans le temps. En effet, l’intrigue est relativement simple, et donc tout va se jouer sur les oppositions et la mélancolie que cela peut engendrer. Ce que nous voyons à l’écran, c’est d’abord une France en mouvement qui est en train d’éradiquer la misère et ce faisant, elle va niveler les quartiers et les modes de vie, ne laissant guère de chance à ceux qui persistent dans leur volonté de vivre dans la marge. C’est une modernisation à marche forcée, sujet qui occupera le cinéma de nombreuses années, et dont on peut voir des traces dans des films noirs comme Le deuxième souffle de Melville ou Max et les ferrailleurs de Sautet. A mon sens c’est cela le vrai sujet du film, plutôt que le bovarysme sous-jacent de Nicole. Celle-ci vient donc d’un milieu pauvre, elle en a la nostalgie, et pour tout dire elle s’ennuie à vivre dans le luxe à côté d’un mari trop âgé pour elle et qui a toujours l’air de s’ennuyer lui aussi. Quand elle va retrouver son ancienne bande, restée tributaire de son ancien quartier, elle va beaucoup s’amuser, danser, comme elle ne l’a pas fait depuis longtemps. Quand elle est avec Michel ou avec Gino, elle revit, c’est sa jeunesse qui se laisse aller. Avec Éric, elle a toujours une attitude compassée qu’elle calque sur lui d’ailleurs. Ils ne dorment même pas dans le même lit et se vouvoient. Gino a peut-être mal tourné, mais elle est très contente de le revoir, et lui aussi. Et puis il est bien connu que les femmes aiment les voyous. Cependant si Nicole représente le lien entre les deux milieux qui forment la société, elle va se trouver dans l’obligation de choisir, et ce choix cornélien la mènera à rester avec Éric qui représente si bien la sécurité matérielle. C’est une manière de renier son passé. 

    Asphalte, Hervé Bromberger, 1959

    Nicole retrouve Gino dont elle avait le béguin plus jeune 

    Nous voyons donc une jeune femme qui n’arrive pas à briser la dépendance à l’argent de son mari. Quand elle tente de s’occuper de sauver Gino bien maladroitement, elle s’humilie à lui demander de l’aide, mais elle prend bien garde cependant de ne pas lui donner les raisons de son besoin d’argent, sans doute se méfie-t-elle de lui. Elle aime Gino parce que c’est un voyou et pas un homme d’affaires, parce que c’est un perdant ! C’est que dans cette époque de la fin des années cinquante, Gino n’a pas d’avenir, on peut même dire qu’il se suicide par sa conduite inconséquente qui va le mener certainement en prison. Il vit dans la périphérie, et on verra commencer à s’avancer la construction de cités modernes sur les ruines des fortifications où déjà les bohémiens qui y campent vont être chassés. Cette modernité galopante et envahissante, on la verra aussi surgir d’un juke-box : c’est le moment où une partie de la clientèle choisit de danser plutôt sur du bop que sur des valses et des tangos. Ce que l’on voit c’est l’explosion de la jeunesse, en quelque sorte cette jeunesse qui va devenir si remuante dans les années soixante, soit avec les bandes de blousons noirs, soit en faisant de la politique puis Mai 68. Gino dira d’ailleurs que le travail il n’en voit pas vraiment la nécessité, il préfère les incertitudes de ses petites combines ! Avec le recul, on pourrait dire que la Guerre d’Algérie a juste un peu reculé le moment où cette jeunesse allait exploser en l’occupant loin de la métropole. La position de Nicole entre ces deux mondes est intenable, et c’est bien cela qui la rend intéressante par sa mélancolie. La fin se veut faussement rassurante, les deux époux vont se retrouver, mais on sent plus la cohabitation que la fusion. Elle renforce la mélancolie de Nicole. 

    Asphalte, Hervé Bromberger, 1959

    Éric constate que sa femme n’est pas rentrée 

    Comme à son habitude Bromberger utilise très bien les décors réels, ceux de la zone en train de disparaitre, sans pour autant s’y attarder. Il les oppose à ce qui semble être l’Hôtel Crillon, le palace préféré d’Orson Welles, avec ses hautes fenêtres qui donnent sur le vaste espace de la place de la Concorde, et son trop grand luxe. A côté de cela il y aura les petits bistrots un peu crasseux, dont celui de Roger d’ailleurs, où grouille une faune bigarrée, mais vivante. Il se sert beaucoup des miroirs, comme s’il voulait souligner les mensonges, aussi bien ceux de Nicole que ceux d’Éric qui ne survit que par la puissance de son compte en banque. La photo est très bonne, elle est due au fidèle Roger Hubert, la mise en scène est très fluide et dynamique. On l’avait déjà remarqué, Bromberger aime filmer les scènes de foule. Là on est servi ! On verra une Françoise Arnoul déchaînée danser le bop au milieu d’une jeunesse endiablée. Mais on aussi des valses et des javas. Dans c e genre de scène il ne faut pas se rater pour pouvoir donner du volume à l’image si on peut dire puisqu’en même temps que les danseurs se déplacent, la caméra doit le faire aussi. Dans les scènes d’actions, Bromberger évite souvent de filmer le coup de feu ou le coup de poing pour s’attarder sur le résultat. Sans être un film fauché, c’est tout de même un film à petit budget. 

    Asphalte, Hervé Bromberger, 1959

    Roger s’emploie à faire chanter Nicole

    Le film est fait pour Françoise Arnoul. Rien que pour elle le film vaut le déplacement. Elle avait beaucoup d’amateurs, mais elle n’a pas eu la carrière qu’elle méritait. On dit qu’elle est souvent arrivée trop tôt ou trop tard, coincée entre deux générations, pour aller vite entre la très sage Michèle Morgan et la sulfureuse Brigitte Bardot. Elle a un côté à la fois sexy et sauvage, une sensualité indéfinissable puisqu’elle ne montrera rien de son corps dans ce film. Ce n’est pas qu’un corps et qu’une paire de seins qui pointe, c’est aussi une bonne actrice. Et en plus elle danse bien ! Elle est peut-être moins à l’aise dans les scènes où elle est confrontée à son mari, mais dans l’ensemble elle tient le film sur ses épaules. Coproduction franco-italienne, le rôle du mari vieillissant et inquiet est dévolu au raide Massimo Girotti. Il n’a pas l’aisance qu’il avait montrée dans Ossessione[1]Mais comme il joue un mari inquiet et un peu jaloux sans le dire, ça passe finalement. Ce sont les vieux amis de Nicole qui sont plus intéressants et qui volent la vedette à Massimo Girotti. D’abord Jean-Paul Vignon qui joue Michel, l’ami fidèle et peu exigeant. Il est très bien. On ne l’a jamais beaucoup vu en France, il était parti après une petite carrière de chanteur tenter sa chance aux Etats-Unis et ça lui avait assez réussi. Marcel Bozzuffi joue Gino. A cette époque il a fait une quantité industrielle de films noirs ou policiers. Là il joue le jeune révolté qui vit de rapines et refuse de travailler. C’est un bon acteur, sérieux, énergique toujours très présent. Le fourbe Roger, c’est Georges Rivière, un autre bon acteur qui a eu du mal à faire carrière et qui pourtant avait beaucoup de facilités dans son jeu. Dans des plus petits rôles on reconnaitra Dany Saval qui n’en était pas encore à jouer les folles ingénues dans des comédies et qui n’était pas encore mariée à Michel Drucker, ici elle joue les garces jalouses qui provoquent des désastres autour d’elles. Jean-François Poron et Roger Dumas, des habitués des films de Bromberger sont aussi de la distribution. 

    Asphalte, Hervé Bromberger, 1959

    Gino a tué Roger 

    C’est un bon film, intéressant, bien joué et bien filmé. Si la critique l’a boudé, à l’époque elle n’en avait que pour les films étrangers, principalement américains, le public l’a suivi et a assuré son succès. Ce n’est peut-être pas le meilleur de Bromberger, mais on peut l’apprécier sans retenue aucune. On se rend compte qu’au fil des années sa mise en scène est devenue beaucoup plus fluide.

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  •  La bonne tisane, Hervé Bromberger, 1957

    Pour sa première adaptation de Jean Amila qui signe encore John Amila à la Série noire, Bromberger va choisir un thème assez bien balisé. C’est le thème du vieux caïd vieillissant qui règle ses comptes avec le milieu, typique du film noir à la française depuis au moins Touchez pas au grisbi. L’année précédente, Le rouge est mis, toujours avec Gabin a eu un grand succès. L’ouvrage de John Amila ne brille pas par son originalité, et le style n’est pas non plus très travaillé. Il a sans doute été écrit très vite. Mais c’est clairement un film noir, et comme on va le voir il s’intéresse aussi à l’hôpital où les conditions de travail paraissent harassantes. 

    La bonne tisane, Hervé Bromberger, 1957 

    René Lecomte, un caïd un peu vieillissant, revient de l’étranger dans l’espoir de reprendre sa place et de régler ses comptes avec Lino. Il est accueilli à l’aéroport par sa femme Germaine et Roger, son homme de barre. Pendant ce temps là, Thérèse, une jeune infirmière va faire sa première nuit de garde à l’hôpital. Elle est plutôt mal reçue par le docteur Augereau qui apparait comme autoritaire, macho et exigent. La nuit venue, Roger et René se rendent chez Lino, mais une fusillade éclate, René est gravement blessé, Lino et ses acolytes sont morts. Roger qui pense que René est mort retourne rendre des comptes à Germaine à qui il fait part de ses prétentions pour la succession de René. Mais Riton a lui aussi envie de se placer auprès de Germaine et de mettre la main sur sa boîte de nuit. Ils décident de retourner sur les lieux de la fusillade en espérant faire disparaitre le cadavre de René. Mais celui-ci a disparu. En fait il a rampé et s’est retrouvé à l’hôpital tout proche. Là il va être pris en charge par le personnel et le docteur Augereau va l’opérer. A son réveil René veut s’en aller de l’hôpital. Il est cependant très faible. Roger va tenter de se faire passer pour un policier et pénétrer dans l’hôpital. Là il va aider René à quitter les lieux en prenant en otage Thérèse. Cependant Riton débarque en force avec ses amis pour enlever René. Mais le docteur Augereau qui a constaté le départ de René va donner l’alerte. La police arrive, une fusillade s’ensuit, et la bande à Riton va être décimée. Pendant ce temps là Roger et René ont trouvé refuge dans la chaufferie de l’hôpital. Mais René a compris que Roger voulait le trahir. Dans la bagarre qui s’ensuit, il va le tuer. Cependant en tentant de quitter l’hôpital il va tomber sur la police et sera tué par elle dans un affrontement digne d’un western. Finalement Germaine versera des larmes de crocodile mais sera débarrassée d’un mari bien encombrant, tandis que le docteur Augereau et Thérèse s’ouvriront leurs cœurs, passent au dessus de leurs différences de classe et partent ensemble pour filer le parfait amour. Entre temps le docteur aura aussi sauvé la vie d’un jeune garçon qui semblait condamné 

    La bonne tisane, Hervé Bromberger, 1957 

    Le docteur Augereau bouscule Thérèse par ses exigences 

    L’intrigue proprement dite n’est pas très originale, mais elle vaut par son traitement singulier. Deux lignes se croisent, d’une part les affaires d’une bande de malfrats qui s’entretuent dans la bonne vieille tradition, et d’autre part la vie de l’hôpital dans son service de nuit. En donnant le même poids aux deux histoires, cela donne un côté décalé à l’ensemble et ça permet de ne pas trop s'appesantir sur les histoires du caïd sur le retour, thème fort à la mode à cette époque. Mais il y a un autre thème qui affleure, c’est l’analyse des relations de subordination qui paraissent choquantes : comme Augereau maltraite Thérèse, René maltraite aussi bien Germaine que Roger. Cependant ces personnages despotiques seront en quelque sorte vaincus, René par les armes et la ruse de Germaine, et Augereau par l’amour qu’il découvre pour Thérèse. Il est vrai qu’en ces temps là, des médecins pouvaient exiger qu’on les appellassent « docteur », et  on le faisait. Depuis de l’eau a passé sous les ponts, la hiérarchie existe toujours à l’hôpital mais elle est plus relâchée, et les femmes n’acceptent plus ce qu’elles acceptaient naturellement. Le docteur se veut sévère mais juste, paternaliste, il se charge d’apprendre les duretés de la vie à l’hôpital à la jeune Thérèse qu’il se charge d’endurcir. A travers l’analyse de ces deux milieux, on perçoit encore une opposition entre l’hôpital dont la collectivité sauve des vies, donne la vie à travers les accouchements, et le milieu qui au contraire donne la mort en déployant une logique égoïste et individualiste. A côté de ce tableau de mœurs, les intrigues entre gants apparaissent de peu d’intérêt. On insiste assez peu sur le caractère fourbe de Germaine, et les causes du massacre entre bandes rivales est assez vite oublié. Les deux milieux se rejoignent encore parce qu’ils appartiennent au monde de la nuit dont le commun n’a pas idée des duretés. 

    La bonne tisane, Hervé Bromberger, 1957 

    Roger et Riton spéculent sur la mort de René tout en surveillant la clientèle 

    Bromberger s’inspirait assez du film noir américain. Et il semble bien d’ailleurs que Melville se soit inspiré de Bromberger et de ce film en particulier pour Le deuxième souffle. Par exemple la scène de l’évasion de l’hôpital, ou encore l’affrontement entre bandes rivales. Bien que le film soit un peu fauché, il y a de très belles scènes qui valent le détour, par exemple la scène de l’évasion, puis celle où René et Roger se retrouvent dans la chaufferie et où le vieux caïd tue sans raison apparente l’employé occupé à remplir le foyer de charbon, il y a là une belle contre plongée. Dans les couloirs de l’hôpital et dans les escaliers Bromberger fait preuve d’une belle maitrise technique assez bien soutenue d’ailleurs par une belle photographie. L’usage qu’il fait également de la boite de nuit peut  être qualifié de pré-melvillien. Il ya un sens du mouvement et de l’espace. Il est bien aidé par la photographie de Jacques Mercanton qui avait déjà œuvré pour lui sur Les fruits sauvages et sur Identité judiciaire. Mais ici dans la simplicité des décors, les qualités de l’image sont encore plus évidentes. Il retravaillera encore avec Bromberger, mais il fut aussi associé aux films de Maurice Cloche, un autre cinéaste à redécouvrir à mon avis, Maurice Cloche qui a travaillé dans cet entre-deux du polar et du film noir dont le très bon Requiem pour un caïd[1]. 

    La bonne tisane, Hervé Bromberger, 1957 

    Le docteur Augereau va opérer René 

    L’interprétation est très dispersée. Bernard Blier incarne René Lecomte, mais dans ce rôle de dur il est assez peu crédible, sans doute à cause de son physique. Fort heureusement il n’est présent à l’écran qu’assez peu pour cause d’hospitalisation. Son second, Roger, incarné par le fragile Roland Lesaffre n’est pas plus convaincant, il a l’air un peu demeuré. Du côté des malfrats Henri Vilbert dans le rôle de Riton est bien meilleur, il joue les hommes de poids avec assez de justesse. Et puis il y a Madeleine Robinson dans le rôle de Germaine. C’était une grande artiste qui pouvait tout jouer, les duchesses comme les morues de bas étages. Elle a une présence incroyable. De l’autre côté on l’excellent Raymond Pellegrin qu’on a plus l’habitude de voir dans des rôles de voyous ou de maquereaux que dans celui d’un médecin honnête et dévoué au bien public. Il est très bien dans le rôle d’Augereau le médecin despotique et sûr de lui. Estella Blain qui avait déjà tourné pour Bromberger dans Les fruits défendus, c’était teinte en blonde. Certes ça lui donnait l’air un peu plus sexy, surtout qu’elle porte une blouse d’infirmière bien serrée qui laisse deviner des tétons qui pointent. Mais curieusement elle a l’air un peu éteinte. Peut-être n’était elle pas convaincu par ce rôle de Thérèse qui la faisait passer pour une oie blanche. 

    La bonne tisane, Hervé Bromberger, 1957 

    Roger et René ont pris en otage Thérèse 

    Ne prenons pas ce film à la légère, même si le croisement de deux histoires, de deux mondes, conduit un peu à la dispersion du propos, il vaut le détour et montre un savoir-faire très intéressant qui prouve que l’apport du film noir américain avait bien été intégré dans les années cinquante. Il n’existe pas de copie Blu ray, mais le DVD qui circule sous le label de René Château est très propre et rend hommage à la qualité de l’image. La mise sous le boisseau de tous ces films qu’on redécouvre aujourd’hui était le résultat d’une forme de « cinématographiquement correct » développé par une Nouvelle Vague qui se voulait élitiste et qui n’était que bourgeoise dans ses fondements. 

    La bonne tisane, Hervé Bromberger, 1957 

    La police arrive en force à l’hôpital 

    La bonne tisane, Hervé Bromberger, 1957 

    René et Roger se sont réfugiés dans la chaudière de l’hôpital 

    La bonne tisane, Hervé Bromberger, 1957 

    René ne s’en tirera pas

     

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  •  Les fruits sauvages, Hervé Bromberger, 1954 

    Le moindre des paradoxes n’est pas dans le fait que le scénario est l’adaptation d’un roman de Michel Durafour. Ecrivain et homme politique centriste, il avait subi les sarcasmes de Jean-Marie le Pen qui avait fait un mauvais jeu de mots, en parlant de Michel Durafour crématoire. On ne peut pas dire que l’élégance se trouvait du côté du provocateur borgne. Mais enfin, là n’est pas notre propos. Michel Durafour a beaucoup fait de politique, il a même été plusieurs fois ministre, à gauche et à droite, maire de Saint-Etienne pendant longtemps aussi, siège qu’il devait à son père qui l’avait précédé dans la fonction. Mais il écrivait aussi beaucoup et usait de nombreux pseudonymes pour écouler sa prose, souvent des polars. Ici il publie sous son nom et aux éditions du Carrousel qui était à l’époque une sous-marque du Fleuve noir. Le sujet a plu à Bromberger, sans doute parce qu’il s’agit de jeunes en déshérence. Il a écrit l’adaptation avec un certain Max Gallai dont je ne sais rien, et qu’on ne sache rien de lui ne semble manquer à personne.  Ce Max Gallai aurait écrit un opuscule sur le tunnel du Mont Blanc, préfacé par Valéry Giscard d’Estaing. C’est peut-être bien un pseudonyme de Michel Durafour d’ailleurs. En tous les cas ce thème d’une bande de jeunes plaira beaucoup à Hervé Bromberger qui y reviendra plusieurs reprises. Au point que ça en deviendra un peu sa marque de fabrique. Notez que dans les années cinquante, la jeunesse livrée à elle-même est très souvent présentée dans la littérature et dans le cinéma en France. Contrairement à une idée reçue, on n’a pas attendu Rebels without cause de Nicholas Ray pour s’y intéresser. On peut le relier à la fin de la Seconde Guerre mondiale qui est comme une honte pour les générations antérieures. Et évidemment son importance est aussi due à la montée en puissance des classes d’âge qui sont nées juste après la Libération. On avait déjà souligné l’importance de la jeunesse dans les années cinquante, par exemple dans Echec au porteur de Gilles Grangier[1]. Mais on peut même remonter au célèbre film de Louis Daquin, Nous les gosses, tourné pourtant en 1941. C’est un thème important aussi pour Jean Amila dont justement l’ouvrage Les loups dans la bergerie sera adapté un peu plus tard par Hervé Bromberger au cinéma[2]. Jean Amila retrouvera le thème la jeunesse livrée à l’abandon, dans Le boucher des Hurlus[3], mais aussi dans Nous avons les mains rouges[4].  Dans ces deux derniers cas, la relation entre la fin de la guerre et la situation de la jeunesse est clairement indiquée. On trouve aussi cette approche chez Auguste Le Breton dans Les hauts murs publié en 1954 chez Denoël, et aussi dans La loi des rues, du même auteur aux Presses de la Cité, publié en 1955 et qui sera adapté l’année suivante au cinéma par Ralph Habib[5]. 

    Les fruits sauvages, Hervé Bromberger, 1954 

    La famille Manzana vit dans un quartier très pauvre de Lyon. La mère est décédée, le père rentre le soir le plus souvent ivre, et c’est Maria l’ainée qui s’occupe de la fratrie. Le père ayant des besoins d’argent va en quelque sorte vendre sa fille, Christine, au bistrotier d’en dessous de chez lui à qui il doit de de l’argent. Le soir, il annonce sa décision à l’ensemble de la famille. Maria qui comprend les intentions de l’infâme bistrotier, s’y oppose, une bagarre s’ensuit et en voulant se défendre, Maria tue son père. Ayant peur que ses deux plus jeunes frères soient placés à l’assistance publique, elle décide d’embarquer tout le monde et de prendre la fuite. A l’ensemble de la fratrie va se joindre Hans qui est amoureux secrètement de Maria, et aussi Anna qui aime Michel le frère ainé et qui veut vivre avec lui. Un camionneur qui connait une amie de Maria accepte de les amener jusqu’en Provence. Errant de ci de là, avec le vague but de passer en Italie, ils vont découvrir un village abandonné. Il tombe un peu en ruines, mais ils peuvent s’y installer à l’abri des poursuites des gendarmes. Commence alors une nouvelle vie : ils doivent se débrouiller avec les moyens du bord. Ils trouvent finalement de l’eau au fond d’un puit, et comme ils ont un peu d’argent ils peuvent acheter quelques bricoles pour subsister. S’ils sont très isolés, vivent en vase clos, ils vont pourtant faire des rencontres. D’abord une petite gitane qui garde une chèvre et qui leur explique que le village s’est vidé à cause du manque d’eau, elle-même habite dans un autre village, dans la vallée. C’est le petit José qui va créer une relation d’amitié avec elle. Michel et Anna filent le parfait amour et finissent par avoir des relations sexuelles. Ils semblent se contenter de cette vie très précaire, bien qu’Anna regrette de ne pas donner de ses nouvelles à ses parents qui doivent se faire un sang d’encre. Un jour arrive un berger qui fait la transhumance avec ses moutons et qui traverse le village. Il les aide quelque peu, et alors qu’Hans n’arrive pas à avoir quelque chose avec Maria, celle-ci va se donner au berger. Mais ce n’est pas une relation conçue pour durer. Sa sœur Christine est d’ailleurs un peu jalouse de cette liberté, et bien qu’elle soit encore très jeune, elle se sent devenir femme et va tenter de séduire le berger. Mais au dernier moment elle renoncera. Les choses vont cahin-caha, jusqu’au jour où ils sont finalement repérés par les gendarmes. Ils vont fuir, tentant de passer en Italie, mais comprenant qu’il n’y a pas d’issue, ils vont tous renoncer et se livrer aux gendarmes, sauf Maria qui se suicidera. 

    Les fruits sauvages, Hervé Bromberger, 1954 

    Maria et son amie sortent de l’usine 

    Le film rappelle par certains aspects Jeux interdits de René Clément qui date, ce qui peut s’expliquer par la participation de François Boyer aux dialogues et au scénario. Par d’autres aspects, Maria est vraiment une sauvageonne, on peut l’apparenter à La sorcière qui sera tourné deux ans plus tard par André Michel avec Marina Vlady et qui sera aussi un très grand succès international. Mais ce qui prime, c’est la difficulté de s’extraire de la misère dans une vie sans issue. La famille Manzana habite un immeuble délabré sui menace de s’effondrer. A ces difficultés matérielles s’ajoute l’autorité branlante d’un père ivrogne : cette opposition de générations est évidemment une critique de la famille dans l’expression de ce qu’elle a de rigide et de mortifère. Les enfants représentent la liberté intransigeante, l’impatience face à la dureté des temps, on comprend qu’en ce temps-là nous sommes encore dans la période de reconstruction de la France qui réclame des âmes fortes. Maria est une femme forte, elle est le pilier de la famille, elle remplace la mère décédée, celle qui se dévouera jusqu’à la mort pour ses frères et sœurs. Elle est très dure, excessivement dure, c’est une des raisons qui font qu’elle est incapable de se donner dans une vraie relation amoureuse. Mais il y a un autre thème, peut-être au fond plus important, c’est celui de la renaissance. Là les sources sont Regain de Jean Giono, roman qui date de 1930 et qui sera porté à l’écran par Marcel Pagnol en 1937 avec un immense succès, succès qui persiste encore aujourd’hui parce qu’il énonce le principe d’espérance et la foi dans le renouvellement de la nature. C’est un peu comme si on énonçait la nécessité de recommencer tout le lien social à zéro. Reprendre les choses à leur début et oublier les normes anciennes qui n’ont produit que des désastres. Le village s’est vidé, parce qu’il y avait une pénurie d’eau, mais cet abandon est aussi présenté aussi comme un manque de volonté, un manque de caractère face à la difficulté. C’est une condamnation du passé dans le remplacement des générations, et en passant de l’usine et de la ville à la campagne, c’est un retour aux sources de la vie dont il est question. Ce sera un échec, non seulement les fuyards rentreront dans le rang, mais Maria, la plus rebelle, mourra. 

    Les fruits sauvages, Hervé Bromberger, 1954 

    Le vieux Manzana exige que ses filles lui obéissent 

    Le style de la mise en scène se veut naturaliste, pour cela Bromberger utilisera comme c’était son habitude, des décors naturels. Tout le début est  tourné à Lyon, dans les quartiers pauvres. Le reste du film a été tourné principalement dans un village abandonné, Les Vieux Noyers, situé dans ce qui était alors les Basses-Alpes. Les ruines sont d’ailleurs encore entretenues en tant que ruines, la chapelle a été restaurée, pour le plus grand plaisir des touristes. La pureté et la beauté de ce village abandonné est opposée à la noirceur du quartier des usines de Lyon dans lequel vivaient la famille Manzana. Il y a une opposition entre les ombres malfaisantes de la ville, et la lumière éclatante de la Provence. C’est aussi le portrait de Maria, le leader que tout le monde craint. C’est autour d’elle que se déplace la caméra. Le réalisateur prendra un grand plaisir à filmer Estella Blain les seins en avant, moullé dans un pull qui donne des idées même à ceux qui n’en ont pas. Car le film insiste sur la liberté sexuelle et le désir féminin au-delà de tout engagement dans le mariage ou dans une liaison solide. Ce qui est encore assez rare à cette époque. Maria n’hésitera pas à aller se faire sauter par le berger pour assouvir son désir, sa sœur aura la même idée. Evidemment cette affirmation d’une sexualité féminine renvoie à la solitude de Maria. Le début montre, avec un long traveling arrière, la sortie de l’usine. La manière dont Maria et son amie s’inscrivent dans ce travelling va montrer toute la puissance matérielle de l’environnement social, cette absence de liberté qui tient aussi bien à la condition ouvrière elle-même qu’à l’importance de la famille en tant qu’institution. Une large part est accordée aux dialogues entre les enfants, particulièrement entre José et Lolita qui eux aussi découvrent une certaine forme de liberté. L’ensemble tient cependant plus du drame social que du film noir. Encore que la mécanique de la fuite sans issue soit présente en permanence et renforce la fatalité : il semble impossible d’échapper à la malédiction de la ville sombre. 

    Les fruits sauvages, Hervé Bromberger, 1954 

    Maria, ses frères et sa sœur fuient la police 

    La distribution s’accorde très bien avec l’idée de départ. Bromberger va employer surtout des jeunes comédiens dont c’est le premier film. Des figures nouvelles doivent souligner la rupture d’avec le vieux cinéma. Il y a d’abord Estella Blain, c’est elle qui porte le film sur ses épaules. Elle ne retrouvera plus jamais de rôles aussi intéressants. A cette époque elle était mariée à Gérard Blain, lui aussi comédien débutant, elle avait 24 ans. Elle a une présence très forte. Ici elle est brune, par la suite elle se teindra en blonde ce qui lui donnera finalement un côté peut-être plus sophistiqué, mais aussi plus ordinaire. Rien que pour elle, il faut voir ce film. Il a eu par la suite une carrière très difficile et la fin de sa vie fut une tragédie. On trouve aussi Roger Dumas dont c’était le premier film. Il est Hans, le timide amoureux de Maria. Il est bien, sans plus, je crois que ce sera le rôle le plus important de sa très longue carrière. Ici on nous l’a teint en blond. Georges Chamarat est le père ivrogne, acteur de la Comédie française, il n’en fait pas trop. On reconnaitra aussi dans le rôle du camionneur le très bon Albert Rémy, mais c’est juste un tout petit rôle. Le berger est incarné par Norbert Pierlot, c’est un acteur qui n’a pas fait arrière et qui est en effet raide comme un piquet et à l’élocution difficile. Le couple de jeunes amoureux et formé par Michel Reynald et Marianne Lecène. Le premier n’est pas très à l’aise, la seconde est très bien en amoureuse transie qui part sur un coup de tête pour suivre celui à qui elle rêve de se donner. Les enfants sont plutôt bons, à croire qu’ils sont plus faciles à diriger que des adultes. Il y a l’inévitable Jacky Moulières dont c’était le tout premier film, dans le rôle du petit Frédéric. Il y a aussi Jean-Pierre Bonnefous dans le rôle de José. C’était pour lui aussi son premier film. Il deviendra par la suite un danseur étoile. Il est très émouvant dans les relations qu’il entretient avec Lolita. Celle-ci est incarnée par Tanila Sauser, ce sera sa première et sa dernière apparition à l’écran. 

    Les fruits sauvages, Hervé Bromberger, 1954 

    Entre Lolita la petite gitane et José il y a une relation très forte 

    Il y a beaucoup d’idées intéressantes, comme celle de faire coucher les fuyards pratiquement tous dans le même lit, ce qui renforce l’idée de communauté. Mais ensuite Michel et Anna vont se couper de l’ensemble e allant habiter une maison qu’ils emménagent pour eux tous seuls. On retiendra encore la scène du bistrot où dans les vapeurs de l’alcool se marchande la vente de Christine. On notera que le film s’attarde sur des ruines, que ce soit sur les immeubles effondrés et éventrés de Lyon ou sur le village abandonné. La manière dont est filmé l’intérieur de l’église est aussi intéressante. Le petit José est frappé par les lieux au point de croire au miracle, mais cette naïveté est tout de suit compensée par le fait qu’un écureuil sort de derrière la statue qu’il avait fait bouger. C’est une manière de dire que les rêves sont le moteur de l’enfance et que le but de la société est de les briser. 

    Les fruits sauvages, Hervé Bromberger, 1954 

    Le berger explique que la sécheresse a tari le puit 

    Les fruits sauvages, Hervé Bromberger, 1954

    Dans l’église, José marie Michel et Anna 

    Les fruits sauvages, Hervé Bromberger, 1954

    Maria ne veut pas être prise 



    [2] L’ouvrage  a été publié à la Série noire en 1959 et le film sera tourné l’année suivante.

    [3] Gallimard, 1982

    [4] Publié chez Gallimard en 1947 sous le nom de Jean Meckert.

    [5] Ce film est à l’heure actuelle introuvable, et je ne l’ai jamais vu. Si quelqu’un en possède une copie, qu’il me contacte.

     

     

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  •  Identité judiciaire, Hervé Bromberger, 1951

    En même temps qu’Hervé Bromberger est un cinéaste très sous-estimé, c’est le genre auquel il se rattache qui est mal compris. Avec un certain nombre de films de Maurice Cloche ou de Maurice de Canonge, ils définissent pourtant et assez précocement un film noir à la française, qui, si elle s’inspire à la Libération pour partie du film noir américain conserve une spécificité bien française dans le sillage de Maigret. Ce genre a pourtant en France bien du mal à se faire prendre au sérieux. Considéré comme mineur, à peine du polar, il n’aura pas droit aux gros budgets et aux vedettes importantes. Deux raisons expliquent cela, d’abord parce que le cinéma est tenu quoi qu’on en dise par la bourgeoisie et par les codes qu’elle véhicule, peu de réalisateurs viennent de la rue. Ensuite, il y a cette volonté de ne pas voir que la France a changé et qu’en s’urbanisant à grande vitesse, le crime progresse et devient plus sophistiqué. C’est donc avec des moyens plutôt limités que les réalisateurs français vont travailler à produire des films noirs. Hervé Bromberger est assez mal connu, mais aujourd’hui on le redécouvre un petit peu, notamment à cause de ses adaptations de Jean Amila. Il a assez peu tourné, et le principal de son œuvre se retrouvera dans le film noir. 

    Identité judiciaire, Hervé Bromberger, 1951 

    Les époux Prévost viennent déclarer la disparition de leur fille 

    Au Quai des Orfèvres, le couple Prévost vient déclarer la disparition de leur fille Denise âgée de seulement 19 ans. La PJ se mobilise et lance un appel de recherche à la radio. Elle est assez rapidement reconnu dans l’hôtel-restaurant où elle est en train de déjeuner. Le patron appelle la police. Mais elle s’enfuit. Pourchassée, elle va cependant se jeter à l’eau et se noyer. Lorsqu’on amène son cadavre à la Morgue, on s’aperçoit qu’elle possède des marques particulières sur son corps. Or ces marques ont déjà été retrouvées sur d’autres cadavres de jeunes femmes. La police comprend qu’elle a affaire à un prédateur sexuel. L’enquête va être menée par le commissaire Basquier qui a sous sa direction l’inspecteur Paulan. Celui-ci, en enquêtant va mettre en évidence la liaison que Denise entretenait avec un certain Petrosino. Celui-ci est bientôt arrêté à la Gare de Lyon où il tentait de prendre la fuite. Interrogé, il affirme cependant qu’il voulait épouser Denise, même sans le consentement de ses parents. L’enquête s’oriente alors le milieu des drogués. Grâce à Madame de Sannois, une grande bourgeoise droguée, ils vont avancer. Entre temps Dora a été victime du prédateur sexuel. Mais son récit est confus. Basquier l’interroge pour rien. Cependant à la sortie de l’hôpital, elle se rend chez Berthet, et comme celui-ci craint qu’elle ne retrouve la mémoire, il l’assassine. Se rendant compte que Berthet est impliqué, Basquier se débrouille pour faire analyser les fils du manteau de l’avocat. Ça concorde bien avec les éléments que la police scientifique a recueillis. La confirmation de l’implication de Berthet va venir de Madame de Sannois, prise dans une rafle, alors qu’elle cherche à se procurer de la drogue, elle se décide à parler. Mais le juge d’instruction trouve que les preuves contre un avocat tel que Berthet son insuffisante. Aussi Basquier va lui tendre un piège. Il incite Madeleine, sa secrétaire, à se faire ramener chez elle par Berthet. La police suit. Mais les imprudences de Madeleine font comprendre à Berthet que celui-ci est filé. Il se débrouille donc de semer ses poursuivants. La police perd du temps à retrouver sa trace, mais elle y parvient. Même si c’est difficile, Basquier et ses hommes localisent l’assassin. Lorsqu’ils arrivent dans sa maison, Berthet arrive encore à s’enfuir. Mais Madeleine est sauve. Il faut développer les grands moyens pour en finir. Coincé dans un entrepôt, Berthet se sachant pris va choisir de se suicider. 

    Identité judiciaire, Hervé Bromberger, 1951 

    Petrosino est arrêté à la Gare de Lyon 

    La première chose qu’on retient, c’est cette présentation du Quai des Orfèvres comme une ruche grouillante d’activité, et donc œuvrant dans une logique collective. Le film est assez éclaté, et si Basquier est un peu plus importants que les autres, c’est seulement parce que c’est lui qui dirige l’enquête. Mais dans le déroulement de l’histoire, Paulan est tout aussi important. On insiste aussi sur l’importance des moyens techniques déployés, que ce soit par la police scientifique ou par la circulation des informations. Mais le Quai des Orfèvres c’est aussi le lieu de passage, de brassage de toute une faune à laquelle la police est confronté. Si les prostituées et le demi-monde sont finalement plutôt regardés d’un œil bienveillant, il n’en est pas de même pour la bourgeoisie dégénérée, que celle-ci soit représentée par Maitre Berthet le prédateur sexuel ou par Madame de Sannois, grande bourgeoise droguée qui s’ennuie et cherche des émotions fortes. Que fait la police dans ce fatras ? Elle essaie d’abord évidemment de mettre de l’ordre et de protéger les innocents. Dans ce dernier rôle il faut bien le constater, elle est plutôt inefficace. Denise et Dora mourront, et ça ne tient qu’à un fil que Madeleine s’en tire. 

    Identité judiciaire, Hervé Bromberger, 1951 

    Paulan réclame des explications au chimiste de la PJ 

    L’idée d’un prédateur sexuel issu de la bonne bourgeoisie est très fréquente dans le film noir à la française. On pourrait dire que c’est un résidu de la lutte des classes. Cependant les motivations de Berthet qui ne prend de l’importance que dans le dernier tiers du film ne sont jamais explicitées. Que cherche-t-il à travers les atrocités qu’il commet ? les autres petites gens sont regardées avec sympathie, y compris quand il s’agit de prostituées. Evidemment les mariniers qui travaillent sont aussi bien considérés. Il y a également une volonté de ne pas éviter les quartiers un peu délabrés de Paris, ville où le luxe côtoie la pauvreté. Le manque de moyens de la police, ses tâtonnements, font que le film est très daté, en ce sens que la criminelle ne travaille plus du tout comme cela. Cependant il reste que l’individu, même s’il est aussi retors que Berthet, ne peut pas échapper au contrôle social, sauf à se suicider. Ce qu’il fera finalement. On remarque qu’évidemment avec des bourgeois comme Berthet il faut prendre des gants, le juge l’indique, ce n’est pas un pékin ordinaire à qui on met deux gifles dans le museau pour le faire avouer. La police est présentée ici comme un ensemble très hiérarchisé, si les hommes de Basquier lui obéissent au doigt et à l’œil parce qu’il est plus compétent qu’eux, Basquier lui-même respecte le directeur de la police judiciaire au point de suivre ses instructions. Cependant il reste le portrait de policiers, que ce soit Basquier ou même Paulan, qui sont avant tout des humanistes, même si de temps en temps ils doivent faire les gros yeux pour faire avancer leurs affaires. A un moment il y a une scène un peu étrange : un homme qui est manifestement en garde à vue et qui en a l’habitude, reçoit la visite de sa femme à l’intérieur même de la cellule ! c’est une façon de montrer semble-t-il que les prisonniers sont d’abord des personnes en situation d’échecs. A part Berthet d’ailleurs on ne verra pas de grandes gueules du côté des délinquants. 

    Identité judiciaire, Hervé Bromberger, 1951 

    Dora tente de témoigner après sa tentative d’assassinat 

    Sur le plan cinématographique c’est bien plus intéressant qu’il n’y parait. Comme je l’ai laissé entendre au début de cette chronique, Bromberger est clairement influencé par le film noir américain. On le voit dans la manière qu’il a de filmer les standardistes qui sont chargés de répercuter les informations à la presse et à l’intérieur des services. Il exécute un travelling latéral qui passe de l’un à l’autre en traversant les dialogues. De même il va y avoir de longues séquences très réussies à travers les couloirs de la PJ. C’est filmé en plan général et la caméra recule en même temps que Basquier progresse, salue ses collègues, tourne dans les services. Ça donne une belle densité parce que si Pasquier se déplace, les autres protagonistes se déplacent aussi et pas forcément dans le même sens. Il y a également une utilisation excellente des décors naturel du Paris des années cinquante, notamment quand on découvre le cadavre de Dora qui a été repéché dans le canal. La photo est bonne, et restitue très bien l’atmosphère confinée du Quai des Orfèvres. Parmi les scènes remarquables, il y a cette manière de suivre l’évolution de la poursuite de Berthet sur un tableau lumineux, je pense que c’est là que Melville a trouvé l’idée qu’il utilisera lors de la poursuite de Jeff Costello dans Le samouraï. La façon quasi documentaire de filmer fait penser à Call Northside 777 d’Hathaway tourné en 1948 ou encore The Phoenix city story de Phil Karlson qui sera réalisé plus tard, en 1955. La scène d’ouverture avec tous ces gens qui attendent le bon vouloir du fonctionnaire qui enregistrera leur plainte est aussi pas mal. L’emploi prend son temps pour arriver, change de veste, débarrasse son bureau, faisant comme s’il n’avait pas vu la foule des plaignants qui attendent son bon vouloir. Il se permet des petites réflexions et on sent bien que ce sont toujours les mêmes qu’il ressert. On rentre de plein pied dans la routine policière. Un planton parcours aussi le couloir sans but aucun autre que de montrer qu’il est là non pas en tant que policier, mais en tant que planton, bien qu’il porte un uniforme et un képi.  

    Identité judiciaire, Hervé Bromberger, 1951

    Madame de Sannois fait le lien entre Petrosino et Berthet 

    La distribution est évidemment la conséquence d’un budget assez maigrelet, il n’y a pas de vedette. Mais dans l’ensemble elle est plutôt bonne. Le petit Raymond Souplex joue Basquier avec autorité. On dit que c’est ce rôle qui ensuite l’aurait propulsé vers l’inspecteur Bourrel des Cinq dernière minutes, entre 1958 et 1973, il ne tournera pas moins de 56 épisodes de la célèbre série, seule la mort l’arrachera à ce rôle emblématique. Ici il est bon, plutôt léger et convaincant. On n’en dira pas autant de Jean Debucourt qui dans le rôle de l’avocat Berthet en fait des tonnes pour bien montrer qu’il est un sociétaire de la Comédie française. On retrouve Robert Berri dans le rôle du dévoué Paulan. Il est très bien, je dirais, comme d’habitude. Du côté féminin, il y a de quoi faire. D’abord il y a Dora Doll dans le rôle de Dora la demi-mondaine. A cette époque elle multipliait ce type de rôles, une femme forte et résolue, avec un cœur cependant, mais à la limite de la loi. Elle est excellente et se fait remarquer, même si son rôle est étroit. Marthe Mercadier jour une prostituée opportuniste, et surtout il y a Eliane Monceau dans le rôle de la droguée Madame de Sannois qui regarde tout le monde de haut. L’ensemble vise à représenter finalement des gens ordinaires dont le glamour n’est pas la première qualité, les flics ont l’air de flics. La jeune fille qui incarne Denise Prévost, Nicole Cézanne, n’a fait que ce film, elle est aussi très juste, même si elle n’a pas une ligne de dialogue à dire. Les acteurs qui interprètent ses vieux parents sont excellents aussi dans leur attitude compensée qui explique sans mot dire pourquoi Denise a fui la maison familiale. 

    Identité judiciaire, Hervé Bromberger, 1951 

    Le corps de Dora est retrouvé par les mariniers 

    Ce n’est certainement pas un très grand film, mais il se voit très bien avec la nostalgie qui va avec. En tous les cas il prouve que le film noir à la française existait au tout début des années cinquante. La scène du déshabillage des filles raflées donne un côté étrange à l’ensemble, un peu érotique, avec des dessous comme on n’en fait plus. De même les regards concupiscents de Berthet sur les cuisses de Madeleine valent aussi le détour. 

    Identité judiciaire, Hervé Bromberger, 1951 

    La police tente de savoir où Berthet va emmener Madeleine 

    Identité judiciaire, Hervé Bromberger, 1951 

    Cette fois il n’y a plus d’échappatoire pour Berthet

     

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  •  Bo Widerberg rétrospective à Lyon

    Faisons un peu de publicité gratuite pour les jeunes générations qui s’intéressent au cinéma. Malavida, avec la complicité de l’Institut Lumière à Lyon une rétrospective Bo Widerberg. J’ai déjà dit tout le bien que je pensais de ce cinéaste qui reste encore trop méconnu. Ils vont donc présenter une dizaine de films. Malheureusement pour moi, je ne pourrais pas être à Lyon, c’est loin… Mais ceux qui le peuvent doivent évidemment y aller. Parmi les films de Bo Widerberg, mes préférés sont Elvira Madigan[1], Adalen 31 et bien sûr Joe Hill[2]. Ce sont aussi les plus connus.

    Bo Widerberg est un cinéaste assez typique de la fin des années 60 et du début des années 70. Héritier d’Ingmar Bergman, il avait cette capacité rare de produire des films d’auteurs, engagés, mais pas du tout emmerdant. A cette approche il ajoutait une maitrise de la couleur et de la fluidité de l’image qui parfois rappelle Bolognini dans son meilleur. Un film de Bo Widerberg, ça vaut, selon moi, toute la filmographie de François Truffaut. Donc pour ceux qui ont la chance de s’y rendre, il faut y aller. J’avais vu tous ces films à leur sortie, et puis au fil des années je les ai revus, malheureusement en version numérisée et pas en salle, sauf pour Joe Hill. Mon enthousiasme pour ce cinéaste n’a pas changé.

    Bo Widerberg rétrospective à Lyon

     

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